Amos Morgan
Seattle

Seattle
La renaissance par la technologie

Son nom a d’abord été associé à celui de Boeing, puis à celui de Microsoft. Aujourd’hui, la « ville émeraude » séduit chaque année des milliers de nouveaux arrivants qui y trouvent du travail et une qualité de vie proche de la nature. Seattle s’impose aux Etats-Unis comme un exemple parfait de réussite à la fois économique, écologique et sociale.

A l’échelle américaine et à première vue, Seattle pourrait passer, avec ses 700 000 habitants, pour une grosse ville de province. Mais avec ses quartiers qui se développent entre bras de mer, lacs et montagnes, à portée des vignobles, elle est bien plus séduisante qu’il n’y paraît. Au cours de la dernière décennie, elle s’est fait une réputation de ville en pleine expansion économique où il fait bon vivre. Et cette réputation n’est pas usurpée ! L’économie s’y est développée par couches successives : l’old money, celle des vieilles familles de la fin du XIXe siècle qui se sont enrichies avec les pêcheries, le bois, l’or ou le transport, puis la new money, celle des ingénieurs et des développeurs de logiciels qui ont rejoint Microsoft dès la première heure, avant de passer chez Amazon ou de créer leur propre start-up qu’ils ont ensuite revendue ou fait grandir. Et entre les deux, il y a Boeing, qui fête son centenaire en 2016. Lorsqu’ils parlent de l’attractivité de Seattle, tous ses habitants invoquent d’emblée la qualité de vie, la proximité de la nature, le souci de l’environnement, et ce qu’ils soient Seattleites depuis plusieurs générations ou transfuges récents. « La nature est extraordinaire. Il y a trois volcans visibles depuis la ville, dont le mont Rainier, deux chaînes de montagnes et le bras de mer du Puget Sound. Et la première station de ski est à 40 km », énumère Alain Crozier, président de Microsoft France, qui a vécu à Seattle de 1999 à 2012.


Cet environnement très protégé est un ­facteur d’attractivité fort. « L’Etat de Washing­ton a accueilli 172 000 nouveaux venus entre octobre 2014 et septembre 2015, précise Maury Forman, directeur général du Department of Commerce de l’Etat. Il s’agit essentiellement de Californiens, car la vie ici est moins chère, il y a du travail et c’est un bel endroit pour vivre. » Ajoutez à cela un niveau d’éducation nettement supérieur à la moyenne nationale, une université réputée, l’absence d’impôt d’Etat sur le revenu et un taux de chômage à peine supérieur à 3 %. Pas étonnant qu’à elle seule la ville de Seattle gagne plus de 10 000 nouveaux habitants par an depuis les années 90.

Des entreprises centenaires
Seattle n’en oublie pas pour autant l’esprit pionnier de ses origines, et préfère l’être au paraître. La ville s’est d’abord développée sur l’industrie du bois, matériau qui a servi à bâtir ses infrastructures ainsi que… ­­le ­premier avion de William Boeing ! A la fin du XIXe siècle, c’est à Seattle que les chercheurs d’or, qui partaient vers le Yukon puis vers l’Alaska, s’approvisionnaient. Une étape qui a donné naissance à plusieurs fabricants de vêtements et d’équipements outdoor, comme Filson ou REI, emblématiques de Seattle, mais aussi Eddie Bauer. Encore actives aujourd’hui, ces entreprises ont gardé l’esprit du Pacific Northwest. « On vit en ville, mais on rêve en plein air », résume Gray Madden, président de Filson.
De nombreuses entreprises voient alors le jour à Seattle, dans le transport, comme American Messenger Company – qui deviendra UPS –, mais aussi dans le commerce et l’industrie. « Il y a plus de 100 sociétés qui ont plus de 100 ans dans la région ; c’est rare aux Etats-Unis. C’est la preuve que les entreprises se créent ou s’installent ici et qu’elles y restent », souligne Maury Forman. Qui plus est, ces établissements sont souvent encore dirigés par un descendant des fondateurs. La construction navale s’est développée pour les pêcheries et pour le transport maritime, activité qui vaut aujourd’hui à Seattle d’être le deuxième port de la côte Ouest derrière Los Angeles. C’est le chemin le plus court pour l’Asie : les soldats américains qui embarquaient pour le Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale partaient de Seattle, que ce soit en bateau ou en avion.


Après la guerre, Seattle devient la ville de Boeing. Leurs histoires se confondent tellement qu’il y aurait, dans la région, au moins une personne par famille qui y travaille. Lorsque l’aviation commerciale se développe, Boeing embauche à tour de bras. Jusqu’au ralentissement économique de la fin des années 60. Alors que l’effectif de l’avionneur dépassait les 100 000 personnes, ce nombre chute à moins de 40 000 en à peine trois ans. Seattle plonge dans la crise et ses habitants quittent la ville par milliers pour aller chercher du travail ailleurs. L’exode est tel que deux agents immobiliers placent un panneau à la sortie de l’agglomération sur lequel est écrit : « Que la dernière personne quittant la ville éteigne la lumière ! »
Boeing est rapidement redevenue le premier employeur du Grand Seattle avec ses usines de Renton et d’Everett, et ce malgré le déménagement du siège social à Chicago en 2001. L’effectif de l’avionneur atteint aujourd’hui 80 000 personnes, auxquelles s’ajoutent les emplois indirects. Au total, Boeing fait vivre 300 000 personnes dans l’agglomération.

