The Good Business
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Nicolas Puech, Karl Lagerfeld, Suzanne de Canson... Richissimes mais sans héritiers, leurs testaments ont fait couler beaucoup d’encre.
Ils sont riches, très riches, internationalement connus ou volontairement anonymes. Et ils ont tous en commun de ne pas s’être embarrassés d’une progéniture de leur vivant. De l’iconique Karl Lagarfeld à l’excentrique Suzanne de Canson en passant par le frondeur Nicolas Puech, The Good Life vous propose trois folles sagas d’héritages, dignes de la série TV Dallas. Et, pour mieux comprendre ce qu’il est possible de faire en matière de droit de succession pour hériter dans cet univers définitivement impitoyable, on a demandé conseil à maître Antoine de Ravel d’Esclapon, notaire, docteur en droit et auteur de l’ouvrage de référence, Le Patrimonio.
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L’héritier et son jardinier
Panique chez Hermès. Depuis plusieurs mois, ce sont tous les murs de l’ancienne sellerie et aujourd’hui maison de haute couture qui chancellent. Nicolas Puech, héritier célibataire et sans enfants de la famille Hermès, serait en passe d’adopter son jardinier, pour lui léguer l’intégralité de sa fortune. Premier actionnaire individuel du groupe de luxe, l’homme âgé de 81 ans, serait détenteur de pas loin de 6% du capital de la maison soit plus de 10 milliards d’euros.
Installé en Suisse dans le canton du Valais, le petit-fils d’Émile-Maurice Hermès a longtemps occupé des postes clés au sein de la multinationale avant de la quitter en 2014 avec perte et fracas. Comme dans un épisode final de la série Succession, l’homme d’affaires a refusé de rejoindre la holding familiale, seul rempart à l’entrée du géant LVMH au capital de la maison de haute couture.
Considéré comme un traître et un paria par l’ensemble de ses cousins, Nicolas Puech s’est petit à petit isolé du reste du monde durant la crise du Covid-19. C’est à cette époque que l’octogénaire va se rapprocher grandement de son « jardinier et homme à tout faire », un homme de 51 ans issu d’une « modeste famille marocaine ». En octobre 2022, Nicolas Puech en personne va charger son avocat de lancer une procédure d’adoption à la faveur du jardinier qui deviendrait, si l’acte est effectif, l’unique héritier de sa fortune.
Une telle situation est-elle possible en France ? « Plus que du droit à la succession, il s’agit d’abord ici du droit à l’adoption » , confie Antoine de Ravel d’Esclapon. Si cette dernière est validée, qu’elle soit simple ou plénière, elle rend l’enfant ou l’adulte dans ce cas précis, héritier légitime. « Selon le Code civil, les enfants du défunts sont les seuls héritiers dits “réservataires”, explique Antoine de Ravel d’Esclapon. Comprenez : les héritiers impossibles à exclure de la succession ». Le jardinier, s’il devient réellement le fils adoptif de Nicolas Puech deviendra alors l’heureux propriétaire de 6% du capital de la maison Hermès sans que cette dernière n’y puisse rien.
La folle histoire de Suzanne de Canson
C’est une histoire d’héritage digne d’un roman. Elle s’appelle Suzanne de Canson et elle est l’héritière du riche papetier éponyme. Née en 1910, Suzanne Barou de la Lombardière de Canson, de son nom complet, détonne pour son âge et pour son milieu. Suzanne est indépendante, homosexuelle et mène une vie de bohème. Plus que tout, la jeune femme est passionnée d’art. Guardi, Watteau, Rembrandt, Murillo… Suzanne de Canson a hérité de son père d’une extraordinaire collection de tableaux, estimée à près de 300 millions de francs d’époque.
Vivant de palace en palace, vendant ses œuvres d’arts au fil de ses besoins, elle va croiser sur son chemin un avocat malhonnête et une ancienne tenancière de bar véreuse, qui vont tous les deux signer sa perte. Spoliée de l’intégralité de ses œuvres et de sa fortune, madame de Canson finit séquestrée et maltraitée dans une villa sordide de La Garde puis incinérée dans le plus complet anonymat. Un procès qui aura lieu au début des années 90 opposant la famille de Canson aux deux tortionnaires de Suzanne, mais aussi à de grandes galeries d’arts et société d’enchères comme Christie’s, mettra fin à cette affaire. Le patrimoine de l’héritière sera quant à lui définitivement disparu.
