Voyage
Longtemps, ce joli village de pêcheurs au nord d’Agadir a été un repère hivernal de surfeurs initiés en quête de climat doux et de vagues de qualité. Boosté depuis une dizaine d’années par son environnement idyllique et le succès croissant du surf et du yoga, Taghazout a gagné en popularité. Au point de devenir le spot le plus couru de la côte atlantique marocaine.
Sourire immense, yeux rieurs, houppette relevée : il est impossible de rater Ramzi Boukhiam quand on arrive à Taghazout. Et pour cause, le petit prince du surf marocain s’affiche en immense, croqué à la peinture, sur la façade du plus haut bâtiment de la rue principale. Cet été, à l’occasion de la première compétition de l’histoire du surf aux jeux Olympiques de Tokyo, Ramzi a représenté le Maroc. Mais si le jeune homme de 27 ans a les honneurs du coin, c’est qu’il a commencé ici même, encore enfant, à se mesurer aux flots ravageurs de l’Atlantique.
« Je suis né et j’ai grandi à Agadir, mais comme il n’y avait pas trop de vagues, on allait à Taghazout. Le village est entouré de plusieurs spots mythiques, comme la pointe des Ancres, avec des vagues de classe mondiale en hiver. À l’époque, venir ici, c’était le dépaysement total, il n’y avait rien. En fait, Taghazout s’est développé en même temps que le surf, ces dix dernières années. »
À en juger par les boutique-hôtels et restaurants de bord de mer, la dizaine de surf shops du village et la petite centaine de surf schools et surf camps qui ont éclos sur un rayon de 15 kilomètres, tout ce petit écosystème aux teintes blanches et bleues vit à merveille.
Fréquenté par les hippies dans les années 70, Taghazout a tracé son sillon loin des ornières du tourisme de masse international qui a fait la renommée d’Agadir, à moins d’une heure de là. En fait, jusqu’à ces dernières années – hormis les mois d’été, prisés des classes populaires marocaines –, Taghazout était surtout le lieu de prédilection de surfeurs européens en mal de vagues et d’eau tempérée durant l’hiver.
Ben O’Hara, le cofondateur de Surf Maroc, maison mère de plusieurs établissements hôteliers incontournables à Taghazout, a longtemps été l’un de ceux-là. À la fin des années 90, ce surfeur britannique venait régulièrement avec son copain Ollie Boswell pour tâter ce terrain autrement moins hostile que la Manche. « À l’époque, la plupart des étrangers venaient ici en van, se souvient-il. Il y avait quelques auberges modestes pour des backpackers sans attente particulière, et les restaurants servaient tous la même nourriture. Le vrai attrait, c’était ces vagues de dingue. On est tombés fous amoureux de l’endroit. »
En 2003, après un énième séjour, les deux comparses sautent le pas. Ils s’installent pour de bon et inaugurent Taghazout Villa, une maison d’hôtes prête à accueillir une dizaine de voyageurs. La formule est simple : du surf pour rythmer les journées et de la vie douce, face à l’océan, le reste du temps.
« Au début, on faisait tout, sourit Ben. Les transferts depuis l’aéroport d’Agadir, la cuisine, les cours de surf et même le nettoyage. La villa était plutôt basique. Puis on l’a rénovée. Plus tard, on a ouvert un nouveau lieu. Et de fil en aiguille, cela s’est développé de façon organique. »
Dix-huit ans plus tard, la marque Surf Maroc est indissociable de Taghazout. Entièrement retapée, la Villa Taghazout s’est muée en guest-house de luxe en mesure de recevoir jusqu’à 30 personnes. Ben O’Hara et Ollie Boswell ont également ouvert un café, le Mouja, et trois autres concepts d’hébergement : Taghazout Apartments, des meublés à prix abordables ; Amouage, un hôtel chic au pied de l’océan avec piscine à débordement, spa et ambiance chill out ; et Villa Mandala, une maison consacrée à la pratique du yoga, avec son yoga-shala et sa piscine, appréciée par des professeurs étrangers qui la privatisent pour des séminaires paradisiaques.
Contorsions et surf à Taghazout
En parallèle du surf, le yoga, justement, a explosé. Le long de la promenade qui borde l’océan en contrebas de la médina de Taghazout, il n’est plus rare de croiser des touristes déambulant avec leur tapis de yoga en bandoulière.
Ihssane Sarif, 31 ans, est l’une des professeurs incontournables du village. Avant la pandémie, cette jeune Marocaine pouvait donner jusqu’à cinq cours par jour, aussi bien dans des surf camps que dans des hôtels prestigieux, comme le Sol House, implanté sur l’immense plage de Taghazout Bay, à quelques centaines de mètres de là.
En cette fin de journée ensoleillée de mai, Ihssane dirige une poignée d’Européens qui se contorsionnent sur le rooftop de World of Waves, l’un des boutique-hôtels les plus en vue du coin. « À Taghazout, les amateurs viennent notamment pour pratiquer en plein air, comme aujourd’hui, sur des terrasses avec vue sur la mer. En fait, à part dans les surfs camps qui vendent des packages “surf la journée + yoga le soir”, j’ai assez peu de surfeurs dans mes cours. Le yoga attire désormais une clientèle spécifique. Et maintenant qu’il n’est plus perçu comme une religion, les locaux commencent aussi à s’y intéresser. »
Karim et Ilyass Riah, les fondateurs de World of Waves, font partie de cette génération d’amoureux de Taghazout qui ont contribué à coolifier le village. Originaires d’Agadir et fervents amateurs de surf, ces deux sympathiques frangins venaient y passer des étés entiers depuis toujours. Il y a sept ans, lassés par leurs emplois respectifs – Karim était banquier d’investissement à Genève et Ilyass officiait au département commercial d’un grand hôtel marrakchi –, ils ont lancé un lieu avec pignon sur océan, à taille humaine, où chaque détail est soigné.
