Voyage
Ravagée par la crise industrielle des années 90, la troisième ville de Suède a su rebondir. Enfourchant le cheval du développement durable, elle a fait pousser des écoquartiers, hissé les jardins sur les toits et attiré les cracks du jeu vidéo. Visite guidée avec The Good Life.
A Malmö, comme chaque jour, pour peu qu’il fasse beau, les jeunes gens se donnent rendez-vous à Dania Park, pour sauter du haut d’une passerelle suspendue à l’aplomb des eaux de la mer Baltique – température moyenne en juillet : 15,6 °C. C’est interdit, bien sûr, mais les images de ces plongeons ont envahi la Toile, symbole de la joie de vivre de la ville, qui n’a pas toujours été là. Ce parc de 20 000 m2, par exemple, vient d’être aménagé par le paysagiste Thorbjörn Andersson en lieu et place d’un terrain vague, à 500 mètres du centre-ville, où personne ne mettait plus les pieds. Désormais, au moindre rayon de soleil, on y retrouve tout Malmö, sur les bancs et les pelouses.
Malmö, pour la génération de nos parents, c’est cette ville extravertie où l’on arrivait en ferry pour faire la fête. Malmö, c’est la ville natale du commissaire Kurt Wallander, héros des romans d’Henning Mankell, qui dépeint à longueur de chapitre cette région de la Scanie, grenier de la Suède, avec ses nuées d’oiseaux noirs, son vent inlassable et son brouillard aveuglant – révélant au passage les dessous moins lisses qu’il n’y paraît de la société suédoise. Jusqu’aux années 80, Malmö fut une cité prospère. Gagné sur les lots à la fin du XIXe siècle, son port, stratégiquement posé au bord du détroit qui sépare la mer du Nord de la mer Baltique, a hébergé deux géants de l’industrie : le chantier naval Kockums, spécialisé dans la construction de sous-marins et mis à l’arrêt par la concurrence asiatique, puis l’usine Saab, dont le rachat par General Motors, en 1990, devait entraîner, six ans plus tard, la fermeture. Le bilan de ces restructurations sera catastrophique. En dix ans, la ville, qui favorisait l’immigration pour faire tourner ses usines, a perdu plusieurs milliers d’emplois, avec les inévitables conséquences en chaîne : inégalités, tensions, ségrégation et paupérisation. Un Liverpool à la suédoise.
Malmö : tout pour l’écologie
Le 15 juin dernier, le thermomètre annonce 11°C à Malmö. Le réceptionniste de l’hôtel s’est excusé deux fois pour la météo ce matin, puis ç’a été le chauffeur de taxi. L’une des activités favorites du Suédois est de pratiquer le weather bashing à longueur de journée. Pour nous consoler d’un fond de l’air frisquet, tout le monde nous conseille d’aller admirer le fameux pont Oresund qui enjambe le détroit du même nom. Un coup de génie que cette passerelle de 8 kilomètres, inaugurée en 2000, désenclavant la ville et mettant le monde à ses pieds : on se trouve désormais à moins de 30 minutes en train de l’aéroport de Kastrup, à Copenhague. Les travailleurs transfrontaliers s’en donnent à cœur joie : on gagne plus au Danemark et on dépense moins en Suède. Cet ouvrage, autour duquel se tourne la quatrième saison de la série télévisée culte suédo-danoise d’Hans Rosenfeldt intitulée « Bron » (le pont), fut le déclencheur du nouveau positionnement et de la renaissance de la ville. Un an plus tard, celle-ci se battait pour accueillir l’exposition internationale de l’habitat City of Tomorrow, et se mettait en tête de faire aux visiteurs une démonstration grandeur nature de ce que pourrait être la cité écologique du futur.
Face au succès que rencontre ce projet, baptisé Bo01, la municipalité se prend au jeu et décide, avec l’aide de l’Etat, de réhabiliter tout le bassin portuaire nommé Västra Hamnen (le port ouest). Si, pour survivre à la crise industrielle, Bilbao avait misé sur la culture, et Lille, sur l’Europe, Malmö, elle, opte pour le développement durable et s’attaque à ces entrepôts en ruines, à ces sols contaminés, à ces docks battus par les vents marins… Quinze ans après, Västra Hamnen est devenu non seulement un lieu de vie atypique, mais aussi une curiosité visitée par les touristes. Des palanquées d’étudiants en architecture arpentent ces rues bordées de petits immeubles d’une grande diversité esthétique – en bois, à l’ancienne, ou en verre et acier –, agglutinés autour de la Turning Torso. La tour enroulée sur elle-même, de Santiago Calatrava, est devenue le nouveau « phare » de la ville.
Malmö en chiffres
- Malmö compte 322 575 habitants, et la région d’Oresund totalise 4 millions de consommateurs, soit 25% de la population de la Suède et du Danemark réunis.
- Cette région frontalière compte 260 000 entreprises et 150 000 étudiants (dont 26 000 pour la jeune université de Malmö).
- 50 % de la population a moins de 35 ans.
- La ville accueille environ 5 000 nouveaux habitants par an.
- 8 nouvelles entreprises sont enregistrées chaque jour.
- En 2030, une ligne de métro permettra de rallier le centre de Copenhague en 20 min.
- L’économie de la ville est alimentée par le commerce, les technologies propres, la logistique et l’industrie du jeu vidéo. De nombreuses sociétés, comme Ikea, la banque Ikano ou les laboratoires Atos ont profité des conditions avantageuses et du tout nouveau centre de congrès pour y établir leur siège régional. En 2013, Forbes l’a élue 4e ville la plus innovante du monde.