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The Plaza vs The Pierre, choc de titans

Deux hôtels mythiques trônent au pied de Central Park et appartiennent au cercle très fermé des palaces. Deux centenaires dont l’esthétique rappelle les châteaux français et qui incarnent le rêve américain : un luxe un peu débordant.

La scène finale du film Nos plus belles ­années, de Sydney Pollack, fut tournée devant le Plaza de New York, en 1973. Hubbell (­Robert Redford) sort du palace ; Katie, la femme qu’il aima, est sur le trottoir d’en face. Scénariste, il a réussi à Hollywood ; militante communiste, elle distribue des tracts contre la bombe A. Dans cette scène, le Plaza résume leur histoire et symbolise la réussite sociale. ­Aujourd’hui encore, le Plaza figure au top ten des hôtels les plus chers de ­Manhattan. Il trône au sommet de la très huppée 5e Avenue, à la frontière entre Midtown et l’Upper East Side. Il fait face au Pierre, son concurrent de toujours, tout aussi massif et cossu.

Construit en 1907, le Plaza a eu divers propriétaires, dont, entre autres, Conrad Hilton et… l’inénarrable Donald Trump.
Construit en 1907, le Plaza a eu divers propriétaires, dont, entre autres, Conrad Hilton et… l’inénarrable Donald Trump. DR

 

Les deux palaces incarnent-ils encore ce qui se fait de mieux en ville ? Pour certains, adeptes d’un rassurant classicisme, certainement. D’autres préféreront plus de modernité et de décontraction. Les deux hôtels ont vue sur Central Park, le poumon vert de New York. Lorsque vous sortez de votre refuge chic, vous pouvez traverser la rue pour aller courir sous les arbres ou sauter dans une calèche. Dans les deux cas, vous respirerez ce délicat fumet qui n’appartient qu’à ­Manhattan. Un mélange de hot dog et de crottin de cheval. Rien de tout cela intra-muros. Les couloirs du Plaza sont vaporisés d’une fragrance proche du lys, tandis que le Pierre diffuse une nuance plus verte, signée Etro. Les deux immeubles sont massifs et leur esthétique rappelle celle des châteaux français de la Renaissance.

Maman, j’ai raté l’avion

Le Plaza est l’aîné des deux, construit en 1907 sur des plans de l’architecte Henry Janeway Hardenbergh. Son premier client fut Alfred Gwynne Vanderbilt. Il franchit la porte à tambour quelques jours après qu’un combat syndical acharné eut laissé un ouvrier sur le carreau, ou plutôt sur le marbre. L’histoire retient surtout le souvenir de Francis Scott ­Fitzgerald plongeant dans la fontaine Pulitzer.  Il y eut également Conrad Hilton et… ­Donald Trump. Ce dernier apparaît d’ailleurs dans une scène devenue culte du film Maman, j’ai encore raté l’avion. Toujours aussi débrouillard que lors du premier film, Kevin parvenait cette fois à séjourner dans la suite 411 du palace, devenue mythique depuis. Le jeune acteur y croisait un débutant au physique typiquement ­nord-américain, mèche blonde et cravate rouge : Donald Trump.

Le lobby du Plaza.
Le lobby du Plaza. DR

Le futur président faisait en quelque sorte le tour du propriétaire. Alors investisseur immobilier, il s’était offert l’hôtel en 1988, pour la modique somme de 407 millions de dollars, déclarant dans le New York Times : « Je n’ai pas acheté un immeuble ; j’ai acheté un chef-d’œuvre. » Mauvaise pioche, il revendra son « chef-d’œuvre » 325 millions de ­dollars à Troy Richard ­Campbell et au prince saoudien Al-Walid en 1995. Quant au palace, le tournage du film lui offrit une publicité retentissante.