Chez eux, on vient dormir, se restaurer, pratiquer le yoga ou apprendre le surf, avec un sens du service et une simplicité remarquables. Mais si Taghazout arbore désormais des airs de carte postale, Karim n’oublie pas le chemin parcouru. « On ne s’en rend plus forcément compte, mais il y a moins de dix ans, c’était un village sacrément dans son jus. Il n’y avait pas de tout-à-l’égout, les accès étaient mauvais… Énormément d’aspects se sont améliorés, et tout le monde ici a gagné au change. Cela s’est véritablement accéléré depuis 2015, et les autorités ont commencé à s’intéresser au village. »
Miracle atypique
C’est sans doute là le plus étonnant, le miracle économique a longtemps échappé aux autorités marocaines. Toutefois, depuis cinq ans, sous l’impulsion de la Société d’aménagement et de promotion de la station de Taghazout (SAPST), un grand projet d’aménagement immobilier baptisé Taghazout Bay a vu le jour.
À travers le développement de logements et d’ensembles hôteliers premium, et un investissement de près de 1 milliard d’euros, l’ambition est de capitaliser sur ce succès atypique au Maroc, en répondant à la demande croissante en hébergement d’une clientèle de touristes internationaux, mais aussi, désormais, de Marocains au pouvoir d’achat conséquent.
Galvanisés par le projet Taghazout Bay, les grands groupes hôteliers sentent qu’ils ont une carte à jouer, à côté des structures comme Amouage, World of Waves ou Munga qui attirent une population branchée.
Ces derniers mois, deux mastodontes – un Fairmont et un Hyatt Regency – ont ouvert leurs portes, proposant une expérience qui n’est pas sans rappeler ces clubs familiaux haut de gamme, implantés à même la plage, qui ont fait la gloire d’Agadir.
En matière de resort, le Hyatt Place Taghazout, qui surplombe la baie depuis six ans, fait figure de pionnier. Armando Waser, son directeur, reconnaît que son établissement profite de la vibe surf et yoga et de l’état d’esprit bohème qui règne ici, avec toutefois un petit plus bien particulier : « Nous sommes l’hôtel du golf de Taghazout ! Grâce à ce terrain, nous attirons une clientèle d’Européens qui vient de septembre à avril pour multiplier les parcours et profiter aussi de nos infrastructures : piscine, spa, salle de sport, cours de yoga… Et pour ceux qui souhaitent pratiquer le surf, nous avons noué des partenariats avec des acteurs de la région comme la Tadenga Surf School. »
Sur, la nouvelle vague de Taghazout
Plus inattendu, et conséquence de la pandémie, tous ces établissements bénéficient d’une nouvelle clientèle : les travailleurs à distance. En ce mois de mai plutôt calme, alors que les frontières du Maroc n’ont pas encore rouvert, les développeurs informatiques, start-uppers ou journalistes sont particulièrement visibles sur la terrasse de World of Waves.
« Il y en a toujours eu, note Ilyass Riah, mais avec le Covid, ils sont plus visibles. Certains sont là depuis quatre, cinq mois. Il se logent via Airbnb, font la fête, se refilent les bons plans et viennent télétravailler chez nous. » Même Armando Waser, le directeur du Hyatt Place, profite du phénomène : « Nous n’avions pas imaginé que ce serait un marché potentiel. Mais c’est une tendance forte, qui nous intéresse. On est en mesure de leur fournir un espace de travail excellent, une connexion Internet solide, et une option sympathique : faire un plouf dans la piscine avec un cocktail en fin de journée. » Imparable.
Mais entre cette évolution galopante et ces projets immobiliers qui poussent de toute part, une crainte légitime finit par se dessiner dans notre esprit : et si, à force de tirer sur la corde, le charme venait à rompre. Étonnamment, personne ne semble s’inquiéter. « Honnêtement, du côté environnement, pour l’instant, il n’y a pas trop de dégâts, se félicite Ramzi Boukhiam, le surfer star désormais nouvelle égérie du projet Taghazout Bay. Les locaux restent attentifs. Et à vrai dire, c’est même plutôt l’inverse : c’était un village un peu sale qui s’est considérablement amélioré grâce aux travaux. »
In fine, c’est Karim Riah, qui a traîné ses boards avec son frère dans tous les spots de surf du monde, qui dessine le scénario le plus probable : « À mon avis, comme à Bali, il y aura de la place pour tout le monde : les trucs chill comme les hôtels à 700 euros la nuit. Et puis, la géographie du village, avec la médina d’un côté et la grande baie de l’autre, facilite les choses. Il y aura la vibe authentique et les petits hôtels de charme d’un côté, les gros de l’autre, et tout ça devrait bien cohabiter. Les clients des 5-étoiles viendront s’encanailler sur les rooftops de la médina et tout le monde y trouvera son compte. » C’est tout ce qu’on leur souhaite.