Olivier Roller

Radhouane El Meddeb, rébellion pudique dansée

Sa dernière pièce, Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire, a été vivement remarquée lors des Plateaux 2017, présentés à La Briqueterie, centre de développement chorégraphique national du Val-de-Marne. Voyage théâtral et dansé dans lequel le chorégraphe Radhouane El Meddeb évoque, à travers l’exil, les revers du déracinement.

Les titres de pièces de Radhouane El Meddeb portent en eux leur dramaturgie, mais surtout la fragilité des choses. « J’aime ce qui est à fleur de peau, confirme-t-il. J’aime lorsque la danse raconte la vie, dévoile nos secrets. » Pour en finir avec MOI, son premier solo, forcément psychanalytique, est traité comme un combat, afin de régler le rapport au métier, au théâtre, à la scène, à la solitude. Dans un autre solo titré A mon père, une dernière danse et un premier baiser, non seulement il livre avec pudeur son chagrin, mais il envoie aussi un message dans l’au-delà, pour dire ce qu’il n’a pas eu le temps de dire, « au revoir », à celui qui est parti trop vite. Et comme s’il cachait ses larmes, il danse de dos, « mais plutôt pour éviter trop de frontalité avec le public, reprend-il, pour ne rien imposer, ne pas trop s’exposer ou rechercher la compassion. Chaque spectacle est une rencontre, et l’esthétique est importante pour aller au-devant de l’autre sans l’agresser. »

Avec HeroesRadhouane El Meddeb s’aventure vers d’autres latitudes, tout comme avec Sous leurs pieds, le paradis, hommage qu’il rend aux mères avec le chorégraphe Thomas Lebrun, en 2012, sur une chanson d’Oum Kalthoum, lors du festival Montpellier Danse. « J’aime les danses qui racontent notre humanité, s’approprient l’actualité, racontent le chaos, le désordre, la peur de disparaître, clament la liberté. » C’est à nouveau un hommage aux films des années 40, à la danse orientale, à une époque où les corps des femmes étaient vénérés, et où leur nombril était le centre du monde, qu’il rend avec Au temps où les Arabes dansaient. Et pour provoquer, mais toujours avec la même pudeur, Radhouane El Meddeb fait interpréter son pamphlet par quatre hommes qui se déhanchent, interrogeant ainsi leur virilité. « Il s’agissait, ici, d’aborder un contexte géopolitique actuel tout en prenant soin d’éviter l’écueil folklorique et orientaliste. »

Face à la mer, pour que les larmes deviennent des éclats de rire raconte donc tout ce que les déracinés emportent dans leur bagage ou ont laissé derrière eux, l’exil, le sentiment d’avoir déserté, d’avoir manqué quelque chose. « Je suis passé à côté de deux choses essentielles dans ma vie et dans l’histoire de ma terre natale : la mort de mon père et la révolution tunisienne. Même si, aujourd’hui, je me sens dépassé par ce pays que j’aime tant et qui a beaucoup changé. » Le manque fait donc partie de ses pièces, qui interrogent toujours le corps avec une grande pudeur et tisse entre la danse et le théâtre une frontière toujours aussi ténue. Comme l’un des grands projets sur lequel il travaille en ce moment, la réinterprétation d’un ballet du répertoire romantique qui sera dansée par la compagnie d’un opéra national en mars 2019 et qu’il évoque d’une manière discrète, histoire de conjurer le mauvais sort.

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