Horlogerie
De la déformation de corps dans “ Body Meets Dress, Dress Meets Body” de Rei Kawakubo pour Comme des Garçons aux premières - choquantes - collections haute couture d'Alexander McQueen chez Givenchy et de John Galliano chez Dior, de l'entrée dans l’Olympe de la mode de Jean Paul Gaultier et Thierry Mugler à la mort tragique de Gianni Versace… “1997 - Fashion Big Bang” au palais Galliera, à Paris, retrace les étapes d’une année charnière, voire révolutionnaire, pour la mode contemporaine.
En 2018, en découvrant les archives de presse pour étudier “Stockman”, la collection printemps-été 1997 de Martin Margiela, Alexandre Samson n’imaginait pas ouvrir une boîte de Pandore.
Pourtant, des créations haute couture d’Alexander McQueen chez Givenchy et de John Galliano chez Dior, à la collection prêt-à-porter de Rei Kawakubo pour Comme des Garçons, le commissaire d’exposition étire un fil rouge qui traverse toute l’année et qui fait du 1997 un véritable tournant dans l’univers de la mode. Les prémices de l’exposition 1997, Fashion Big Bang, qui s’ouvre ces jours-ci au Palais Galliera à Paris, étaient établis.
Collections majeures et nominations marquantes pour une année charnière dans la mode
Dans trois salles rassemblant plus de 50 silhouettes, on découvre un enchaînement de collections de rupture, des nominations marquantes et quelques événements considérés comme le lancement de la mode du XXIe siècle – rien que ça. “Il faut parler d’une constellation d’éléments qui ont créé le système fashion d’aujourd’hui en constante évolution”, explique Samson, commissaire de l’exposition.
Le bouleversement ne peut commencer qu’avec le défilé « Body Meets Dress, Dress Meets Body » de CDG par Kawakubo. Née de sa colère après avoir observé une vitrine de la marque GAP remplie de vêtements noirs trop simples, la collection conteste avec force les canons de la beauté féminine en vigueur, en proposant une nouvelle relation entre les corps et les vêtements, dominée d’imposantes protubérances asymétriques, des couleurs unies et d’imprimés géométriques.
“Encore aujourd’hui, c’est une œuvre accueillie avec des regards divergents. On peut l’adorer et on peut la détester”, souligne le commissaire, les yeux tournés vers la robe CDG, prêt de CDG Tokyo, qu’il considère comme la pièce-phare de l’exposition. Juste à côté, c’est Gucci qui se fait remarquer, avec son enfant terrible Tom Ford et l’emblématique G String. Un peu plus loin, le buste de mannequin Stockman commun à toutes les maisons de couture nous parle du travail d’atelier dans l’ombre de la création finale révélée au grand public.
“Ces collections parlent beaucoup de la société de ces années-là. En 1996 l’Écosse annonce le clonage de la brebis Dolly. L’année d’après la France inscrit dans la loi l’interdiction du clonage humain. Sans oublier la multiplication des témoignages des victimes de chirurgie esthétique ratée. Durant cette période, il y a une vraie anxiété par rapport au corps, qui se reflète dans la mode”, souligne Alexandre Samson.
Renaissance de la haute couture
Mais ce “Big Bang” , comme le décrit à l’époque le magazine parisien Vogue dans ses colonnes, passe aussi et surtout par la haute couture, où la révolution prend les traits d’une véritable renaissance.
À seulement un jour de distance l’un de l’autre, le 19 et le 20 janvier 1997, McQueen et Galliano secouent la capitale française avec leur débuts chez Givenchy et Dior. Le premier joue avec le logo de Givenchy, qui lui rappelle les frises de grecques antiques, en présentant une collection entièrement inspirée de la mythologie grecque, accueillie avec perplexité par la presse. Pour le 50e anniversaire de Dior, Galliano mise sur un univers baroque où les références historiques se multiplient.
La même attitude de rupture se retrouve chez Jean Paul Gaultier et Thierry Mugler, qui après la notoriété conquise dans les années 1980, font leur entrée triomphante dans l’haute couture. L’un avec le show “L’enfant terrible”, dénuée de musique mais accompagnée de la voix de la journaliste Élisabeth Quin qui commente chaque passage. Le second avec “Les Insectes”, que Mugler trouve “fragiles, légers et caparaçonnés” comme les femmes qu’il habille.
L’effet est immédiat. Un grand coup d’air frais balaye Paris, dont le statut de capitale mondiale de la mode faiblissait sans conteste. Preuve en est : les maisons de haute couture étaient ainsi passées de 200 à 15 en activité en seulement un demi-siècle.
“Aujourd’hui il est à nouveau acquis que Paris est la capitale mondiale de la mode. Historiquement mais aussi actuellement : 60% des designers sont étrangers, on ne trouve pas cela à Milan, à New York ou à Londres. Et c’est en 1997 que la ville réaffirme sa centralité” – Alexandre Samson
1997, c’est aussi le début de la médiatisation et de la mise en scène spectaculaire des défilés. Les mauvaises langues sussurreraient que, de nos jours, le spectacle a remplacé le propos. Pas de show sans performance. Parmi les plus récentes, on se souvient de la robe en spray vaporisée sur le corps de Bella Hadid et transformée en matière par Coperni, ou de l’effet-spectacle des jumeaux chez Sunnei à la Fashion Week d’octobre dernier à Paris.
Plus récemment, Coperni, toujours, tentait de faire le buzz pendant la Fashion Week parisienne en utilisant des chiens-robots de Boston Dynamics qui interagissent avec les modèles. Autant de tentatives peu convaincantes d’ouvrir la voie futuriste mais simpliste de l’interaction entre création et intelligence artificielle.
Certes. “Mais à ce moment-là c’était un choc qui a attiré l’attention des médias venant de partout. On n’avait que 30% de presse nationale”, détaille le commissaire de l’exposition. Une ère spectaculaire qui, selon Alexandre Samson, bénéficie d’une légère remise en question. “Regardez la nouvelle direction prise par Demna chez Balenciaga. C’est clair qu’il y a une introspection. On revient au tailoring, aux silhouettes plus construites, à la recherche surtout, qui est la source de la mode occidentale”.
De nouvelles voix se lèvent
1997, c’est aussi l’explosion de jeunes talents destiné à marquer les années 2000 : Stella McCartney chez Chloé, Nicolas Ghesquière chez Balenciaga, Olivier Theyskens, Hedi Slimane…
En même temps, l’année est marquée par plusieurs événements clés. L’iconique concept-store Colette ouvre ses portes à Paris; pour la première fois dans l’histoire de la mode un styliste, Jean-Charles de Castelbajac, habille le pape de l’époque, Jean Paul II et le clergé pour les journées mondiales de la jeunesse ( la chasuble des évêques décorée d’un large bande verticale inspirée d’un arc-en-ciel est un incontournable); Gianni Versace est assassiné par Andrew Cunanan devant sa ville de Miami et l’héritage de la marque est pris en main par sa sœur Donatella, dont le premier défilé est un succès auprès de la critique.
C’est la fin d’un monde et l’ouverture d’une ère nouvelle de la mode qui se déploie devant les yeux des spectateurs, invités à passer en revue les vêtements, les vidéos et les documents d’archive inédites en écoutant la playlist conçue pour l’occasion par Michel Gaubert, historique illustrateur sonore des défilés de mode depuis les années 1980.
1997 – Fashion Big Bang
Palais Galliera, 10 Av. Pierre 1er de Serbie, 75116 Paris
Du 7 mars au 16 juillet 2023
L.P.
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