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Les ressources pétrolières sont immenses et pourraient placer le pays en position de force sur la scène internationale. Malheureusement, le Brésil semble ne pas avoir su éviter le principal piège qui guette les grandes puissances pétrolières : la corruption.
C’est le Vénézuélien Juan Pablo Pérez Alfonzo, l’un des fondateurs de l’OPEP, qui a inventé l’expression « malédiction du pétrole », allant jusqu’à dire que « l’or noir est l’excrément du diable ». Depuis, des économistes ont conforté sa thèse : mis à part la Norvège et les États-Unis, les pays pétroliers ont une industrie peu performante, une croissance plus faible que les économies très diversifiées et des élites corrompues. La dépendance au pétrole pousse aussi les dirigeants à cesser de contrôler les dépenses publiques et à négliger de faire des économies pour les périodes de vaches maigres. Le Brésil, dont la bonne fortune pétrolière est récente, semble à son tour frappé par cette malédiction. Exploitant des gisements off-shore depuis les années 80, il n’était, jusqu’à 2006, qu’un acteur de second rang, sa production ne couvrant pas ses besoins. C’est alors qu’il a touché le jackpot, en découvrant, à 250 kilomètres au large de l’État de Rio de Janeiro, des champs de pétrole dits « supergéants », c’est-à-dire dont les réserves sont supérieures à 5 milliards de barils. Ces gisements, qualifiés de « pré-sal » dans le jargon de l’industrie, se situent au fond de l’océan, sous une couche de sel et de roche dont l’épaisseur peut dépasser trois kilomètres. A cette profondeur, le pétrole est sous haute pression et sa température atteint 80 °C. D’où des conditions d’extraction difficiles et un prix de revient élevé, proche de 50 dollars le baril. L’annonce de ces découvertes n’en a pas moins suscité d’énormes espoirs. Alors que les réserves brésiliennes étaient évaluées à 13 milliards de barils en 2006, elles sont aujourd’hui estimées à 106 milliards par l’Institut d’études géologiques des États-Unis. Quant à la production, elle est passée de moins de 2 millions de barils par jour en 2008 à 3 millions en 2015, ce qui permet au pays d’atteindre l’autosuffisance. A ce rythme, le Brésil pourra finir par rejoindre le club des exportateurs de brut.
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De mauvais calculs
Ces découvertes sont pourtant la première cause de la crise économique et politique aiguë dans laquelle le Brésil se débat. Elles ont incité les dirigeants de la compagnie pétrolière Petrobras et le gouvernement à multiplier les erreurs. Le pactole des gisements pré-sal a en effet poussé le président Lula a renationaliser Petrobras en 2010, en échangeant le droit d’exploiter 5 milliards de barils de réserves contre des actions de la compagnie. Alors que le secteur était totalement ouvert à la concurrence depuis 1997, Lula a aussi accordé à Petrobras un monopole sur les nouvelles concessions : la compagnie nationale prend désormais une participation minimale de 30 % dans tous les projets pré-sal. Enfin, en 2012, Dilma Rousseff, qui a succédé à Lula, a nommé à la tête de l’entreprise l’une de ses protégées, Maria das Graças Foster, de façon à ce que les investissements dans les raffineries et la pétrochimie soient dirigés vers des régions gouvernées par ses alliés politiques. « L’élargissement du domaine d’intervention de Petrobras, la pression politique pour augmenter très vite la production et la certitude totalement erronée que les prix du pétrole n’allaient pas baisser ont poussé la compagnie à surinvestir, bien au-delà de ses capacités de financement », explique Edmar de Almeida, qui dirige le groupe Économie de l’énergie à l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Au cours de la seule année 2013, Maria das Graças Foster a ainsi dépensé 45 milliards de dollars dans l’exploration-production. Résultat : Petrobras est de loin l’entreprise la plus endettée du monde. Avec 130 milliards de dollars d’ardoise, sa notation comme emprunteur a été abaissée par l’agence Moody’s au rang de junk. Faute de pouvoir accéder au marché bancaire pour se financer, le nouveau p-dg, Aldemir Bendine, nommé en 2015, se débat pour diminuer les investissements de 40 % sans mettre trop en danger la production et courtise la Banque chinoise de développement (AIIB), qui lui a accordé un prêt de 3,5 milliards de dollars en 2015. Il a aussi prévu de vendre 15 milliards de dollars d’actifs avant fin 2016 (et 42 milliards d’ici à fin 2018) en cédant des participations dans des gazoducs et dans les actifs de sa filiale argentine, ainsi qu’en vendant des raffineries et les rares gisements de Petrobras situés sur la terre ferme. Il s’efforce enfin de réduire les coûts, qui pâtissent de la décision prise par Dilma Rousseff – alors ministre de l’Energie – de forcer Petrobras à acheter 65 % de ses équipements et services à des sociétés brésiliennes. La fabrication locale de plates-formes off-shore a en effet généré des surcoûts et des délais énormes, jusqu’à faire baisser la production de plusieurs puits. Quant aux techniciens et ouvriers brésiliens, souvent sous-qualifiés, ils séjournent moins longtemps que les étrangers sur les plates-formes, du fait d’accords syndicaux.
Menace sur les royalties
La détresse financière de l’État de Rio de Janeiro, dont les déficits et la dette menacent le fonctionnement quotidien de l’Administration, pourrait s’aggraver du fait de la baisse des royalties pétrolières. Il touche en effet 68 % de ces royalties, tout simplement parce que 68 % des gisements se trouvent au large de ses côtes. Les autres États du Brésil ayant protesté en affirmant que le pétrole devrait profiter à toutes les régions, un projet de loi prévoit de leur accorder une petite partie du pactole, ce qui ferait descendre la part perçue par l’État de Rio de Janeiro à moins de 50 %. Le gouverneur de l’État ayant contesté la constitutionnalité de cette loi, la Cour suprême va trancher. Si la loi était appliquée, les conséquences pour l’État de Rio de Janeiro seraient dramatiques. C’est pourquoi le gouverneur a tenté d’imposer une taxe de 18 % plus 0,7 $ par baril sur toute la production pétrolière située au large des côtes de l’État. