Voyage
On aime dire qu’un nouveau musée ouvre chaque jour ses portes en Chine. Parmi les mille visages de cette Chine contemporaine, il y en a un qui illustre avec enthousiasme cette effervescence culturelle et que l’on gagne à découvrir. A mi-chemin entre Shanghai et Hong Kong, Xiamen dessine le profil d’un pays qui se positionne sur le devant de la scène artistique mondiale.
L’ancienne ville de pêcheurs de Xiamen a vu naître dans les années 80 Xiamen Dada, l’un des premiers mouvements d’art contemporain chinois, dont faisait partie le renommé Huang Yong Ping. Elle est connue depuis peu pour sa piste cyclable, la plus longue du monde, conçue par les danois Dissing + Weitling, et depuis des décennies pour sa proximité avec Gulangyu, l’un des principaux sites touristiques du pays.
A quelques minutes en bateau depuis Xiamen, cette petite île piétonnière se présente comme un joyau d’architectures pittoresques d’inspiration coloniale où vont se faire photographier les jeunes mariés. Elle ne présente en réalité que peu d’intérêt.
La photographie à l’honneur
Aujourd’hui, l’attraction de Xiamen se joue ailleurs. Depuis 2015, Jimei x Arles – le pendant chinois du festival de photographie Les Rencontres d’Arles – se déroule à Xiamen, au cœur et aux alentours du Three Shadows Photography Art Center, premier musée du pays dédié à la photographie.
L’occasion de (re)voir huit expositions de la programmation arlésienne. Mais aussi et surtout, grâce à une vingtaine d’expositions autour de la Chine et de l’Asie en général, l’occasion de découvrir des scènes trop rarement mises en avant. Par ailleurs, Victoria Jonathan et Bérénice Angremy, le duo de directrices du festival Jimei x Arles – à la tête de l’agence Doors, la même entité aux manettes de l’exposition Picasso la plus importante jamais organisée en Chine, qui a accueilli des centaines de milliers de visiteurs en 2019 –, mettent chaque année une autre scène que la chinoise à l’honneur.
Pour cette cinquième édition, du 22 novembre au 5 janvier, elles ont ainsi préparé un commissariat spécial sur l’Inde. Ce festival serait donc un outil formidable pour découvrir la photographie chinoise et un merveilleux prétexte pour venir séjourner dans cette ville singulière. Une cité que les amateurs surnomment désormais « Xia-lifornia ».
Les deux directrices du festival se réjouissent de leur participation à l’éclosion culturelle d’une ville à laquelle elles ont fini par s’attacher. « C’est absolument passionnant d’être parmi les premiers à intervenir dans un lieu en plein développement et de voir ses activités créatives grandir au même rythme que sa croissance économique. »
Les trésors du Fujian
Si vous restez plus de 48 heures en ville et souhaitez en profiter pour découvrir la région, la province du Fujian regorge de trésors. Deux excursions à ne pas manquer : A deux heures de voiture de Xiamen, il faut prendre le temps de se laisser bouleverser par l’architecture unique des tulous. Ces villages forteresses composés de maisons principalement rondes, dont certaines remontent au xve siècle, sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco en tant qu’« exemples de bâtiments exceptionnels de par leur taille, leur tradition de construction et leur fonction. Ils constituent un exemple unique de peuplement humain, fondé sur une vie en communauté et des besoins défensifs tout en maintenant une relation harmonieuse avec leur environnement. » Ils font partie des plus beaux villages historiques de la Chine et provoquent un dépaysement absolu et instantané. A trois heures de TGV de Xiamen, au nord de la région du Fujian, vous découvrirez la montagne Wuyishan. Cette réserve naturelle aux paysages spectaculaires permet de contempler des temples magnifiques et une végétation merveilleusement préservée au milieu de laquelle on découvre avec éblouissement des champs de thé aux inoubliables parfums enivrants.
Epicentre culturel
A Xiamen, l’atmosphère est plus paisible qu’ailleurs en Chine. C’est sans doute la raison pour laquelle de nombreux jeunes créateurs en ont fait leur épicentre. On les appelle le « Xiamen Fashion Gang » et certains vont jusqu’à les comparer aux « Six d’Anvers ». Plusieurs d’entre eux ont étudié à Londres. Une fois de retour au pays, tous ont préféré la ville côtière et sa – relative – douceur de vivre au tumulte de Pékin ou de Shanghai.
