Horlogerie
Portées au pinacle au sortir des années 80, les consoles de jeux dites « de salon » première génération et autres bornes d’arcade semblaient destinées à achever paisiblement leur existence dans la quiétude des caves et des greniers. Mais la vague vintage a décidé de leur offrir un retour – gagnant – sur le devant de la scène.
« La nostalgie constitue une force fondamentalement humaine qui stimule le partage et les liens sociaux, et donne confiance en soi comme dans l’avenir. » Ainsi s’exprimait Constantine Sedikides, professeur de psychologie sociale à l’université de Southampton pour définir un sentiment qui a étreint de nombreux aficionados de jeux vidéo désireux de renouer avec un âge d’or qu’ils croyaient révolu à tout jamais. De cette nostalgie est né le rétrogaming.
Au milieu des années 80, seule une poignée de privilégiés dispose d’une console à domicile – ces dernières étant très chères – et la plupart des « gamers » envahissent les allées des salles d’arcade où ils ont toute latitude pour s’adonner à leur passion favorite. Peu à peu, la démocratisation des consoles de salon va acter la baisse de fréquentation de ces lieux de loisir, avant de signer, plus tard, leur mort clinique – ou presque.
eBay, le pionnier incontournable
Si quantité de sites de revente d’objets estampillés retrogaming tentent de se faire une place au soleil, ils doivent toutefois composer avec l’inamovible eBay. Place de marché mondiale présente dans 190 pays, ce géant abrite en son sein plus de 350 000 annonces en lien avec le gaming – ancien et récent – et détient le titre honorifique de « plate-forme préférée des collectionneurs », selon une étude Ipsos. « EBay a toujours été et sera toujours le lieu où l’on trouve des objets uniques. Cela nous colle à la peau et nous en sommes très fiers », se félicite Laura Simhon, responsable des catégories Art, antiquités et collections de la firme. Mais le retrogaming occupe une place à part dans l’univers de la plate-forme qui œuvre, notamment, pour une consommation durable et un prolongement de la durée de vie des objets. « À ce titre, il n’y a que sur eBay que vous trouverez des pièces détachées de bornes d’arcade qui ne sont plus produites depuis longtemps », souligne la responsable. Outre ce volet écologique, eBay peut également se targuer de ventes record en 2022, comme cette cartouche de Mario Bros sur Nintendo, cédée pour 27 000 $. Graal pour tout collectionneur, deux jeux de la même machine, jamais commercialisés, ont également été sortis des limbes pour se retrouver sur eBay cette année. Au moment de la rédaction de ces lignes, l’un des deux prototypes, baptisé Battlefields of Napoleon, voyait son enchère s’élever à 28 000 $.
Cependant, une console de salon va permettre de renouer avec ces sensations enfouies, puisqu’elle bénéficie de la même ludothèque que les fameuses bornes. Nom de code : Neo Geo ; mise sur orbite : printemps 1990. Considérée comme la Rolls-Royce des consoles, elle va marquer les esprits. D’autant plus qu’elle cultive un aspect inaccessible – aujourd’hui comme à l’époque, d’ailleurs – en raison de son prix. Mais, à l’instar de sa grande sœur des salles d’arcade, elle va connaître une petite mort au début des années 2000, dépassée par les PlayStation et consorts. « C’est à cette période que nous avons commencé à nous y intéresser davantage, car, au moment de sa sortie, elle était inabordable », confirme Raphaël Birn, qui œuvre à la personnalisation et à la restauration de bornes d’arcade, en y juxtaposant les codes épurés du design moderne. Le tout au sein de sa structure baptisée Neo Legend. Clin d’œil malicieux à cette époque bénie.
Ayant baigné depuis tout petit dans une atmosphère Art déco, avec une mère férue de brocante qui fréquentait le marché de Saint-Ouen, Raphaël peaufine sa proposition. « Au départ, nous importions des bornes d’arcade du Japon et des États-Unis, mais nous avons rapidement privilégié l’idée de créer nos propres lignes de produits, en y adjoignant une touche de personnalisation et de modernité. » Neo Legend s’emploie ainsi, en s’inspirant des écoles de design américaine, française et japonaise, à préserver la culture d’arcade. Sans dévoyer le produit d’origine. Un postulat qui a séduit un public de particuliers, mais également de grandes entreprises – Facebook, Amazon ou encore Aéroports de Paris – désireuses de donner plus de cachet à leurs espaces de travail, ont adopté la tendance du retrogaming.