Une image high-tech
Puis ce fut l’ère de Microsoft, l’autre entreprise emblématique de Seattle. En fait, c’est à Redmond, dans la toute proche banlieue est, de l’autre côté du lac Washington, que le groupe a installé ses quartiers. Créée en 1975, la société vient de célébrer ses 40 ans. Avec 40 000 employés dans l’agglomération, elle est un acteur économique important à plus d’un titre. D’abord, en attirant des ingénieurs du monde entier, Microsoft a donné une image high-tech à Seattle. Ensuite, en essaimant régulièrement des employés qui quittent la société pour créer leur propre entreprise, Microsoft a donné naissance à un écosystème innovant, vivier de nombreuses entreprises de toutes tailles.


D’autres entreprises ayant vu le jour à Seattle ont atteint une notoriété mondiale. C’est le cas, notamment, de Starbucks et de Costco. Avec 23 000 cafés dans le monde, Starbucks figure à la cinquième place du classement Fortune des entreprises les plus admirées en 2015. Elle affiche un taux de croissance supérieur à 5 % depuis vingt trimestres consécutifs. Pour sa part, la chaîne de magasins d’entrepôts Costco, quatrième distributeur mondial, se distingue par sa politique sociale. Les employés sont mieux payés que ceux de la concurrence et bénéficient d’une couverture santé d’entreprise, ce qui n’est pas si répandu que cela aux Etats-Unis.

Cloud City
Amazon, qui a vu le jour en 1994, vient pour sa part de construire son nouveau siège social au cœur de la ville. Après avoir acheté les tours qu’elle louait dans le quartier de South Lake Union où travaillaient déjà 25 000 employés, la société construit actuellement 100 000 m2 de bureaux afin d’y accueillir 5 000 nouveaux salariés. Vingt ans après avoir innové avec la vente en ligne de livres, Amazon teste une nouvelle approche : la librairie « en dur », inaugurée dans le centre commercial de University Village. Elle y propose 6 000 ouvrages, essentiellement ceux qui se vendent le mieux sur son site.
Evidemment, cette concentration d’ingénieurs informaticiens et de développeurs a fini par attirer l’attention des géants de la Silicon Valley. Google a ouvert ses bureaux à Seattle en 2004, modestement d’abord. Aujourd’hui, avec 1 800 ingénieurs, la ville est la troisième implantation du géant après son siège de Mountain View (Californie) et celui de New York. Mi-2015, Facebook a signé un bail pour des locaux capables d’accueillir 2 000 personnes. Salesforce, une société californienne spécialisée dans le Cloud, recrute 500 ingénieurs et développeurs afin de faire de Seattle son deuxième centre de développement après celui de San Francisco. Avec les présences déjà fortes d’Azure (l’activité Cloud de Microsoft) et d’Amazon Web Services (AWS, l’entité Cloud de l’e-commerçant), ces acteurs de l’informatique en ligne valent à Seattle d’être rebaptisée « Cloud City » par les analystes du secteur.


« Seattle est en train de devenir la Silicon ­Valley du Nord. La ville héberge une cinquantaine de centres d’ingénierie et de développement. Il y a maintenant un véritable écosystème où l’argent et les gens circulent », constate Jonathan Sposato, entrepreneur et dirigeant de PicMonkey et de GeekWire, qui a revendu deux de ses sociétés à Google (Phatbits et Picnik). Un récent rapport de Compass classait Seattle au 8e rang mondial des écosystèmes de start-up, devant Paris, qui occupe la 11e place. Et les employés n’hésitent pas à quitter le confort d’une grande entreprise pour créer leur propre société. Le parcours de Rich Barton illustre bien cette dynamique. D’abord manager chez Microsoft, il a créé le voyagiste en ligne Expedia, puis le site immobilier Zillow et, enfin, Glassdoor, le site d’évaluation des entreprises par leurs employés. Autant d’initiatives et de succès qui écrivent la légende de Seattle !
Des acteurs philanthropes
« Certes, la dynamique existe, mais il manque encore les grands investisseurs. Et lorsqu’ils ont besoin d’un dirigeant pour une start-up ­locale, ils vont encore souvent le chercher sur la côte Est », tempère Nat Burgess, le président de Corum Group, un spécialiste des fusions et acquisitions dans le domaine du logiciel. Il existe tout de même plusieurs groupes de business angels très actifs. Les 130 membres d’Alliance of Angels, par exemple, investissent chaque année 10 millions de dollars environ dans une vingtaine de sociétés locales.
Une autre caractéristique de Seattle : elle héberge un grand nombre de fondations. Entreprises, milliardaires et millionnaires locaux pratiquent le mécénat avec assiduité, à commencer par Bill et Melinda Gates, dont la fondation est la plus riche du monde avec une dotation de 40,2 milliards de dollars (fin 2013) et un effectif de 1 200 personnes. Paul Allen, cofondateur de Microsoft et Seattleite lui aussi, a fait des dons pour un montant cumulé de 1,5 milliard de dollars. Boeing, Microsoft, Amazon, Google, Starbucks, tous versent des sommes importantes à des associations locales et incitent leurs employés à participer à des actions philanthropiques. Après tout, ce n’est peut-être pas par hasard si le Rotary-Club de Seattle est l’un des plus importants du monde ! S.C.

Seattle, la renaissance par la technologie