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San Diego possède un port en eaux profondes, où stationne la marine américaine. Mais son tissu de laboratoires et de chercheurs en fait aussi une cité à la pointe du monde scientifique.
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The Good Business

San Diego : demain est aujourd’hui

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A quelques kilomètres de la frontière mexicaine, la ville vient d’être élue « Smartest City » des Etats-Unis par National Geographic. L’une de ses entreprises phares, Illumina, s’est vu attribuer le titre de la société la plus intelligente du pays par le journal du Massachusetts Institute of Technology. Considérée comme l’un des centres mondiaux de l’étude des sciences de la vie, San Diego invente le jour de demain.

Il fait 35 °C, pas moins. Les pick-up défilent sur un air suranné de Michael Franks, transportant leur barda de planches de surf et de jolies filles. Plutôt cliché. Les palmiers se déhanchent sous la brise du Pacifique, tandis que la plage de La Jolla s’est emplie de monde, scrutant l’océan. Les oiseaux marins, par centaines, piaulent au-dessus de l’onde. Requins, raies et autres poissons ont migré de la réserve naturelle toute proche. Ça y est, c’est ici. Je reconnais la maison où vivait Niki de Saint Phalle. J’étais venu réaliser la dernière interview de l’artiste exilée. Elle avait quitté New York, où elle ne pouvait plus respirer, pour le sud de la Californie, la qualité de son air, son énergie. Et puis, à San Diego, me disait-elle, le seul risque est de tomber sur un Prix Nobel à chaque coin de rue. Dont acte.

Ville de sciences et de recherche

L’université de Californie à San Diego (ucsd).
L’université de Californie à San Diego (ucsd). Jean-François Guggenheim – CORBIS – DR

« Ce qui marche, en Amérique, ce sont les associations d’intelligences. San Diego est la capitale de la recherche sur le génome aux Etats-Unis. Il est clair que toutes les villes ne peuvent faire ça. Intéressez-vous cependant à la façon dont ça fonctionne. » En 2012, Bill Clinton, ancien président et peut-être bientôt premier « First Gentleman » des Etats-Unis à l’issue des prochaines élections présidentielles, n’a fait qu’adouber la cité du Sud californien qui, déjà au début du xxe siècle, était en avance sur son temps. Car l’aventure débute en 1903, lorsque le magnat de la presse, Edward Scripps, soutient financièrement le zoologiste de Berkeley William Ritter dans ses études de biologie marine. Intégré à l’université de Californie à San Diego (UCSD), ce qui deviendra l’Institut d’océanographie Scripps va révolutionner la connaissance du monde.

L’université de Californie à San Diego (ucsd) est classée parmi les meilleures du monde.
L’université de Californie à San Diego (ucsd) est classée parmi les meilleures du monde. Jean-François Guggenheim – CORBIS – DR

Et la liste est longue : prévisions météorologiques à partir du mouvement des marées, anticipation des séismes sous-marins et des raz-de-marée qui en résultent, analyse de la croûte terrestre sous-marine et réinterprétation de l’histoire de notre planète, cartographie des océans réalisée à partir d’un satellite dédié et, plus récemment, création des outils d’analyse du réchauffement de la terre lié à l’activité humaine… En tout, on arrive à plus d’un siècle de recherches et de découvertes révolutionnaires. Si ce n’était que cela, la ville de San Diego, qui compte plus de 600 sociétés dans le domaine des sciences de la vie et emploie plus de 45 000 personnes, mériterait déjà d’être inscrite au livre des records. C’est compter sans le Salk Institute for Biological Studies, l’un des laboratoires de biologie essentiels sur le globe, et dont le créateur, Jonas Salk, a « simplement » inventé le vaccin contre la ­poliomyélite en 1954, le testant auprès de un million d’enfants. Dès les années 60, il ouvre son institut à San Diego. Il s’agit d’un institut de recherche scientifique indépendant à but non lucratif, ayant pour objectif de réunir étudiants et chercheurs en biologie afin d’appréhender différents aspects de l’étude de la vie, et soutenu par Charles Dail, maire de San Diego, lui-même rescapé de la poliomyélite. Jonas Salk, c’est là l’originalité de son projet, fait appel à tous les savoirs pour travailler sur des enjeux déterminants pour le futur de l’humanité. L’artiste et architecte Louis Khan a dessiné les lieux, aujourd’hui classés au patrimoine des Etats-Unis. On y étudie, depuis, la biologie moléculaire et la génétique, les neurosciences et la biologie des plantes. On y travaille sur de nouvelles thérapies contre le cancer, le sida, Alzheimer, les anomalies cérébrales… C’est l’ensemble du monde scientifique qui scrute les avancées du Salk Institute.