3 questions à Alexis Jacquemard
The Good Life : Directeur du département pop culture au sein de la maison d’enchères Million & Associés. Million & Associés fut, dès le mois de juin 2013, à l’initiative de la première vente aux enchères mondiale exclusivement consacrée au retrogaming. Pourquoi ce choix ?
Alexis Jacquemard : À cette période, nous commencions à recevoir de nombreuses sollicitations de collectionneurs de notre entourage, et le timing s’est avéré parfait, dans la mesure où nous avions également la volonté d’étendre notre expertise à cette spécialité et à la pop culture au sens large. Concernant la première vente à laquelle vous faites référence, il convient de garder à l’esprit qu’il s’agissait d’un territoire vierge aussi bien du côté des acheteurs que des vendeurs, et que nous n’avions aucune attente financière particulière. Nous avions néanmoins un objectif de réussite et de visibilité. Ce qui fut le cas, puisque nous avons eu d’excellentes retombées médiatiques. Et, ce qui ne gâche rien, la vente qui mettait à l’honneur près de 350 lots (consoles, cartouches) a également rencontré son succès du point de vue financier, avec un montant total dépassant les 100 000 €.
TGL : En tant que précurseur sur ce marché, quelle analyse faites-vous de son évolution ?
A.J. : Nous avons assisté à l’émergence d’un nouveau public, notamment depuis la fin de la pandémie de coronavirus, période durant laquelle certaines personnes ont réfléchi à de nouveaux investissements, tout en ayant une certaine connaissance de l’écosystème retrogaming. Les acheteurs ont augmenté en nombre tout comme le montant moyen de leur panier. De fait, le marché des enchères, après quelques tâtonnements inhérents à la nouveauté, a trouvé son rythme de croisière, progressant à hauteur de 5 à 10 % par an. Si nous procédions, en 2022, à la même vente que celle de 2013, le succès serait encore plus impressionnant. À tous points de vue.
TGL : Au regard de vos dix années d’expérience dans le secteur, quelles sont les ventes qui vous ont le plus marqué ?
A.J. : Lors de notre deuxième ou troisième vente, nous avions en possession, chose extrêmement rare pour l’époque, des jeux rétro sous blister, qui n’avaient donc jamais été déballés. Les parents du vendeur possédaient une boutique de jeux vidéo, et celui-ci nous avait contactés après avoir pris connaissance du succès de notre vente inaugurale dans les journaux. Sans surprise, ces lots ont été littéralement pris d’assaut. Nous avons également procédé à la vente du jeu Neo Geo Metal Slug, en version japonaise [une pièce particulièrement prisée par les collectionneurs, NDLR], qui a trouvé preneur pour la modique somme de 18 000 €.
Vibe rétrofuturiste
Une fibre artistique également partagée par l’artiste suédois Love Hultén, dont la démarche se révèle encore plus artisanale, le designer se voyant davantage comme un orfèvre sublimant des minibornes d’arcade en leur offrant un écrin de bois. Un savant mélange entre matériau naturel et électronique. Love Hultén évoquait d’ailleurs son processus créatif et son style dans nos colonnes, en 2020 : « J’imagine que tous mes travaux dégagent une vibe rétrofuturiste, et mélangent le passé et le présent. Mon but est de fabriquer des objets uniques, de fusionner la forme et la fonction de façon inattendue. »
L’inattendu est ce qui jalonne les journées d’Olivier Fournier, fondateur de la structure MyArcade.fr, qui œuvre également à la personnalisation de bornes d’arcade, avec, pour spécificité, de privilégier un circuit court made in France, à l’exception des boutons et des joysticks. « Nous avons parmi nos clients des VIP, dont une célèbre youtubeuse qui m’a demandé une borne avec un revêtement en poils roses, ou encore un club de football qui souhaitait disposer d’une borne ornée de gazon synthétique. » Des demandes insolites qui permettent à Olivier Fournier d’offrir de nouveaux ornements à un millier de bornes par an.
