Qualité de vie
The Good City
Cette piscine auto-filtrante en implantation off-shore dans le détroit new-yorkais pourra nettoyer jusqu’à 3,8 millions de litres d’eau chaque jour grâce à une technologie brevetée inédite. Un projet soutenu par les institutions qui comptent en faire un modèle écologique et social.
La société de loisirs n’aurait-elle pas ce regrettable défaut de faire passer de plus en plus les centres urbains pour des parcs d’attraction ? Pourvu que cela soit nouveau, sensationnel et, finalement, instagrammable… Tentons de se défaire de ce premier jugement pour se réjouir de cette nouvelle : nul besoin d’aller jusque dans les Hamptons pour se rafraîchir l’été, les New-Yorkais pourront bientôt barboter à loisir dans les eaux de l’East River, le détroit qui longe l’île de Manhattan à l’est. Un projet de piscine auto-filtrante en implantation off-shore au large de New York est actuellement à l’étude, conçu par le studio de design PlayLab Inc., basé à Los Angeles, et le studio Family Architects, aujourd’hui dissous. Après avoir satisfait à toutes les exigences en matière de santé et de sécurité, cette piscine, nommée +Pool, va rentrer l’été prochain dans une phase de tests à grande échelle à proximité du pont de Manhattan, pour ouvrir ses portes gratuitement au public dès l’été 2025.
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Une piscine au large de New York
Ce n’est en fait pas si nouveau. Dans les années 1870 déjà étaient installées des piscines flottantes le long du port de New York, mais le développement industriel et commercial de la métropole américaine au début du XXe siècle a eu raison de la qualité de ces eaux. Bien qu’elles aient connu une amélioration relative ces trente dernières années, les rivières new-yorkaises contiennent toujours des bactéries nocives pour l’homme, notamment des coliformes et entérocoques, les rendant impropres à la baignade.
+Pool est né d’une idée audacieuse : plutôt que de rendre salubre les eaux de l’East River (ce qui équivaudrait nettoyer les écuries d’Augias), il est ici question de n’en filtrer qu’une toute petite partie. Les designers Archie Lee Coates et Jeffrey Franklin (PlayLab) et les architectes Dong-Ping Wong et Oana Stanescu (Family Architects), planchent sur ce concept depuis 2010 : exploitant une technologie de pointe, +Pool sera donc capable de nettoyer près de 3,8 millions de litres par jour sans désinfectant ni additifs chimiques. Telle une passoire géante, la piscine filtrera l’eau du détroit à l’intérieur de ses parois grâce à un système composé d’un tissu poreux à trois couches, éliminant ainsi bactéries, contaminants et odeurs, pour ne laisser que de l’eau à un niveau microbiologique acceptable pour la baignade selon les normes américaines en vigueurs. Ce système breveté au niveau international est mesuré par logiciel, un programme de modélisation de l’Agence de Protection Environnementale américaine, dénommé « Water Quality Analysis Simulation Program ».
+pool : un projet largement scruté
En 2014, des ingénieurs du bureau d’études britannique Arup et des consultants écologiques de la fondation One Nature ont passé six semaines sur une jetée de l’East River à tester les différents matériaux de filtration, travaillant en collaboration avec les designers d’IDEO et les architectes navals Persak & Wurmfeld pour concevoir la structure flottante. C’est ce mini-laboratoire scientifique qui a permis l’obtention des fameux brevets. La gouverneure de l’État de New York Kathy Hochul et le maire de la ville Eric Adams ont fait preuve par la suite d’une forte volonté politique pour faire de cette proposition une réalité, aidant à ce que la législation permette la baignade en rivière, et finançant cette piscine auto-filtrante urbaine à hauteur de 16 millions de dollars (4 millions de la ville, 12 millions de l’État), soit le plus grand investissement dans la natation à l’échelle de l’État depuis le New Deal des années 1930.
S’il s’avère concluant, ce projet pilote de piscine sera reproduit dans d’autres villes de l’État de New York, notamment à Buffalo, Newburgh et Rochester, aidant ainsi la collectivité à atteindre les objectifs du Clean Water Act, une loi fédérale sur la pollution des eaux. D’autres villes dans le monde semblent également intéressées, les concepteurs ayant été contactés par les équipes municipales de Munich, de Sydney ou encore d’Auckland.
Une double dimension écologique et sociale
Mais plus qu’un usage récréatif, + Pool ambitionne un changement de regard sur la nature en ville. Si des aménagements ont bien été opérés sur les rives new-yorkaises en lieu d’anciens sites industriels le long des berges, le projet offre une occasion nouvelle pour plusieurs millions d’habitants de la mégapole de se reconnecter à leurs cours d’eau. Cette piscine cruciforme a le mérite de rétablir une certaine proximité avec l’environnement direct, c’est peut-être là sa force : une dimension écologique absolument nécessaire, alors que Big Apple a été frappée ces dernières années par des pics de chaleur de plus en plus intenses, contraignant les citadins à aller chercher un peu de fraîcheur sûr les plages, générant un nombre croissant de noyades.
Ce n’est qu’un premier pas, mais il s’agit bien de remédier à cela. Il faut voir dans ce projet de piscine auto-filtrante une indéniable dimension sociale. Conçues comme quatre piscines en une, chacune des branches de son design entrecroisé sera adaptable et pourra être reconfigurée pour diverses activités : enfants, pratique sportive, nage en longueurs et espace lounge. Les sections individuelles pourront être combinées pour créer un bassin de longueur olympique de 9 000 mètres carrés. +Pool a par ailleurs vocation à produire des programmes publics et éducatifs gratuits, pour promouvoir la gestion de l’eau mais aussi enseigner la natation à tous types de publics, enfants comme adultes. Alors, ces piscine auto-filtrantes pourront être recréés à l’identique à proximité de communautés défavorisées, situés dans les voies navigables bordant les quartiers du Bronx ou du Queens par exemple.
Les limites d’un projet utopique
C’était du moins la volonté initiale de son concepteur principal, Dong-Ping Wong. Mais ce dernier a tout récemment lancé un pavé dans la marre, en affirmant avoir été évincé de son projet, dans un post Instagram publié ce jeudi 11 janvier. L’architecte y fait part de ses inquiétudes concernant +Pool, qui, « a lentement cédé la place à des intérêts qui donnent la priorité à l’argent, exposant le projet aux leviers de la gentrification ». Lui qui rêvait « d’apporter de grands changements civiques à la ville, dans des endroits souvent négligés » semble déchanter. « Nous partions de l’idéal selon lequel une organisation à but non lucratif protégerait le projet des intérêts privés », écrit-il, amer. Mis à l’écart à la suite de préoccupations exprimées concernant le « manque de diversité de longue date au sein du conseil d’administration de +Pool », ce sino-américain déplore qu’« aucune véritable implication communautaire auprès des habitants de Chinatown », n’ait été faite, alors qu’un premier bassin sera implanté à proximité directe de ce district new-yorkais. « Je m’inquiète de la manière dont les dirigeants traiteront les communautés de longue date du quartier, dont la majorité sont des personnes de couleur et à faible revenu », ajoute-t-il.
Un projet encore loin de résoudre totalement les problèmes de justice sociale en matière de loisirs, donc. Ne serait-ce seulement par sa taille, puisque seules 450 personnes pourront nager au maximum dans cette structure flottante, dans une agglomération de plus de 20 millions d’habitants. Une goutte d’eau en somme. Ou plutôt une première étape. Car, non sans obstacles certes mais petit à petit, les petits ruisseaux parviennent toujours à former de grandes rivières.