Parmi eux, Vega Zaishi Wang et sa marque du même nom. Lorsqu’on rencontre la jeune femme dans sa confortable maison avec vue sur la mer, elle est enceinte de son premier enfant et partage avec conviction son enthousiasme quant à la communauté de jeunes entrepreneurs créatifs et ambitieux évoluant à ses côtés. Il y a une véritable émulation collective, un terreau économique très productif et, surtout, une volonté de vivre différemment.
Cette génération ne souhaite pas reproduire les schémas de ses aînés qui ont consacré l’intégralité de leur vie au travail. Au contraire, ils attribuent une place prépondérante et sans précédent au confort dans leur mode de vie. Tous se connaissent. Ils se retrouvent notamment au Thank You Cafe, une cantine à l’allure berlinoise au cœur du quartier créatif de Xiamen, dirigé par Dave Situ, une figure locale. Désormais, ils peuvent aussi compter sur la nouvelle adresse ouverte par Huang Rui, l’At Cafe. Cette dernières propose non seulement l’un des meilleurs espressos de Chine, mais aussi un accrochage des plus pointus, supervisé par cet artiste mondialement acclamé.
3 questions à l’artiste RongRong Cofondateur du festival Jimei x Arles - Pionnier de la photographie chinoise et fondateur du Three Shadows Photography Art Center, le tout premier musée de la photo en Chine.
The Good Life : Qu’est-ce qui a motivé la création de votre festival à Xiamen ?
RongRong : Je suis né dans une petite ville du Fujian, à une journée de voiture de Xiamen. J’ai toujours aimé y passer du temps. Jeune homme, je venais y acheter des livres et je rêvais d’y intégrer l’école des beaux-arts. J’ai été refusé à trois reprises. Je suis donc allé à Pékin où, quelques années plus tard, j’ai créé Three Shadows. Je revenais régulièrement voir ma famille à Xiamen. Je m’appercevais que les choses avançaient : l’économie se développait, mais la ville manquait de diversité et d’un pôle culturel. Le gouvernement du district de Jimei m’a alors approché. On m’a demandé de réfléchir à la création d’un événement culturel. Cela a immédiatement fait écho en moi. J’ai pensé à Arles, ce festival que j’aime tant et qui incarne une identité forte et unique depuis tellement longtemps. Entre 2010 et 2012, j’avais collaboré – avec François Hébel, le précédent directeur des Rencontres d’Arles, et Bérénice Angremy – à la création d’un festival à Pékin. En 2015, lorsque Sam Stourdzé a pris, à son tour, la direction des Rencontres d’Arles, je l’ai invité à visiter Xiamen. Nous avons alors décidé d’y implanter le festival.
TGL : Quelle place occupe ce festival en Chine ?
RR. : Nous sommes trop modestes pour nous considérer comme le meilleur des festivals de photo en Chine ! C’est aux autres de se prononcer. Pour ma part, je ne fréquente pas assez ces événements pour m’exprimer. Cependant, je dois dire que nous cherchons à occuper une place non seulement au sein de la scène chinoise, mais aussi plus globalement dans l’ensemble de la scène asiatique.
TGL : Qu’est-ce qui fait la particularité de cette ville ?
RR. : Xiamen profite de l’une des meilleures qualités de l’air du pays. C’est important ! C’est une ville très confortable, en bord de mer. On y mange bien. Il s’agit désormais d’y apporter du sang neuf à travers le développement de la scène artistique. Contrairement aux autres industries, la culture est invisible, elle s’infiltre peu à peu. Cela prend du temps. Mais je suis convaincu que Xiamen va imposer son style si particulier. Grâce à sa scène créative, les jeunes artistes qui y ont installé leur atelier, la foire d’art, etc. D’ailleurs, la ville attire déjà un large public international.
Douceur de vivre
Si la photo est à l’honneur, l’art n’est pas oublié à Xiamen. Ainsi, l’Amoy Art Fair a célébré avec succès sa cinquième édition. Elle a rassemblé une communauté de collectionneurs confirmés et accueilli, pour la première année, des galeries d’envergure internationale. A l’instar du fameux Ink Studio.
Xiamen se fait donc une place de choix sur la cartographie culturelle mondiale. C’est sans doute pour cette raison que l’incontournable Golden Rooster and Hundred Flowers Film Festival, le Festival de Cannes local, a décidé d’y installer sa prochaine édition. C’est sans doute aussi pour cette raison que les maisons Hermès et Cartier y ont ouvert de nouveaux points de vente. Xiamen saura-t-elle longtemps encore garder sa douceur de vivre ?
Festival international de photographie : Jimei x Arles. Du 22 novembre au 5 janvier, au Three Shadows Photography Art Center et alentours, Jimei District, Xiamen.
www.en.jimeiarles.com
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