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consulter les cartes de tarots pour son business
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Consulter les tarots pour son business, est-ce vraiment une bonne idée ?

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Lire l’avenir de son entreprise dans les cartes, une hérésie ? L’ésotérisme gagne de la place en librairie et la consultation de tarologues pour des questions professionnelles se répand. Une manière de dresser des bilans, d’anticiper des moments compliqués, et surtout de se rassurer. Au-delà du bien-fondé ou non de telles démarches, à quoi s’attendre exactement lorsque l’on prie ainsi le hasard d’éclairer notre lanterne financière ?

Cohue dans la librairie ésotérique. Des mains furètent entre les étagères où des dizaines de boites multicolores promettent ici un voyage chamanique, là une découverte de ses « flammes jumelles », là-bas un « travail de l’ombre ». Le tout embaume la feuille de sauge et les bâtons d’encens. A la caisse, une jeune femme évoque le lancement de sa consultation avec les tarots. Un signe ? Le hasard ayant placé Helen sur ma route, je la choisis comme sibylle.

Quelques jours plus tard, je réalise avec elle ma première consultation avec une cartomancienne. Et si, à l’issue de la séance, je n’obtiens pas les clés (magiques) de ma future réussite, au moins aurais-je tenté de comprendre ce qui séduit tant dans cette pratique.


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Chacun son Elizabeth Tessier ?

Astrologie, lithothérapie, voyance… Même au pays de Descartes, ces disciplines suscitent un engouement grandissant : six Français sur dix interrogés par l’Ifop accordent du crédit aux parasciences. Plus spécifiquement, un quart d’entre eux disent croire aux prédictions de la cartomancie alors qu’ils étaient moins de 20 % dans les années 1980. Ce sont même 13 % de femmes et 10 % d’hommes qui reconnaissent s’être déjà fait tirer les cartes. En librairie, cet attrait se traduit par une explosion des ventes. Le secteur religion-ésotérisme pèse désormais 42 millions d’euros, selon les chiffres du Syndicat national de l’édition.

L’occulte plait, soit. Y aurait-il lieu de s’étonner qu’il attire même des agents économiques supposément « rationnels » ? « Que des personnes travaillant dans certains secteurs professionnels et qui relèveraient d’un certain milieu social fassent appel à ces services ne nous surprend pas », indique Emmanuelle Guittet. Cette sociologue, maîtresse de conférence à l’Université Sorbonne Nouvelle, étudie ces pratiques avec son confrère Quentin Gilliotte, qui enseigne à Panthéon-Assas. Ensemble, ils ont mené des entretiens auprès de dizaines de cartomanciennes qui officient sur les réseaux sociaux.

« Le recours à la voyance par des personnalités politiques est souvent cité par nos enquêtés », précise la chercheuse. Ronald Reagan et Joan Quigley, François Mitterrand et Elisabeth Tessier voire Charles de Gaulle et Maurice Vasset… Lorsque l’on aborde ces sujets, les chefs d’État et leurs devins réels ou supposés feraient presque figure de clichés.

Qu’en est-il dans les faits ?

Les deux sociologues se sont aussi lancés dans des recherches pionnières la consommation de la cartomancie. Des premiers résultats obtenus et encore non publiés, il ressort que toutes les classes sociales sont représentées dans la clientèle « y compris au sein de populations fortement diplômées », note Quentin Gilliotte.

Pascale D* consulte tous les trimestres « pour faire le point ». Cette spécialiste des assurances pose « souvent des questions très précises », quant à la gestion de ses portefeuilles. « Ma tarologue m’indique des fourchettes d’investissement à ne pas dépasser », indique-t-elle. Ensemble, elles passent tous les aspects de son activité au peigne fin, évoquant jusqu’aux noms de clients – toujours sous le sceau du secret. « Cela me permet d’être plus sereine pour savoir si je dois m’engager ou pas », confie l’entrepreneuse.

Se fier aux cartes, mais aussi aux pierres pour mener son entreprise ?
Se fier aux cartes, mais aussi aux pierres pour mener son entreprise ? Susanna Marsiglia / Unsplash

Tarot psycho ou tarot divinatoire ?

Ma taromancienne, elle aussi, « reçoit » pour des questions professionnelles. Mais, à l’instar de ses consœurs, elle n’invite pas ses consultants dans quelque pièce sombre et enfumée. Fini le tête-à-tête avec Madame Irma, désormais la « visio » est devenue une norme, même pour une séance de divination. « Le numérique permet de mettre des distances et d’éviter la violence des interactions avec les personnes », explique le sociologue Quentin Gilliotte. Or certains clients peuvent se montrer très insistants, obligeant les cartomanciennes à « poser des limites », comme me l’ont confié plusieurs d’entre elles qui refusent des tirages trop fréquents. Car la cartomancie, dans des cas extrêmes, peut même provoquer de véritables addictions.