L’affaire Canson aurait-elle pu être évitée ? « On fait ici référence à une captation d’héritage ou à un détournement d’héritage », explique Antoine de Ravel d’Escapon. Dans le cas de l’affaire Suzanne de Canson, la captation est commise du vivant de cette dernière par un tiers. Faux testaments, donations du vivant, contrats d’assurance vie… « La difficulté dans ce genre d’affaires est de prouver qu’il y a bien eu détournement et d’apporter la preuve de la contrainte ». Et aujourd’hui encore il semble difficile d’éviter de faire le clair dans ce type d’affaires. « La question des avantages en nature du vivant est un sujet qui reste encore très sensible », explique Antoine de Ravel d’Escapon. « Il reste très difficile de démêler, après la mort du légataire, ce qu’il a fait ou non sous la contrainte de son vivant ».
La choupette de Karl
Le 19 février 2019, aura été le dernier coup de ciseaux du grand couturier Karl Lagerfeld. Du catwalk au front row en passant par les backstages, l’iconique couturier allemand au catogan signature laissera avec lui un grand vide dans le monde de la haute couture. À la tête d’un empire et d’une fortune colossale, Karl Lagerfeld avait pris soin, dès 2016, de rédiger un testament avant sa mort indiquant le nom de ses sept héritiers. Le mannequin Baptiste Giabiconi, son garde du corps Sébastien Jondeau, sa muse Amanda Harlech ou encore sa successeur à la tête de la maison Chanel, Virginie Viard, sont de ceux-là. Si jusqu’ici il s’agit d’un testament tout ce qui a de plus banal, entre millionnaires, la dernière coquinerie de l’impétueux Karl est bel et bien d’avoir fait de sa chatte, Choupette, l’une de ses héritières. Ce magnifique « sacré de Birmanie », de 3,5 kg au garrot et au poil couleur neige, se retrouve ainsi à la tête d’un leg estimé à 1,5 millions d’euros.
Léguer sa fortune à son chat, mythe ou réalité ? « Légalement, il est impossible de faire de son animal son légataire », tranche sans concession notre notaire Antoine de Ravel d’Esclapon. Et ce pour un principe très simple : « un animal n’est pas une personnalité juridique ». La vérité sur la folle fortune de Choupette est donc à modérer. Dans les faits, c’est la gouvernante du couturier, Françoise Caçote qui a hérité du félin et de la coquette somme pour en prendre soin. Mais comment vérifier que Choupette reçoit bien les croquettes au caviar qu’elle mérite ? « Le juge, dans le cadre de la succession, peut décider de nommer un exécuteur testamentaire, explique Antoine de Ravel d’Esclapon, ce dernier a pour mission de veiller à la bonne disposition des fonds ».
Alors, que faut-il faire pour hériter d’un milliardaire ?
Pour résumer, en droit français, c’est le Code civil qui régit les droits de succession. Selon le sacro-saint texte juridique, il existe d’abord des héritiers « incompressibles », comprenez ici les enfants (poke Johnny Hallyday).
En l’absence d’enfant il s’agit du conjoint, si ce dernier est sous le coup du statut marital. Celibataire et sans enfants et en l’absence de testament, ce sont alors les héritiers légaux qui bénéficient de la succession. Là encore, le Code civil définit une liste précise de ces derniers par ordre, du plus proche au plus éloigné.
Riche ou non, il s’agit donc d’organiser le plus possible sa succession de son vivant. « Testament, adaptation du régime patrimonial… Mieux la succession est orchestrée, mieux sera la situation après la mort du légataire », insiste maître Antoine de Ravel d’Esclapon.
Millionnaires, milliardaires, on ne vous le dira donc jamais assez, organisez-vous !
« Le Patrimonio » de maître Antoine de Ravel d’Esclapon
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