La Vanderbilt Suite du Plaza.
La Vanderbilt Suite du Plaza. DR

Le palace des selfies

La middle class américaine ne se prive toujours pas de venir immortaliser les lieux en photo. L’hôtel, à la décoration de style Louis XV, reste aujourd’hui encore l’adresse préférée des familles américaines pour fêter les anniversaires. On les voit, à l’heure du petit déjeuner, débarquer en force sous la coupole polychrome et les lustres en cristal du Palm Court. Les maris et les fils engouffrent des piles de pancakes sans quitter leur casquette de base-ball. Les filles en robe décolletée, parées et maquillées immortalisent ce moment à grand renfort de selfies. Il faut dire que, par le côté nord, on entre ici comme dans un moulin. Les touristes ne se privent de jeter un coup d’œil, ôtant aux hôtes légitimes un peu d’intimité.

L’icônique Palm Court du Plaza.
L’icônique Palm Court du Plaza. DR

Calme et raffinement

Le Pierre, le voisin d’en face, préserve un peu plus son accès. L’alter ego du Plaza doit son nom à un Français, Charles Pierre. Il s’associa aux grandes fortunes de l’époque pour construire, en 1930, cette silhouette de 160 mètres de haut. Cette dernière est inspirée du style Louis XVI, granit et brique couleur crème surmontés d’un toit cuivré. Le Pierre a traversé, lui aussi, quelques campagnes de rénovation. Propriété actuelle de la famille Tata, sous la marque Taj, il a gardé son influence néoclassique avec quelques clins d’œil à l’héritage indien. Passé l’entrée principale de la 61e Rue Est, les sols de marbre noir et blanc soutiennent des pilastres de pierre ornés de moulures dorées. Les chambres restent plus sobres, moelleuses avec leurs tons crème et blanc et leurs édredons de soie indienne colorée.

Le Pierre a, lui, été construit en 1930.
Le Pierre a, lui, été construit en 1930. DR

Le Pierre.
Le Pierre. DR

Le château dans le ciel

Le Pierre.
Le Pierre. DR

Le lieu incontournable, ici, c’est la légendaire rotonde aux murs incurvés, peints d’une fresque en trompe-l’œil de l’artiste Edward Melcarth, où se cache un sosie de Jackie Onassis. Il s’y célèbre 90 mariages par an. Là aussi, côté intimité, c’est moyen. En revanche, le Pierre est l’un des rares hôtels de New York à avoir gardé ses garçons d’ascenseur, un luxe délicieusement vieille école. Les clients y côtoient les très chic résidents permanents qui descendent promener leur chien. En effet, aucun des deux paquebots n’a résisté à la transformation d’une partie de ses chambres en appartements.

Le Pierre est aujourd’hui propriété de la famille Tata.
Le Pierre est aujourd’hui propriété de la famille Tata. DR

En 2017, le triplex trônant au sommet du palace a été vendu pour 44 millions de dollars. Ses 1 300 m² comprennent l’ancienne salle de bal avec une cheminée digne des châteaux de la Loire. L’appartement est d’ailleurs surnommé « le château dans le ciel ». Logé dans la partie supérieure de la tour qui surplombe le bâtiment et inspiré par la chapelle du château de Versailles, il donne l’impression de flotter dans le ciel, avec ses plafonds cathédrale et ses fenêtres hautes.

Le Pierre a été pensé dans un style Louis XVI.
Le Pierre a été pensé dans un style Louis XVI. DR

Un luxe encore accessible ?

Certaines des suites de chacun des deux frères ennemis affichent toujours des surfaces impressionnantes, souvent louées à des familles du Golfe ou à des entreprises pour faire de l’incentive. Mais si on n’a pas les moyens de taper dans cette catégorie à plusieurs dizaines de milliers de dollars la nuit, les chambres les plus « standard » offrent déjà des volumes sympathiques, avec des salles de bains qui vous font réaliser que vous dormez dans un palace.

Le Pierre est surmonté d’une tour dont l’attique a été inspiré par la chapelle royale de Versailles.
Le Pierre est surmonté d’une tour dont l’attique a été inspiré par la chapelle royale de Versailles. DR

Alors que les boutique-hôtels contemporains ont trop souvent relégué cet espace à la portion congrue, les pièces d’eau du Plaza et du Pierre restent assez vastes pour y laisser traîner quelques malles cabine. Marbre rose italien et robinets en or 24 carats pour le premier, marbre turc et serviettes surdimensionnées pour le second . Un luxe très accessible en basse saison, pour une nuit avec vue sur Central Park.