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Religieuse Macao, des dieux et des jeux
Le jour anniversaire de la naissance de Bouddha, il est de tradition de partager le riz dans toute la ville après avoir procédé aux rites de purification.
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Voyage

Religieuse Macao : des dieux et des jeux

Voyage

Notoirement réputé pour ses casinos, ce territoire de la Chine du Sud est officiellement communiste et laïc depuis 1999. Mais on ne déloge pas facilement mille croyances séculaires, apportées dans les bagages d’aventuriers qui ont façonné une civilisation hors normes…

des peuples, ce bout de terre surpeuplé fascine par son hospitalité illimitée envers l’étranger et ses croyances. Parmi les confessions présentes, une centaine de musulmans et des protestants, dont l’une des églises, noyée dans la verdure, accueille un cimetière où reposent soldats et missionnaires, dont l’Ecossais Robert Morrison, premier traducteur de la Bible en chinois. « 60 000 bouddhistes sont recensés, mais 400 000 serait un nombre plus proche de la réalité, précise Cheng, spécialiste des religions. Le bouddhiste va facilement d’une église à l’autre. Il est courant que des parents soient d’une religion et les enfants d’une autre, souvent catholique puisque la meilleure éducation passe par les écoles catholiques. Ce mélange religieux est surtout perceptible lors des fêtes qui se bousculent sur notre calendrier et qui tournent de plus en plus à la parade. Le bahaïsme, importé par les gurkhas indiens échoués ici au gré des guerres coloniales, est aussi très actif, bien que sans église. A l’évidence, Macao commence à ressentir l’influence laïque de la Chine. La diversité de ses cultures va dépendre du gouvernement chinois – il ne faut pas oublier qu’il chasse les catholiques et les Tibétains. »

Un lundi à Macao

Fêter trois dieux en un jour ? C’est tout Macao, ça ! Ce lundi entrecroise Pentecôte, anniversaire de Bouddha et fête du dragon ivre. Nous cavalons avec la foule excitée au rythme du déplacement des dragons de tissu qui se contorsionnent sur les épaules de porteurs aux déguisements hallucinants. On se marche dessus pour échapper aux pétards infernaux et aux salves de vin chinois postillonné par les officiants ivres (puisque c’est la tradition). Une venelle plus loin, le Portugal apostolique et romain balance les encensoirs. Les prêtres en chasuble rouge sang brodée de croix d’or fêtent l’Esprit saint. Les cloches sonnent. L’Agnus Dei s’envole sous les voûtes de bois couleur citron et vanille, porté par les voix d’enfants de chœur en aube de dentelle blanche. Cela faisait un bail que l’on n’avait pas vu tant de missels ! Les encens capiteux saturent l’air, certains, de la taille d’un arbre, sont réputés envoyer au ciel votre message au patchouli plus vite qu’Outlook ! A Saint-Dominique – splendeur baroque –, Saint-­Lazare, Notre-Dame-de-la-Miséricorde, les pratiquants allument un cierge à Fatima. Comme tous les matins, les mêmes ont brûlé trois bâtonnets rituels sur l’autel rivé au seuil de leur porte et offert une orange au Bouddha ventripotent pour son anniversaire.

La fête du dragon ivre est aussi l’occasion de se déguiser.
La fête du dragon ivre est aussi l’occasion de se déguiser. Guillaume Rivière

