Horlogerie
Avec Nicolas Feuillatte, sa marque phare, la troisième mondiale, la coopérative Terroirs et vignerons de Champagne démontre toute la force d’un modèle alternatif entre grandes maisons et vignerons indépendants. Sa dernière création, Palmes d’Or Chronothèque, propulse ses cuvées vers le très haut de gamme.
Si le flacon facetté sombre de la dernière création de Nicolas Feuillatte a contribué à sa réputation, ou au moins à sa distinction, Palmes d’Or vaut surtout pour son assemblage de 95 % de grands crus entre chardonnay et pinot noir, qui lui confère une finesse appréciée. Peu d’amateurs de bulles savent finalement que, derrière la marque Nicolas Feuillatte, se trouve la coopératives Terroirs et vignerons de Champagne (TEVC).
La collection Palmes d’Or Chronothèque réinterprète trois grands millésimes de plus de 20 ans pour œnophiles à la recherche de sensations inédites. Cette démarche engagée par quelques marques plus élitistes, Nicolas Feuillatte la pousse plus loin à sa manière : autour de 350 bouteilles au total sont disponibles, ce qui tient moins de la rareté (une des conditions de l’exercice) que de la pénurie organisée.
La coopérative de Chouilly jouerait-elle dans la cour des maisons les plus prestigieuses de la Champagne ? Le prix reste cependant raisonnable pour ce genre de flacons (260 euros), la maison demeure fidèle à son credo de luxe accessible.
Avec ses 6 000 adhérents, souvent simples viticulteurs qui cultivent de petites surfaces et vendent leurs raisins, le groupement lorgne la place de deuxième acteur le plus important du vignoble champenois (derrière Moët Hennessy et ses maisons), après avoir absorbé l’an dernier une autre coopérative, CRVC, et ses marques Castelnau ou Abelé 1757.
3 questions à Christophe Juarez - Directeur général de Terroirs et vignerons de Champagne.
Terroirs et vignerons de Champagne est-il devenu le deuxième acteur champenois, notamment à travers la marque Nicolas Feuillatte ?
Les volumes collectés durant les vendanges 2022 font de nous, en tout cas, l’un des tout premiers opérateurs de la Champagne, avec les groupes Moët Hennessy et Vranken-Pommery. Quant à notre marque Nicolas Feuillatte, elle reste la troisième mondiale derrière Moët & Chandon et Veuve-Clicquot, portée par le marché français et le développement de ceux des États-Unis et du Japon.
En quoi le modèle coopératif est-il un pilier de la Champagne ?
D’abord parce qu’il permet de proposer aux adhérents une véritable alternative : soit ils nous confient leurs raisins, que nous transformons pour nos marques, soit nous élaborons pour leur compte un champagne qu’ils commercialisent. Les coopératives sont aussi des amortisseurs de crise : quand les ventes sont bonnes, comme actuellement, nous ne sommes pas forcément les mieux‑disants sur le prix du raisin. Mais quand le climat économique se dégrade, nous payons mieux que le négoce.
Sur le plan commercial, êtes-vous aussi dynamique que les maisons indépendantes ?
C’est un rôle éminemment important pour nous, avec des propositions de développement commercial très fortes. Chez Terroirs et vignerons de Champagne, nous avons désormais trois marques bien positionnées : Nicolas Feuillatte, Castelnau, qui sera relancée en 2023, et Abelé 1757 pour le très haut de gamme. C’est une cartographie du marché qui nous paraît pertinente, sachant que nous allons toutes les tirer vers le haut. Parce que le champagne reste l’un des vins les plus sophistiqués et les plus complexes à produire.
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Une coopérative nécéssaire pour les vignerons
La coopération s’est développée depuis un siècle dans toutes les régions françaises. Le modèle promet d’assurer sécurité des débouchés, stabilité des rémunérations et partage de l’outil de travail. En Champagne, il existe 132 coopératives disséminées dans les villages où des vignerons unissent leurs intérêts pour investir, par exemple, dans un pressoir. À un deuxième niveau, des caves régionales vont capter des approvisionnements venus de ces coopératives de villages ou de vignerons particuliers pour ensuite vinifier et vendre en bouteille.
Au sommet de la pyramide, le vignoble champenois compte trois unions de coopératives : TEVC, UnUne cion Champagne (marque De Saint-Gall) et Union Auboise (Devaux). On a coutume de résumer la Champagne à ses maisons de négoce et à ses vignerons indépendants, mais ce troisième pilier a toute sa place dans un système où tous sont liés pour pérenniser une appellation dont la prospérité est enviée par tous les vignobles de France.
Alors que l’année 2022 s’annonce plus réussie encore économiquement que la précédente, la coopération va peser autour de 20 % des 330 à 340 millions de bouteilles attendues : à travers ses propres marques, les cuvées qu’elle élabore pour d’autres et celles qu’elle retourne à ses vignerons adhérents qui les commercialisent.
Nicolas Feuillatte, leader du marché français, développe, année après année, une stratégie de montée en gamme, sur laquelle Guillaume Roffiaen a la main depuis 2014. « Ne jamais rien concéder à la qualité , s’applique à répéter celui qui est passé par le réputé et novateur Michel Drappier. Le champagne, c’est l’assemblage. Un bon sourcing est indispensable pour assurer la constance qualitative. Et chez nous, les approvisionnements sont incroyables avec nos 6 000 vignerons. La coopérative, c’est une grande chance. »
Dès son arrivée, cette forte personnalité s’est attachée à redéfinir les vins de réserve de la maison, ceux qui vont équilibrer et bonifier la cuvée la plus accessible : le brut sans année. Le Reserve Exclusive se veut ainsi emblématique du style Nicolas Feuillatte pour tout juste 30 euros. « Il faut rester accessible et travailler le cœur de gamme, ce qui n’empêche pas d’élaborer de brillantes cuvées d’exception », estime Guillaume Roffiaen, fier de la collection Palmes d’Or Chronothèque : « J’aime laisser du temps au champagne pour s’exprimer et offrir un nouveau profil aromatique. » Un parti pris qui ne modifie pas les vins, au contraire, il les accompagne.
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