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Ludovic du Plessis préside la maison Telmont depuis deux ans. Cet ancien de Dom Pérignon, marqué par sa rencontre avec l’iconique chef de cave Richard Geoffroy, accélère la transformation environnementale de la propriété familiale de la vallée de la Marne, reprise avec le groupe Rémy Cointreau. « Au nom de la terre », proclame-t-il avec la foi du converti : biodiversité, certification bio, empreinte carbone…, tout passe au tamis de ce manifeste qu’il se donne dix ans pour mener à bien, sans vouloir pour autant faire la leçon à la Champagne. Explications, sans compromis.
Vous avez repris Telmont en 2020 avec le groupe Rémy Cointreau. Pourquoi le choix de cette maison plutôt confidentielle ?
J’avais visité une trentaine de propriétés, petites et moyennes, en établissant quatre bonnes raisons de me lancer. Telmont a coché les quatre. D’abord elle a une histoire centenaire, avec l’acte fondateur des révoltes de 1911, qui n’était pas racontée : l’arrière-grand-père de Bertrand Lhôpital a écrit le chant « Gloire au Champagne » ! Ensuite elle est restée une maison familiale dont Bertrand représente la quatrième génération : il garde son rôle de chef de cave et de responsable du vignoble. Troisième raison : les vins sont remarquables dans une gamme complète. Enfin la conversion en bio, entamée dès les années 2000, a été l’élément décisif. Je me trouvais devant une belle endormie de 25 ha, un domaine à taille humaine, avec l’équivalent de 55 ha supplémentaires en approvisionnements. J’ai proposé mon projet, avec le manifeste « Au nom de la terre », à Rémy Cointreau pour qui je dirigeais le cognac Louis XIII. Le groupe a pris une participation majoritaire, apporté une capacité d’investissement et un réseau de distribution mondial.
En juin dernier, c’est Leonardo DiCaprio qui s’invite au capital : racontez-nous…
J‘ai rencontré Leo il y a quinze ans à Los Angeles. Il aime le vin, connaît parfaitement l’histoire de France et il m’a fait prendre conscience des enjeux environnementaux. Il y a dix ans, je me disais encore : je vais faire ma part comme tout le monde, pas plus. Grâce à lui, je ne pense plus qu’à ça tous les matins ! Il continue de m’envoyer régulièrement des infos, des docs sur le sujet. Porte-parole de l’ONU sur le changement climatique, Leo n’est pas une égérie ou un ambassadeur : il investit dans le projet. J’en suis fier pour les équipes de Telmont et pour la Champagne. Il aurait pu aller dans un vignoble californien, il le fait en France. Il apporte sa crédibilité et de la désirabilité.
« Il n’y a plus une seule bouteille Telmont qui prend l’avion. Ça peut coûter des ventes : un client américain voulait 100 flacons d’un vieux millésime, je lui ai dit d’accord, mais la cargaison part en bateau, tu fêteras Noël au mois de mars ! » – Ludovic du Plessis
Le champagne n’a jamais été aussi désirable avec pourtant des pratiques minimalistes de développement durable jusque-là…
Les enjeux de ce siècle doivent être impérativement pris en compte. Si le champagne ne prend pas ce virage, il ne sera plus. Mais il y a une vraie évolution, un état d’esprit qui a changé. Chez Telmont, nous sommes convaincus de ce que nous faisons, qui est tout sauf du green-washing. Parce que notre taille nous le permet aussi, avec nos 300 à 400.000 bouteilles par an, nous voulons montrer qu’on peut aller plus vite, plus loin. Sans approche militante : nous ne portons pas de jugement sur les autres, nous voulons juste entraîner. Et j’observe beaucoup d’encouragements pour notre démarche.
La conversion en bio est-elle un préalable obligatoire à toute démarche environnementale ?
Le premier étage de notre projet tourne autour de la biodiversité dont tout le monde parle actuellement : arbres, couverts végétaux, puits de carbone… Mais nous pensons qu’il faut aller plus loin et le bio est aujourd’hui la seule certification qui dit : pas d’herbicide, pas de pesticide, pas de fertilisant chimique. Notre engagement est de le faire à 100% pour nos vignes en propriété, d’ici 2025, et aussi pour celles de nos partenaires vignerons, ce qui est beaucoup plus compliqué dans le modèle champenois. Nous l’avons annoncé le 21 juin 2021 et nous nous donnons dix ans pour y parvenir. Nous leur donnons des incitations financières et des aides techniques. On parle souvent de rendements en baisse avec le bio : cette année, nous avons fait 13.000 kilos/hectare sur nos parcelles encore en conventionnel, 11.000 sur celles en bio. Voilà, nous ferons un peu moins mais mieux.
Le bio n’est pas une motivation d’achat pour le champagne…
Peut-être mais on y vient. Des clients nous le demandent, aux États-Unis ou au Japon par exemple, nos deux plus gros marchés. Notre étiquette, c’est pareil : nous y indiquons la composition de l’assemblage, l’origine des approvisionnements, le dosage en sucre… Les gens veulent savoir ce qu’ils boivent. Le champagne est un univers de marques prestigieuses qui n’en ont pas forcément besoin. Nous, nous sommes une petite maison fière de l’être et d’afficher ce qu’elle fait.
Quels efforts faites-vous pour réduire votre empreinte carbone ?
Cela touche principalement la bouteille et le packaging. Nous avons décidé d’arrêter les étuis et les coffrets. C’est bien de proposer un étui écoresponsable mais c’est encore mieux de ne pas en faire du tout. Pour y mettre un peu d’humour, nous avons sorti pour les fêtes la « No Gift Box Unlimited Edition » ! Nous avons aussi banni le verre transparent non recyclé pour nos bouteilles, baissé leur poids à 835 g et après une série de tests avec Verallia, nous devrions passer à 800 g l’an prochain. C’est 35 g de moins mais si tout le monde le fait, quel impact sur l’empreinte carbone des 320 millions de bouteilles de champagne… De même, il n’y a plus une seule bouteille Telmont qui prend l’avion. Ça peut coûter des ventes : un client américain voulait 100 flacons d’un vieux millésime, je lui ai dit d’accord mais la cargaison part en bateau, tu fêteras Noël au mois de mars !
Propos recueillis par G.R
Champagne Telmont,
1 Av. de Champagne,
51480 Damery
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