Les laboratoires de l’université, réputés, collaborent avec les labos et les entreprises privées de recherche biomédicale.
Les laboratoires de l’université, réputés, collaborent avec les labos et les entreprises privées de recherche biomédicale. Jean-François Guggenheim – CORBIS – DR

Le business de la santé

« Il y a encore trente ans, explique Sean Barr, vice-président de la San Diego Regional Economic Development Corporation (EDC), l’économie tournait autour de l’activité touristique et de la Navy, San Diego accueillant la principale base militaire de la Flotte du Pacifique. L’extraordinaire créativité de la région dans le domaine des sciences de la vie tient à plusieurs phénomènes : les antécédents, créés par les instituts Scripps et Salk, le formidable niveau d’éducation de l’université de San Diego, et la porosité du travail entre les différents secteurs d’activité. Tout le monde tente des expériences, montre ses résultats, est encouragé. Il existe une réelle culture du partage de l’innovation. Les industries et les chercheurs du monde ­entier viennent ici. Les universités travaillent en direct avec l’Etat, avec les laboratoires de recherche privés et avec les différentes entreprises qui ont choisi de s’installer à San Diego. Parmi les tout premiers investisseurs étrangers, vous trouvez, dans l’ordre, Tokyo, Londres, Cambridge et Paris. Les entreprises étrangères représentent plus de 110 000 emplois dans la région, avec une progression de près de 10 % par an. J’ai en tête l’exemple type de ce genre de collaboration entre différents secteurs. Prenez le cas d’Irwin Jacobs. Ce professeur en sciences de l’informatique à l’UCSD est contacté par la Navy pour développer un système de communication. A partir de ses recherches, il élabore le concept de Code Division Multiple Access (CDMA). Il crée pour cela, avec six comparses considérés comme des vétérans à l’époque, la société Qualcomm. Aujourd’hui, la totalité des smartphones dans le monde est équipée de ce système. C’est l’exemple typique de la collaboration entre le monde universitaire, l’Etat, au travers de la Navy, et l’entreprise privée. Autour de l’UCSD, à La Jolla, on trouve plus de 80 instituts de recherche privés installés sur moins de 5 km2. La santé est un secteur majeur de l’économie. Entre le Scripps ­Research Institute (institut de recherche médicale homonyme de l’institution océanographique), l’assureur santé Kaiser Permanente et le groupement de cliniques et centres de soins Sharp, San Diego abrite trois des entreprises dédiées à la santé les plus importantes aux Etats-Unis. Sans compter Illumina, qui représente la médecine de demain, voire quasiment d’aujourd’hui. »

La médecine du futur

Le siège d’Illumina, une entreprise de biotechnologie basée à San Diego, spécialisée dans le séquençage du génome humain.
Le siège d’Illumina, une entreprise de biotechnologie basée à San Diego, spécialisée dans le séquençage du génome humain. DR

Illumina, la société qui a reçu le label Smartest Company of the USA 2013, puis 2014, par le très respecté journal du Massachusetts ­Institute of Technology (MIT), a pris une position déterminante dans ce qu’on considère comme la médecine du futur. Vingt-cinq ans après le lancement du projet sur le génome humain, moins de dix ans après la publication des résultats qui permettent de lire les 3 milliards de paires d’ADN, Illumina, à force de rachats d’entreprises et grâce à son propre savoir-faire, est parvenue à séquencer un génome humain en moins de 36 heures, pour moins de 1 000 dollars. Il y a dix ans, ce séquençage coûtait 10 millions de dollars. D’ici peu, il n’en nécessitera plus qu’une centaine. Repérage des problèmes médicaux, identification des traitements… Il s’agit d’une médecine personnalisée, de prédiagnostics, d’une médecine proactive. La société qui diffuse ces séquenceurs travaille sur les logiciels permettant d’analyser les résultats et se retrouve dans une situation quasi monopolistique avec plus de 70 % du marché mondial. D’ici à deux ans, indique-t-on, les médecins seront équipés de ces séquenceurs. Une application pour smartphone permet déjà aux particuliers ayant fait séquencer leur génome d’en avoir une lecture directe. Le groupe pharmaceutique Roche ne s’y est pas trompé en tentant, en vain, de racheter la société pour 6,7 milliards de dollars en 2012. On a beau y partager le résultat de ses recherches, San Diego n’est tout de même pas la cité des Bisounours.

