Voyage
D’un côté, Wynwood et ses boutiques indépendantes aux façades bariolées. De l’autre, le Design District et son ambiance « avenue Montaigne ». L’ensemble, un immense quartier de hangars auparavant infréquentable, est devenu la terre d’élection des artistes dans les années 1990-2000, avant de connaître, récemment, une gentrification fulgurante.
Ceux qui débarqueraient là pour sentir vibrer le Miami de la création contemporaine tous azimuts en seront pour leurs frais. Certes, le vaste quartier Wynwood-Design District regorge d’œuvres de street-art, de projets d’art public et de riches collections d’art privées – les familles Margulies et Rubell ont leurs fondations à Wynwood, les de la Cruz, eux, dans le Miami Design District (MDD).
Mais pour les jeunes plasticiens et marchands d’art qui ont fait la réputation du secteur (surtout du côté de Wynwood) dans les années 1990-2000, passez votre chemin : ils ont tous, et depuis longtemps, migré vers le nord, plus abordable (et moins sûr, il faut le dire) de Little Haiti et de Little River. Les galeries restantes, pas du meilleur goût, évoquent pour la plupart celles de la place des Vosges, à Paris.
Que trouve-t-on aujourd’hui ? Des restaurants, des cafés, des showrooms et une infinité de boutiques toutes plus désirables les unes que les autres : Wynwood est désormais la terre d’élection des concept-stores indépendants ; MDD, lui, rameute dans ses allées tous les géants du luxe. Le quartier, en somme, s’est mué en énorme conurbation lifestyle affichant une certaine unité urbanistique : Wynwood et MDD forment deux gros rectangles contigus séparés par une voie rapide et principalement composés, avant leur reviviscence, d’entrepôts. Leurs trajectoires, toutefois, ne sont pas complètement superposables.
Embellie, déclin et renouveau
Au nord, MDD n’était, au début du XXe siècle, qu’une immense plantation d’ananas. Jusqu’à ce que Theodore Vivian Moore, un cultivateur, se diversifie dans l’ameublement et lance, en 1921, la Moore’s Furniture Company – jetez un œil, au 191 Northeast 40th Street, à la façade pré-Art déco du Moore Building, totalement ripolinée en 2005.
Le quartier tire son nom de cette armada de grossistes en mobilier qui, à la suite de Moore, y ont établi leur QG – et où la classe moyenne, du coup, s’approvisionnait en « design ». Dans les années 80-90, tout cela tomba en déshérence et devint infréquentable. Néanmoins, le promoteur immobilier Craig Robins prend conscience du potentiel énorme de ce Miami postindustriel, rachetant la plupart des parcelles, bloc après bloc, et tentant de convaincre son réseau de super-VIP que le futur du luxe à la floridienne s’écrit ici.
En 2010, le deal qu’il signe avec LVMH va parachever son rêve : le groupe de luxe y installe ses flagship-stores. Depuis lors, plus que de design, il est ici question de fashion designers – de Tom Ford à Christian Louboutin, ils sont tous là.
Wynwood, au sud, est sortie de terre au même moment. Dans les années 20, l’American Bakeries Company lance ses manufactures boulangères, Coca-Cola, ses usines d’embouteillage… L’industrie textile leur emboîte le pas. Tout autour s’installent les ouvriers latinos, portoricains notamment, au point qu’on a longtemps appelé le quartier Little San Juan.
Et puis – toujours la même histoire –, vient le temps du déclin dans les années 80 et la désertification. Wynwood va faire office de squat et d’atelier à ciel ouvert pour les artistes qui le revitalisent peu à peu : au plus fort des années 2000, il y a eu jusqu’à 70 galeries d’art logées à la diable dans les hangars de Wynwood. Des pointues, des exigeantes, des cheap, des informelles, des opportunistes, agglomérat disparate qui donnait tout son charme au quartier.
Du street-art de luxe
Mais comme le MDD, Wynwood va changer de visage sous l’impulsion d’un promoteur immobilier. Tony Goldman, à qui l’on doit la revalorisation du Soho new-yorkais, va racheter, à partir de 2006, une trentaine d’édifices, tout en tentant de préserver la veine arty locale, voire de la domestiquer. Sa fille, Jessica, chapeaute Wynwood Walls, l’organisation qui désormais commissionne la plupart des œuvres de street-art du coin, tandis que les forces vives de la création, elles, ont fui face aux loyers exponentiels.
Pionnier de Wynwood – il en est parti en 2009 pour Allapattah, à l’ouest, et s’apprête à déplacer ses locaux, en 2019, au nord de Miami –, le commissaire et galeriste Anthony Spinello sourit de l’aura créative qu’on prête encore au quartier, arguant que l’art, ici, est devenu un moyen de promouvoir les appartements luxueux qui fleurissent partout. Lui-même, d’ailleurs, est partie prenante du phénomène : il s’est occupé des œuvres murales qui ornent la façade et les auvents du 250 Wynwood, au 250 Northwest 24th Street, un condo chic bariolé très graphique.
C’est cette esthétique « street-art de luxe », avec ses motifs kaléidoscopiques et psychédéliques, qui caractérise aujourd’hui Wynwood, bien loin des attributs délirants et subversifs qu’on prête d’habitude à l’art de rue. Mais avouons-le, c’est souvent réussi.
Le moindre mur vous harponne l’œil, l’étonne, si bien que déambuler ici revient à vivre une expérience esthétique. MDD, lui aussi, fait la joie des piétons – et dans cette ville qui n’est que boulevards et autoroutes, ça n’a pas de prix !
Le paysagiste Nathan Browning y a planté des arbres tropicaux adultes, âgés de 40 à 60 ans, dont les hautes canopées font baisser la température au sol de 5 °C en moyenne. Bling-bling et proprets, sans doute, MDD et Wynwood se révèlent néanmoins, ne boudons pas notre plaisir, des enclaves très vivables.
4 œuvres remarquables d’art public →