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Raffles Hotel Singapore, la renaissance
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Voyage

Raffles Hotel Singapore, la renaissance

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Après une interruption de deux ans pour travaux, le palace historique de la cité-Etat dévoile une rénovation éclatante et soignée. Les habitués retrouvent son âme intacte, sa part de rêve et de légendes, son tea-time et son personnel aux petits soins.

« Habiter à l’hôtel, c’est la conception de la vie comme un roman », écrivait Bertolt Brecht. Le Raffles Hotel Singapore pourrait faire de cette maxime sa devise. Codes, rituels, perfectionnisme et attentions maniaques, le ­Raffles est palace jusque dans l’alignement de ses palmiers ébouriffés par les alizées de l’Asie. Enfin libéré des échelles et des brosses à plâtre, l’édifice classé monument historique en 1987 a rouvert en grand tralala le 1er août dernier. The show must go on !

Dans la lignée des grands écrivains ayant fait du palace leur QG, l’essayiste voyageur américain Pico Iyer est le premier auteur officiel en résidence au Raffles. Son livre, This Could Be Home : Raffles Hotel and the City of Tomorrow, a été publié à Singapour en août dernier.
Dans la lignée des grands écrivains ayant fait du palace leur QG, l’essayiste voyageur américain Pico Iyer est le premier auteur officiel en résidence au Raffles. Son livre, This Could Be Home : Raffles Hotel and the City of Tomorrow, a été publié à Singapour en août dernier. RALF TOOTEN

Depuis sa renaissance, 2 000 personnes viennent chaque jour fantasmer sur ce palais des mille et une nuits. Chacun veut pouvoir dire « j’y étais » et, mine de rien, traquer le VIP descendu incognito. Dans notre siècle, Boris Johnson, Johnny Depp, Diana Krall ou Christine Lagarde. Autrefois, Joseph Conrad, Ava Gardner, Liz Taylor, Paul Anka ou Pablo Neruda.

Un gotha irrésistible qui ajoute à sa renommée, comme la pâleur de marbre de l’édifice, les salles de bal, la piscine – déménagée dans un patio plus cosy –, les bars légendaires, ou la cave aux 100 000 grands crus, dont certains de 1940. Et puisqu’on se marie beaucoup entre ces murs prestigieux, le spa frise l’embouteillage, squatté par des flopées de demoiselles d’honneur surexcitées. Heureusement, vous verrez, à l’instar de Mary Poppins, votre majordome peut tout arranger.

Légendaire, le Raffles Hotel Singapore vient de rouvrir ses portes après plusieurs mois de travaux de rénovation. Le palace, inauguré en 1887, a ainsi retrouvé toute sa spendeur tout en gagnant en confort et en modernité.
Légendaire, le Raffles Hotel Singapore vient de rouvrir ses portes après plusieurs mois de travaux de rénovation. Le palace, inauguré en 1887, a ainsi retrouvé toute sa spendeur tout en gagnant en confort et en modernité. Russel Wong Photography

Nettement plus confortable

Cerné tel un village gaulois par les légions romaines, le mythe trône dans le quartier du City Hall depuis 132 ans. La haletante rénovation menée par le cabinet d’architecture Aedas, accompagné du talent de la décoratrice multiprimée Alexandra Champalimaud a produit son effet. On retrouve notamment 115 suites (contre 103 auparavant) et l’ouverture de la Raffles Arcade (32 boutiques de luxe).

L’adresse de rêve a aussi gagné en confort. Fini les glouglous de la plomberie centenaire et terminé le tambourinement de la pluie sur le toit. Dorénavant, toutes les suites se referment sur l’agitation extérieure comme de voluptueux lotus. Le XXIe siècle y a pris la forme d’un iPad directement connecté à la conciergerie. Pratique pour commander un room service ou soutirer à son majordome les bons plans de Singapour introuvables online.

L’hôtel compte désormais 115 suites.
L’hôtel compte désormais 115 suites. Russel Wong Photography

Tigres endormis

A 20 heures pétantes, l’horloge de 1853 joue I’ll See You Again – composé sur place en 1929 par Noël Coward, également scénariste de David Lean. Des tigres s’endorment dans la ­Billiard Room (fait avéré en 1902 !), et l’auteur de L’Homme qui voulut être roi a assassiné le ­Raffles d’un : « nourriture excellente, chambres affreuses ». C’était en 1888. Exactement comme ce soir où ma limousine me dépose devant le Grand Lobby et qu’un portier sikh en grand uniforme chamarré m’ouvre la portière, Kipling débarque dans l’hôtel pimpant bâti un an plus tôt par les frères arméniens Sarkies. Ils l’ont baptisé en l’honneur du fondateur de Singapour, Thomas Stamford Raffles.

Le majestueux Grand Lobby.
Le majestueux Grand Lobby. Russel Wong Photography

La suite présidentielle de 190 m² est un enchantement de fleurs en porcelaine grimpant sur les murs bleuis, de profonds canapés couleur pain brûlé dans le grand salon, de tableaux et de potiches chinoises du XIXe siècle dans les chambres. Sans oublier la cuisine agencée pour accueillir un chef et l’immense galerie privée où voir sans être vu.