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Retrogaming sous le marteau
Si ce segment de marché se montre encore raisonnable d’un point de vue financier, celui des consoles de salon et des jeux rétro a, depuis longtemps, perdu « tout sens commun », selon Jean Monset, pionnier de la culture rétro, avec son émission culte, « Mémoire vive », sur Game One, au début des années 2000. Expatrié au Japon depuis 2006, il déplore cette spéculation tous azimuts : « Le moindre jeu vintage insignifiant coûte une fortune. J’ai vu monter la vague avec des acheteurs qui venaient tout rafler au Japon, pour ensuite revendre en Europe. Alors que, la plupart du temps, ces collectionneurs ne jouent même pas aux jeux. »
Le retrogaming sur YouTube : un catalogue foisonnant
Si la proposition en matière de retrogaming sur YouTube s’avère particulièrement riche et diversifiée – et, forcément, de qualité très inégale –, plusieurs chaînes tirent néanmoins leur épingle du jeu. En figure de proue, « Joueur du Grenier » (JDG), orchestré par Frédéric Molas et son comparse, Sébastien Rassiat, qui, depuis 2009, fait le bonheur de 3,5 M d’abonnés sur la plate-forme. Au menu : test de jeux rétro particulièrement mauvais dans une mise en scène savamment soignée. Autre youtubeur de la première heure, Olivier WahWah qui, depuis 2009, est l’architecte de la chaîne BackinToys TV, fer de lance de programmes devenus culte au sein de l’écosystème retrogaming de la plate‑forme, comme l’émission « Je viens chez toi ».
Le principe est le suivant : aux quatre coins de la France, mais aussi en Belgique et en Suisse, Olivier rend visite à des collectionneurs chevronnés, qui abritent chez eux des pièces uniques (univers du jeu vidéo et jouets anciens). Un programme où il s’évertue à faire montre de pédagogie, privilégiant le « fond à la forme ». Comptant sur une communauté de quelque 64 000 abonnés, l’animateur met un point d’honneur à ne pas avoir recours aux publicités mises en scène qui précèdent de trop nombreuses vidéos YouTube, leur conférant ainsi un aspect intemporel. Et une ouverture au plus grand nombre. « La plus grande réussite, à mes yeux, est d’être arrêté dans la rue par des spectateurs de mes vidéos qui ne sont pas des collectionneurs, mais qui apprécient mon travail. Cela signifie que nous avons réussi à aller au-delà du simple phénomène de niche, et que mon contenu intéresse tout type de public, même des gens qui n’étaient pas nés au moment de la sortie des consoles qui ont fait le bonheur des gens de ma génération. »
Et de pointer les sites recensant les cotes des différentes pièces. « Cela fait monter artificiellement les prix. » Avant de poursuivre : « Je me tais, car je sais que je suis à contre-courant. Paradoxalement, ces jeux sont inabordables dans leur version physique, alors qu’il n’a jamais été aussi simple d’y jouer de manière dématérialisée grâce à un émulateur ou un ordinateur. » Une position tranchée à laquelle le youtubeur Olivier WahWah, de la chaîne BackinToys, faisant office de tête de gondole de la sphère retrogaming sur la plate-forme, apporte une touche de nuance : « Bien sûr que je regrette cet aspect spéculatif, mais, en même temps, je le comprends. Si le retrogaming était resté cantonné à un petit milieu élitiste, nous n’aurions pas eu l’émergence de ce nouveau public. Et cette démocratisation a permis la production de jeux indépendants en 2D et le remake de titres emblématiques d’anciennes consoles sur des machines nouvelle génération. »
Une cohabitation harmonieuse
Le youtubeur pointe deux moments charnières qui ont œuvré à la démocratisation du retrogaming : « En 2016, la réédition de la NES en version mini, qui a poussé une nouvelle génération à s’intéresser à une console initialement sortie en 1984, date à laquelle la plupart de ces nouveaux adeptes n’étaient même pas nés. Puis la pandémie et le premier confinement, qui ont fini de convaincre ce nouveau public disposant de temps pour redécouvrir en profondeur les machines qui ont fait le bonheur de leurs aînés. » Et, ainsi, permettre à ces vestiges vidéoludiques et leur graphisme vintage de cohabiter en parfaite harmonie avec les Xbox, PlayStation 5 ou Nintendo Switch, et leurs cohortes de jeux poussant toujours plus loin le réalisme. Pour Olivier Fournier, le neuf et l’ancien se nourrissent l’un l’autre. « Si, en musique, vous pouvez apprécier les nouveautés tout en continuant à écouter les Beatles et Led Zeppelin, pourquoi n’en serait-il pas de même pour le jeu vidéo ? » La nostalgie n’a pas pris une ride.
S.H
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