En se glissant dans le lit de leurs conquérants portugais, les épouses chinoises ont engendré ce melting-pot unique qui s’infiltre partout. Qu’il s’agisse de la cuisine macanaise – exquise –, mâtinée d’ingrédients asiatiques et d’une touche d’Europe de l’Ouest, ou des croyances intellectualisées par des générations prestes à la génuflexion comme à la prosternation au temple Kun Iam. Avenida do Coronel Mesquita, l’édifice du XIIIe siècle gardé de lions de granit conserve en effet une silhouette qui confine au grandiose. Derrière les portes ornées du dieu de la justice, des bonzes en robe grise méditent sous d’antiques tambours et sous des cloches de bronze, chargés de prières dans d’émouvantes chambres des morts perdues dans les patios.
Encore préservée, l’île de Coloane vaut bien une messe, se dit-on. On passerait volontiers la journée dans la plus mignonne chapelle du monde, Saint-François-Xavier, ornée d’une Marie japonisante en habit impérial et d’une nef bleu de mer éclairée de lampes chinoises en papier rouge frangé d’or. Une brise fragile nous pousse néanmoins vers le temple de Tam Kung, à 50 mètres, dont on dit merveille de son bateau dragon sculpté dans un os de baleine. Le seul mouvement sous le toit de cèdre vient de poteries vernissées dans lesquelles des tortues surnagent paresseusement malgré une eau proche de l’ébullition. De fait, l’animation s’est judicieusement déplacée sur la jetée pour le déjeuner. Blindées, les gargotes de Coloane ne dépareraient pas en Algarve, avec leurs nappes cirées, le parfum d’ail, les palourdes ameijoas. Aux tables, le microcosme de l’aristocratie locale se lèche les doigts. On la reconnaît à son teint d’ivoire et à ses yeux en amande, héritage de sangs mêlés depuis cinq siècles. Ana, Instagirl aux élégantes tresses, fait partie d’un clan dont la généalogie est un modèle du genre : « Ma grand-mère était chinoise, mon grand-père métis. Je suis catholique, mais je demande souvent ses faveurs à Bouddha. Quant à ma fille de 10 mois, elle a été baptisée au Portugal, où nous avons une propriété. » Ces influences ­crèvent les yeux dans les bijoux de jade qu’Ana crée. Mais aussi dans son militantisme tout neuf pour sortir du purgatoire le patois sino-portugais, nouvel enjeu identitaire pour 30 000 Macanais de souche face à plus de 1 milliard de Chinois.

Le diable en laisse

Pour notre quatre-heures, on nous a tellement vanté le moelleux flan au lait lisboète qu’on déboule comme des loups affamés dans la rua do ­Supico, à Taïpa. Les arômes de sucre chaud flattent notre nez au passage de pâtisseries lancées dans une concurrence impossible à arbitrer ! Pas question pour autant de manquer le partage du riz qui préside à la naissance de Bouddha. Dans la moiteur, le ciel bombarde des gouttes du calibre d’un litchi sur les parapluies qui s’enroulent autour du Red Market, dans le quartier chinois. Le long des murs sang de bœuf, la foule patiente pour recevoir ce symbole de prospérité arraché à la rizière. Sous les lampes cerise, les ménagères font leurs courses, choisissant sur patte une volaille affolée de l’avenir qu’on lui réserve. L’œil attristé d’une carpe qui cauchemarde des sushis dans son aquarium nous poursuit jusque dans la maison de Lou Kau, riche négociant chinois du XIXe siècle qui y vivait avec épouses et concubines. Bienvenue dans l’univers délicat du ­réalisateur Zhang Yimou, depuis la galerie supérieure aux larges lits de fumeurs d’opium jusqu’aux cours où perce un éden gris et rouge d’un charme inouï. A peine repassé le porche, « ding ! » fait la cloche tibétaine. Un autel a poussé sur le trottoir. Sik Nan Jan, l’une des dix nonnes bouddhistes de Macao, partage le riz avec le quartier. Revêtue de sa plus belle toge safranée, elle purifie son petit monde à l’eau parfumée : « J’adore la messe catholique, surtout chantée, car, ainsi, même l’oiseau peut comprendre. Moi aussi, ­depuis vingt ans, j’enseigne nos principes bouddhistes en chantant. » On accepte sa rafraîchissante infusion de chrysanthèmes avant de rejoindre la place Largo da Sé, au milieu de laquelle s’est installé un chiromancien, qui exerce depuis trente-cinq ans sous un parasol. Une fois notre paume européenne collante prisonnière de sa main sèche et parcheminée, l’oracle creuse du pouce lignes de la main et sourcils – c’est là que réside notre capital chance ! –, et rumine notre date de naissance. Avenir impec jusque vers 85 ans, ensuite, il faudra s’inquiéter conclut notre nouvel ami.