Oublions donc l’atmosphère mystique, ce sera dans un fauteuil de bureau et derrière un écran qu’aura lieu la consultation. Et tant pis pour les interruptions causées par des problèmes techniques ou les exercices de maths du petit dernier. Pour 50 euros et pendant une heure trente, Helen bat ses cartes et s’efforce de canaliser ses intuitions, fruit d’un don de clairvoyance qu’elle dit tenir de sa grand-mère.

Quant à ses interprétations, certaines me « parlent », d’autres moins. La zététicienne en moi se braque. Elle crie à « l’effet barnum », ce biais cognitif conduisant à se reconnaître dans une description assez vague pour convenir à tout le monde, et qui sert de principal angle d’attaque aux plus farouches critiques de ce genre de pratiques. Sauf que la conversation aborde bientôt des aspects plus intimes et provoque de réelles émotions. A défaut de raisonner, quelque chose résonne donc…

Le succès actuel des tarots résiderait justement dans la dimension psychologique des archétypes représentés sur les cartes, un courant qui se réclame en particulier des travaux de Carl Gustav Jung. « C’est vrai que le tarot psychologique s’est beaucoup démocratisé », reconnaît de son côté Morgane Mounès, tarologue dans les Landes. Mais pour cette dernière, « pratiquer le tarot ‘psy’, c’est aussi faire de la divination, parce que l’on explore le passé, le présent et les possibilités de l’avenir. Dès lors que l’on se pose une question, que l’on essaye de deviner ce que dit la carte à ce sujet… on fait de la divination ! », s’exclame cette ancienne orthophoniste.

La professionnalisation de la carthomancie

Morgane Mounès prévient : pas question de se reposer sur ses lauriers après une prédiction optimiste. « Je n’ai pas de baguette magique, je ne vais pas donner un plan pour générer des millions. Mais j’aime que les gens sortent de mes consultations en se disant qu’ils ont un plan d’action en tête », déclare cette cartomancienne qui a choisi de cibler une « niche » : les questions professionnelles. Pour cela, elle a même suivi un cursus spécialisé en « coaching business » afin de prodiguer des conseils précis.

Pour organiser ses tirages et déterminer ainsi la place de chaque carte, elle use de référentiels classiques du type « positionnement, forces, faiblesses », etc. Cela lui permet d’accompagner d’autres indépendants « comme elle » dans le choix de leurs sous-traitants, par exemple. « Je ne vais pas dire de choisir telle ou telle personne, plutôt dresser le portrait de leur relation et surtout son impact sur l’entreprise », explique-t-elle.

Anne Westermann officie quant à elle depuis près d’une décennie dans l’est de la France. « Avant de m’installer, j’ai suivi un an de formation de coach d’entreprise. J’ai une expérience d’entrepreneuse dans les TPE, j’avais aussi besoin de comprendre l’écosystème des grandes structures et être sûre d’être en mesure de reformuler les bonnes questions ». Les cartes servent de support à l’interprétation de ses visions : « cela me permet de construire ma pensée, car quand je reçois l’information pure, c’est assez flou. Le tarot m’éclaire sur des points d’attention, et m’apporte des réponses pour le présent ». Ses services peuvent devenir très concrets : « j’ai souvent recours à mon réseau professionnel pour recommander des spécialistes, avocats, fiscalistes, etc. », explique-t-elle.

Ce type de spécialisation, les sociologues Emmanuelle Guittet et Quentin Gilliotte l’ont également constaté. S’ils observent une prédominance de cartomanciennes d’origine populaire, une partie d’entre elles « socialisées à l’entrepreneuriat, parviennent à faire évoluer leur activité », note l’enseignante de l’Université Sorbonne nouvelle.

Jusqu’à 1 000 dollars de l’heure en Californie

Cette « montée en gamme » traduit dans les tarifications. Celles-ci varient beaucoup, mais, après étude de marché, il apparaît que les tarifs pour les consultations « business » tendent à dépasser les plus classiques, sur des sujets sentimentaux ou familiaux. Certains praticiens différencient d’ailleurs leurs grilles selon le statut du client, les « particuliers » payant moins que les « professionnels ».