Parmi les neuf catégories de suites, pour moi, ce seront les 60 m² d’une divine maisonnette bordant une galerie aérée. L’armoire-cabine en cuir fauve dévoile des douceurs – seul point horrifique quand on ne sait pas résister –, puis le lit à baldaquin, les bienfaits de ses oreillers en plume. Bref, je fais le tour du propriétaire avant de m’assoupir dans la baignoire victorienne flottant dans un lac de marbre blanc, noir et or.

Le Writers Bar, en hommage aux nombreux auteurs ayant séjourné au palace.
Le Writers Bar, en hommage aux nombreux auteurs ayant séjourné au palace. Russel Wong Photography

La gestion des excentricités

Tous les palaces du monde fascinent par les somptueux toqués qui les peuplent. Chadi Chemaly, hotel manager du palace, me confie à demi-mot que ces excentriques existent toujours, mais que les 650 employés sont entraînés à désamorcer leurs folies. « Des coachs de la compagnie Singapore Airlines les forment à contrôler leurs émotions pour régler en douceur un problème. Notre personnel est aussi initié à se coiffer, à se maquiller, à porter un plateau chargé dans les escaliers ou à la patine des cuirs par un maître bottier. Vous comprenez, un palace est le contraire de la standardisation. L’individu est au cœur de ses attentions. »

Le Raffles Hotel Singapore.
Le Raffles Hotel Singapore. Russel Wong Photography

La cuisine attire le tout-Singapour

Le chef Alain Ducasse (à droite) en compagnie du chef de cuisine Louis Pacquelin.
Le chef Alain Ducasse (à droite) en compagnie du chef de cuisine Louis Pacquelin. Russel Wong Photography

Finalement, grâce à la critique de Kipling, qui n’avait pas prévu le coup, la cuisine de l’établissement a vite attiré le tout-­Singapour. Sa récente rénovation permet d’y faire cohabiter dix bars et restaurants, certains pilotés par des stars comme Anne-Sophie Pic, dont La Dame de Pic – son premier restaurant en Asie – vise les 2 étoiles. Le cocon tamisé aux teintes poudrées fait carton plein pour cette carte qui mixe les produits fétiches de la chef originaire de Valence à ceux de la région. Depuis 1896, au même endroit, c’est le seul lieu de l’hygiéniste Singapour, où l’on peut jeter rituellement ses cosses de cacahuètes au sol sans se prendre une prune.

La piscine du Raffles.
La piscine du Raffles. Russel Wong Photography

Bleu comme une orange

En plus, on y savoure le fameux Singapore Sling, délicieux cocktail créé ici en 1915. Le Long Bar voisine avec le BBR (Bar & Billiard Room), restaurant vampé par Alain Ducasse qu’on ne présente plus. Le décor semble traduire ce vers de Paul Eluard : « La terre est bleue comme une orange ». Ces couleurs combinées pétillent, c’est gai, frais et méditerranéen jusque dans mon assiette de tartare de poisson. Jereme Leung, chef chinois présenté comme le plus inventif de sa génération, a aussi été invité à installer son piano au Raffles.

Le Raffles est un véritable mythe qui a traversé le XXe siècle, l’un des derniers vestiges du style colonial au milieu des gratte-ciel de Singapour. Une renommée qui repose, entre autres, sur la pâleur de marbre de l’édifice.
Le Raffles est un véritable mythe qui a traversé le XXe siècle, l’un des derniers vestiges du style colonial au milieu des gratte-ciel de Singapour. Une renommée qui repose, entre autres, sur la pâleur de marbre de l’édifice. Russel Wong Photography

Sous les dorures et les cerisiers en fleur qui ornent le Yì, je teste le crabe. Apporté entier, il surnage dans une redoutable piscine de sauce aux œufs. Un maillet l’accompagne. La cuisine combine adroitement les épices. Voici déjà le « Goûter » de 17 heures orchestré dans le Grand Lobby. Entre thé vert, champagne, gâteaux crémeux, sandwichs au saumon, les derniers cancans circulent sans filtre. Il me semble voir l’ombre de William Somerset Maugham siroter son Earl Grey en écrivant sous les frangipaniers. Le roman s’achève, mais on ne quitte pas un palace sans que le second volume soit déjà écrit. Le titre est tout trouvé : I’ll see you again

Un lieu historique

De nombreux écrivains ont fait du Raffles leur QG, l’ont cité ou décrit dans leurs œuvres : William Golding, André Malraux, Hermann Hesse ou, dès 1888, Rudyard Kipling et Joseph Conrad, lequel, dans sa nouvelle Au bout du rouleau (The End of the Tether), décrit l’hôtel : « désinvolte comme une cage à oiseau ». Dessiné par l’architecte Regent Alfred John Bidwell, inauguré en 1887, le palace de Singapour, fondu dans 5 ha de jardins, appartient aujourd’hui à Katara Hospitality (contrôlé par le fonds souverain du Qatar, la Qatar Investment Authority), et fait partie de la marque Raffles Hotels & Resorts détenue par AccorHotels, qui gère l’établissement depuis 2014. www.rafflessingapore.com


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