Macao, ce sont ses marchés et ses vieilles rues animées.
Macao, ce sont ses marchés et ses vieilles rues animées. Guillaume Rivière

« Tout est signe, dès lors qu’on cherche des signes », écrivait le philosophe Alain. Et des signes, il en pleut à Macao ! Le bonheur rouge, comme la monnaie brûlée au temple et comme ces robes de mariées carminées qui trans­forment les futures épousées en œillet. L’omniprésent chiffre 8, proche du phonème « fa » qui signifie « prospère », alors que le 4 résonne comme « mort », aussi anxiogène que notre 13, et qui est donc banni des hôtels qui sautent sans façon du 3e au 5e étage. Les sens maintenant aiguisés, on repère dans les voitures un Donald ventousé près de dieux secondaires à double effet distrayant et protecteur, des pentacles cabalistiques tatoués sur l’omoplate, du jade au poignet pour s’assurer la longévité. Puis, d’étranges talismans censés dévier jusqu’aux balles. Ces objets chamaniques confectionnés dans les temples thaïs sont repliés dans un monde souterrain, que ne dédaignent ni l’homme politique en mal de leadership, ni la femme en quête de philtres d’amour. Ouverte jusqu’à point d’heure pour les joueurs poursuivis par la scoumoune, l’une de ces mystérieuses boutiques appartient à une sorcière aux yeux de léopard cachant des talismans sur ses hanches. Pas un touriste, là-dedans. Palpable, la tension se dégage d’une figurine magique sans tête, minuscule, ligotée d’herbes et tenant une épée. Elle renfermerait l’âme d’un soldat mort au combat et cohabite avec des dieux à tête de tigre, promesse de chance et de force. Des amulettes plus anciennes, plus puissantes, s’arrachent à prix d’or comme cet exquis dragon d’ivoire dont les sortilèges furent tressés par un moine incinéré depuis des lustres. Une amulette Phra Nang Phaya – destinée aux femmes soucieuses de séduire – nous supplie de la choisir. Un bon investissement. On nous donne sérieusement le mode d’emploi, nous priant d’en prendre soin et de ne jamais l’ouvrir (ce qu’on fait malgré tout, surpris par un doux parfum envoûtant). On doit l’éloigner de parties impures de notre corps et, bien sûr, éviter toute relation sexuelle avec la relique au cou afin d’éviter des bricoles au partenaire. Tenant le diable en laisse, maraboutés par la divine Macao, nous retournons non sans quelques regrets à notre monde si cartésien.

Pratique

Se renseigner

Office du tourisme de Macao :
fr.macautourism.gov.mo

Y aller

Excellent service à bord de Cathay Pacific, qui assure des rotations très régulières directes Paris-CDG – Hong Kong  (pensez à réserver votre place de ferry pour Macao avant de partir).
A partir de 902 € en classe éco et jusqu’à 3 000 € en business, selon période. www.cathaypacific.com

Hôtel

Mandarin Oriental,
Avenida Dr Sun Yat Sen, Nape.
www.mandarinoriental.com/macau

Restaurants

  •  Le nouveau Tromba Rija, au beau décor d’azulejos bleu marine et blanc, offre une vue sur la mer depuis la terrasse, et un buffet macanais d’une fraîcheur renversante.
    Rez-de-chaussée de la Macao Tower.
  • Le Litoral, lieu magique d’obédience macanaise, est l’une des meilleures tables de la ville. Porc au caramel et palourdes succulents.
    261A rua do Almirante Sergio.
  • On a adoré The Tasting Room, où œuvre avec intelligence le Français Guillaume Galliot, dont la soupe à l’oignon, fusionnée avec la Chine, restera dans notre mémoire.
    City of Dreams, Crown Towers, estrada do Istmo, 3e étage.
  • A la même adresse, au 2e étage, le très chic Jade Dragon, pour une cuisine cantonaise de haute volée et sans doute vos premiers dimsums vert pomme et or.
  • Voir la ville de haut, le soir, depuis le Sky 21, seul rooftop bar de Macao.
    Aia Tower, 251A, avenida Comercial.

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