La green economy

Pour autant, si National Geographic a élu San Diego Smartest City des Etats-Unis, c’est que l’icône de la presse a pris en compte non seulement l’intelligence mise en œuvre par ces différentes entités, mais aussi la qualité de vie de la ville du Sud californien. L’air y est pur, l’eau de qualité, la vie plutôt douce. Tout un chacun semble œuvrer à préserver cela. Les cleantechs sont devenues des vecteurs évidents de l’économie. Soit 850 entreprises sur le territoire du comté de San Diego.
Dès 2011, le New York Times soulignait l’afflux des entreprises de la green economy à San Diego, avec un accroissement de plus de 73 % des emplois qui y sont directement liés sur les cinq dernières années, et 15 000 salariés à ce jour. L’Etat de Californie et la mairie supportent activement la formation des étudiants du secteur au travers d’un fonds financier.

Une campagne d’observation, dirigée par des étudiants de l’ucsd, au large de San Diego afin d’étudier la santé des océans.
Une campagne d’observation, dirigée par des étudiants de l’ucsd, au large de San Diego afin d’étudier la santé des océans. Rick Starman 

Leader de cette sphère économique aux Etats-Unis, San Diego a mis en place différentes structures favorisant le renouvel­lement durable. Depuis 1985, le programme Connect, reconnu comme le premier au monde dans le domaine, met en contact des chercheurs avec pas moins de 2 000 entreprises pour la commercialisation de produits green. EvoNexus est un incubateur de services permettant aux start-up impliquées dans le secteur de se développer, tandis que Tech Coast Angels finance, forme et soutient les start-up. Les grandes entreprises, elles aussi, s’im­pliquent dans ce cercle vertueux. General ­Atomics, Kyocera Solar, Sapphire Energy, Synthetic Genomics sont présentes auprès d’Iberdrola Renewables, de Soitec et d’Enel Green Power. Rachats de start-up et commercia­lisation de brevets, l’économie de marché tourne à plein régime. Les budgets en recherche et développement sont en croissance exponentielle. Transports propres, stockage d’énergies non polluant, procédés de captage de l’énergie solaire, algocarburants : de la ­culture à la transformation, aucun secteur ne semble être oublié. San Diego est la première agglomération en Californie en termes d’énergie solaire, produisant plus de 37 mégawatts. Si la ville était un Etat, elle ferait partie des 25 premiers au monde pour ce qui est de la production d’énergie solaire. Les cleantechs génèrent plus de 3 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an, et les investissements en coentreprises vont atteindre le milliard de dollars annuel. Quant à la population, elle suit le mouvement de la cause écologique : 80 % des voitures roulent aujourd’hui à l’électricité. Alors qu’en Californie les périodes de sécheresse se succèdent à n’en plus finir, l’arrosage des élégants jardins tracés au cordeau des villas chic se fait au goutte à goutte, permettant une économie d’eau dorénavant vitale, et on compte plus d’une centaine d’épiceries bio en ville. San Diego, la ville du bout du bout des Etats-Unis, est bien en train de devenir un véritable modèle de développement tant économique que durable.

Algocarburants et planches de surf

Le California Center for Algae Biotechnology fait décidément beaucoup parler de lui. En collaboration avec l’UCSD, la société de biotech Solazyme et l’industrie du surf, sport national local, ils ont réussi a créer
une planche de surf totalement biodégradable, à base d’huile d’algues. A San Diego, où la mer
est omniprésente, cette minirévolution a fait le buzz. La biotechnologie à base d’algues a de belles heures devant elle. Le biodiesel est l’une des évidentes destinations de la culture d’algues ensuite transformées en une huile extrêmement dense en triglycérides pouvant elle-même être transformée en biodiesel. Même la Maison Blanche s’intéresse au développement de l’algae biotech. Les avancées les plus récentes semblent notamment indiquer que la plante marine pourrait aussi servir à soigner certains types de cancers.

San Diego en chiffres

  • 1,4 M d’habitants pour une superficiede 964 km2.
  • 8e ville des Etats-Unis et 2e de Californie en termes de population.
  • L’agglomération de San Diego-Carlsbad-San Marcos compte 3,2 M d’habitants, tandis que la conurbation intégrant San Diego et Tijuana, située au Mexique, représente 5,5 M d’habitants.
  • Le secteur des sciences de la vie procure 45 000 emplois à 600 entreprises.
  • San Diego compte 3 universités et 80 instituts de recherche privés.
  • Les cleantechs comptent 850 entreprises, génèrent un chiffre d’affaires annuel de 3 Mds $, et font travailler 15 000 personnes.
  • Les investissements étrangers dans le domaine correspondent à 1 Md $ par an.
  • 80 % des automobiles fonctionnent à l’électricité.

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