Voyage
Notoirement réputé pour ses casinos, ce territoire de la Chine du Sud est officiellement communiste et laïc depuis 1999. Mais on ne déloge pas facilement mille croyances séculaires, apportées dans les bagages d’aventuriers qui ont façonné une civilisation hors normes…
En chiffres
- 550 000 habitants.
- 60 000 bouddhistes (officiellement), sans doute 450 000 en réalité.
- 20 000 catholiques.
- Environ 3 000 protestants et une centaine de musulmans
En mai, la pluie baratte la mer de Chine, pailletant de lumière lactée le delta du fleuve des Perles, brouillant la Macao Tower sur la rive occidentale. 35 °C, 98 % d’humidité, tee-shirt à tordre. A Hong Kong, les accros à la roulette prennent le ferry d’assaut. Résistant à l’envie d’une douche glacée, on débarque une heure plus tard, impatients d’admirer le fantasme colonial. Raté ! Macao présente alors son profil surréaliste : des barres résidentielles dignes des soviets. Certes, le territoire doit loger 550 000 habitants sur seulement 29 km². Suivent des casinos communistes pris de la folie des grandeurs, rivalisant de dorures, leurs spots luisant comme de dangereux reptiles dans la nuit macanaise. Tour Eiffel en construction et Venise de carton-pâte, les tripots alignent les clichés et… quatre fois le chiffre d’affaires de Las Vegas ! La palme du mauvais goût revient haut la main au nouveau et démesuré Galaxy Macau : 1,1 million de mètres carrés, 6 hôtels de luxe et d’innombrables magasins. Démesurément mégalo, en fait, à destination de flambeurs hypnotisés par leurs piles de plaques et par les courses de lévriers retransmises en vidéo. Jamais ils n’iront caresser la peau du petit dragon dont les racines plongent si loin qu’elles ont été classées au patrimoine mondial de l’humanité en 2005. Essaimant depuis son Inde natale jusqu’à ce calice empoisonné, la congrégation de mère Teresa ramasse sur le trottoir les joueurs, hier si riches, et aujourd’hui essorés par des mises folles et des martingales hasardeuses. « Nous écoutons la honte et la douleur, nourrissons et tentons de payer le retour en Chine à ceux qui ont tout perdu [55 % des joueurs sont en effet Chinois, NDLR] », déplore la mère supérieure, qui ouvre avec plaisir sa mission et la paisible école où de jeunes enfants hurlent Au clair de la lune en cantonais.
Plongée dans la saudade
Alors, elle est où la carte postale ? Entre les mâchoires de béton prêtes à se refermer sur la miniature historique. Ici, on les adore, ces Portugais qui, avant de rétrocéder Macao à la Chine ont eu la politesse de restaurer et de repeindre. Nous parcourons le cercle militaire tout rose, les ruines de l’église São Paulo, foulons les mosaïques du Largo do Senado, blotti entre des demeures du XVIIe siècle fardées d’ocre. Ses bancs servent aux parties d’échecs, aux bébés qu’on aère, aux vieux os réchauffés de pyjamas de soie. Coiffés de paille, des jardiniers épilent des pavés de leur herbe tandis qu’un petit bonhomme promène du bout des doigts son oiseau en cage, heureux de notre intérêt pour son plumage. Eblouissement devant un lac ensauvagé de lotus qui contourne l’avenue Praia et ses coquetteries vert menthe léguées par les maîtres portugais. Le voyeur du XXIe siècle s’invite dans ce quotidien petit-bourgeois muséifié, explorant des chambrettes qui repoussent la tentation à coup d’images édifiantes. En ressentant la saudade qui sourd des architectures pastel, en papotant avec les habitants, se révèle à nous une société en acier trempé capable d’absorber tous les chocs de l’histoire, y compris son statut de « région administrative spéciale » depuis son rattachement à la République populaire de Chine en 1999.
A l’Institut polytechnique de Macao, l’historienne Tereza Sena partage son savoir, passionnément : « Entre Chine et Europe, Macao est toujours ambivalente. Plus que de politique, elle résulte d’une histoire de personnes qui explique cette mosaïque locale libre et pacifique – tout le monde est cousin. C’est une société en survie permanente, qui s’est toujours adaptée aux changements. » Un bambou ployant au vent nous traverse l’esprit. « C’est exactement cela ! 2 000 familles oligarchiques concentrent les pouvoirs depuis le XVIIIe siècle. Perdant de leur influence, elles préservent le futur en partageant les hautes charges avec des Chinois – 168 000 Macanais ont un passeport portugais actuellement. » Cette société métissée est gardienne d’une double culture, portugaise et chinoise, dont le télescopage a eu lieu en 1553, lorsqu’un galion accosta devant le temple dédié à A-Ma. La déesse des pêcheurs et des marins est toujours vénérée, tandis que l’enseignement du Tao subsiste sous les tuiles vernissées fondues dans l’ombre de majestueux banians. « Pour nous, taoïstes, confie O Man Seng, qui gère le site, toutes les religions mènent sur une voie positive. Chacun crée son paradis ou son enfer. Le Tao n’impose rien, n’interdit rien. » Même pas la géomancie, pratiquée au temple avec cent bâtonnets numérotés placés dans un étui en bambou pour interroger le futur.
Flanquée, au sud, des îles Coloane et Taïpa, dolente comme un félin repu, Macao préfère d’expérience la négociation, la tolérance et la fusion des cultures. Contrairement aux fanatiques, qui imposent leurs dogmes à la kalachnikov et qui dynamitent la mémoire