Pour des consultations « pro », comptez entre 90 euros et 140 euros la séance de 60 à 90 minutes. Ces prix restent raisonnables en comparaison de ceux pratiqués dans le monde anglo-saxon. Jayne Wallace, médium britannique qui se targue de tirer les cartes pour Kim Kardashian, facture 150 livres (173 euros) la demi-heure. En Californie, haut lieu des pratiques New Age s’il en est, on trouve des consultations de cartomancie à 1 000 dollars l’heure !

Quel que soit leur prix, que gagne-t-on en sortant de ces séances ? Aucune étude n’a prouvé qu’il existait un lien entre prédictions et enrichissement. En revanche, des chercheurs en science du comportement ont démontré que les présages de bon augure tendaient à accroître la prise de risques, surtout chez les hommes. Pour ma part, je n’ai eu droit à aucune prophétie m’incitant à investir sur tel ou tel produit boursier. J’ai toutefois reçu des conseils de lecture et des suggestions de massages aux huiles essentielles.

Un jeu de tarot.
Un jeu de tarot. Viva Luna Studios / Unsplash

« Go ma biche ! »

Demander aux arcanes de nous renseigner sur des perspectives de chiffres d’affaires ? Audrey qui utilise le pseudo « d’Oraclinzel professor » met en garde : « c’est très délicat de prendre des décisions stratégiques en se fondant uniquement sur un tirage. En revanche, si c’est couplé à une analyse de données, ça peut devenir intéressant. C’est un outil supplémentaire d’aide à la décision ». Cette ancienne professionnelle du marketing a opté pour une approche ludique. « Je m’amuse avec le tarot. Il ne faut pas tout prendre au premier degré ! », s’exclame-t-elle.
C’est toute l’ambiance qu’elle instaure lors de ses ateliers collectifs. Les participants sont invités à écrire une question piochée plus tard par le groupe et servant de support à un tirage puis une analyse des cartes.

L’autrice du manuel Tarot, la base (éditions Eso Pop) conclut : « évidemment, tout dépend des croyances de chacun, mais cela permettra soit à la personne de clarifier son projet, soit de lui donner de la confiance pour croire davantage en ses premières intuitions. Alors les cartes peuvent aussi bien dézinguer le projet, que l’appuyer et dire ‘go ma biche’ c’est le moment d’y aller ! »

Au bout du compte, si l’on cherche juste à clarifier son esprit, voire à s’amuser, autant pour opter pour une autre voie : apprendre à tirer les cartes soi-même. Pour en comprendre la grammaire, il existe nombre de manuels exhaustifs et faciles d’accès (par exemple Le Tarot pas à pas de Marianne Costa, Dervy, 2019 ; Lire le tarot avec le Rider-Waite, Emmanuelle Iger, éditions trajectoires, 2017 ; Le Tarot psychologique, Miroir de soi, Denise Roussel, Mortagne, 2017). De quoi se convaincre qu’après tout, les tarots n’ont vraiment rien de sorcier.

Les tarots, un jeu devenu support de divination

Ce jeu de 78 cartes a émergé à la fin du Moyen-Âge dans plusieurs villes d’Italie et de France. L’un des plus anciens exemplaires enluminés connus (le tarot Visconti-Sforza) sert à glorifier des familles de haute lignée. La base qui se fixe peu à peu au cours de la Renaissance réunit quatre séries de cartes ou « arcanes mineurs » (épées, coupes, bâtons et deniers, qui ont abouti aux couleurs des cartes à jouer : pique, cœur, trèfle et carreaux) et les fameux arcanes « majeurs », avec des figures telles que le Fou, le Pendu, la Justice ou encore l’Etoile.

Dans le tarot dit « de Marseille », ce sont surtout ces dernières et les symboles archétypaux ainsi représentés qui servent de support à la cartomancie depuis la fin du XVIIIe siècle et l’émergence de courants ésotériques. C’est à ce moment que sont inventées des sources antiques – la vogue est alors à l’égyptophilie – voire alchimiques, à ces images.

Au XIXe siècle d’autres mouvements mystiques dans le monde anglo-saxon se réapproprient ces symboles et y ajoutent des références kabbalistiques. Un jeu entièrement illustré (mineures comprises) par la dessinatrice Pamela Coleman-Smith et l’occultiste Arthur Waite, surnommé le « Rider-Waite » connait un succès renouvelé dans les années 1970. C’est surtout cette formule, avec celle du Britannique Aleister Crowley qui ont, depuis, inspiré de nombreux artistes, dont André Breton, Christian Dior, Nikki de Saint Phalle ou encore Salvador Dali.

* Le nom de ce témoin a été modifié pour préserver son anonymat.


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