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Le milieu feutré de l’horlogerie s’offre une deuxième jeunesse par l’entremise de plates-formes de financement participatif, 2023 - The Good Life
Ⓒ Buci.
Marine Mimouni

High Tech

Les nouvelles marques d’horlogerie misent sur la précommande

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Après avoir acquis ses lettres de noblesse à la fin du XVIIIe siècle, le principe de souscription dans le milieu feutré de l’horlogerie s’offre une deuxième jeunesse par l’entremise de plates-formes de financement participatif. Un procédé qui peut contribuer grandement à l’installation d’une nouvelle marque sur le marché. À condition, toutefois, d’éviter certains écueils.

L’histoire de l’horlogerie fut maintes fois contée. Au cours des années 1793-1795, Abraham–Louis Breguet, fondateur de la maison du même nom, s’exile en Suisse pour fuir une France en proie à la Terreur et ses relents postrévolutionnaires, et peaufine une « stratégie marketing » qui va marquer son temps : la montre de souscription. L’initiative est limpide : proposer un produit, en série limitée, payable en partie lors de la commande. Un modus operandi permettant de financer une production tout en s’exonérant ainsi d’une avance de trésorerie en fonds propres.


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Le boitier en titane de la Time Travelers, d’Awake et son cadran, en météorite, vieille de 4,5 milliards d’années.
Le boitier en titane de la Time Travelers, d’Awake et son cadran, en météorite, vieille de 4,5 milliards d’années. awake

Si les historiens et autres exégètes de l’industrie s’écharpent sur le véritable « père » de cette méthode, « l’horloger des rois » demeure aux yeux de beaucoup le précurseur du financement participatif. Le concept, quelque peu tombé en désuétude avec la montée en puissance de l’industrie de masse, va être largement remis au goût du jour avec l’émergence des plates-formes de financement participatif offrant à tout un chacun de devenir souscripteur et, ainsi, d’avoir accès à des éditions limitées.

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Toutefois, si Breguet, au moment de cette géniale intuition, jouissait déjà d’une réputation et d’une aura importante dans le milieu de l’horlogerie, le financement participatif moderne facilite, à l’inverse, la mise en lumière d’initiatives gagnant à être connues. « J’ai moi-même eu recours à ce dispositif, via Kickstarter, en 2015, au moment de lancer ma marque. En parvenant à réunir 200 000 euros en quatre semaines, j’ai pu sereinement honorer les premières commandes », relate Guillaume Laidet, fondateur de William L.

Un parachutage réussi qui lui permettra de revendre son entité trois années plus tard. Car le recours au financement participatif, grâce à des plates-formes renommées comme Kickstarter, est un levier pour susciter la désirabilité et l’attente entre précommandes et livraisons, ne faisant qu’accroître le buzz autour d’un projet. 


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Ⓒ Awake.
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Le marketing de l’attente

Galvanisé par ce coup d’essai, Guillaume Laidet reprend la même recette pour le lancement à venir de son nouveau bébé, Argon Watches, mené de concert avec l’horloger parisien Théo Auffret. « La campagne Kick­starter démarre mi-mai et nous avons déjà un millier de personnes sur liste d’attente », se félicite celui qui a également œuvré au réveil de belles endormies, comme Vulcain ou Nivada Grenchen.

Toujours grâce au dispositif de précommandes, mais avec quelques nuances néanmoins. « Ces maisons étaient déjà suffisamment établies [Nivada Grenchen a vu le jour en 1926, NDLR] pour ne pas faire appel à une plate-forme de financement participatif. De simples précommandes sur le site des marques suffisaient, même s’il a fallu faire montre de pédagogie pour des maisons peu habituées à vendre leurs créations sur Internet », ajoute-t-il.

Ⓒ DR.
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Pour autant, ce type de modèle est-il viable sur la durée ? Une griffe peut-elle, une fois son intro-nisation « validée » par ce processus, continuer à procéder de la sorte ad vitam æternam ?

Simo Tber, qui œuvre au renouveau de Jacques Bianchi, avec Fabrice Pougez, et accompagne d’autres marques dans leur stratégie, émet quelques réserves : « Si Kickstarter peut faire office de rampe de lancement pour de nouvelles entités, je doute que cela soit pertinent d’étirer ce modèle dans le temps. Pour demeurer judicieux, le recours au système de précommandes doit s’effectuer ponctuellement, pour épicer la relation entre le client et la marque. De plus, au bout d’un moment, ce dernier va avoir envie de toucher le produit. »

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Néanmoins, quelques contre-exemples existent, au premier rang desquels le Malaisien Ming, auréolé du titre honorifique de Meilleure marque indépendante du monde, et qui ne jure que par ce modèle. « C’est ce qui permet à Ming, qui ne fait que des précommandes sur son site, d’afficher des prix extrêmement compétitifs. Cette entreprise, hormis le design et la création, n’a aucun coût de fonctionnement. Aucune publicité, aucun intermédiaire, mais une énorme communauté », constate Lilian Thibault, fondateur de la marque Awake Concept, et son bracelet tricolore, popularisés aux yeux du grand public par le président de la République Emmanuel Macron. 


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S’approprier la marque 

Car l’aspect communautaire et identitaire revêt également une importance capitale pour tout projet qui se respecte et s’avère, par essence, indissociable du financement participatif. « Kickstarter est devenu, dans le milieu horloger, un levier qui permet d’intégrer le client dans la démarche de création de l’objet. Entre l’ouverture des précommandes, le paiement et la réception du produit, il peut s’écouler entre trois et six mois. Ce qui donne au client le temps de s’approprier la marque, souligne Simo Tber. Au moment où votre garde-temps est livré, il a une saveur particulière, différente de celle ressentie lors d’un achat compulsif. »

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Une relation spéciale empreinte de synergies plus directes rendue possible par l’absence d’intermédiaires, autre « avantage » de ce modèle. « La souscription permet d’avoir un contact direct avec l’acheteur. Et ce, finalement, avant même qu’il ne devienne client, puisqu’il s’enregistre, au départ, sur une liste d’attente », explique Marc Montagne, fondateur du podcast Répétition Minute et auteur de l’ouvrage Invest in Watches, qui se refuse cependant à diaboliser le retail.

« Alors certes, moins ou pas d’intermédiaires signifie également de meilleures marges pour la marque. Mais il ne faut pas, néanmoins, tomber dans la facilité. Certains revendeurs sont établis depuis des années et bénéficient d’un véritable savoir-faire très utile au moment du choix final », conclut-il. 


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Ⓒ Awake.
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L’horlogerie au service de l’environnement ? 

Autre point à ajouter au crédit du financement participatif : les vertus écologiques conférées à ce modèle. Lilian Thibault peut en attester, lui qui a nommé sa marque ainsi pour œuvrer, à son échelle, à « l’éveil des consciences » sur ces problématiques : « Le dispositif de précommandes épouse tout à fait les valeurs que je souhaitais mettre en avant avec Awake. Dès lors, pas de surproduction, pas d’invendus, pas de stocks et, surtout, une production complètement en adéquation avec la demande. »

Car, à ses yeux, l’horlogerie doit également faire son aggiornamento concernant son impact sur l’environnement. « La montre est un outil de mesure qui doit nous rappeler à chaque instant que notre temps sur cette planète si fragile est compté. La montre, avec le temps, est devenue un objet hautement statutaire. Voilà pourquoi il est utile de disposer d’un témoin de vos valeurs au poignet. » À méditer. 


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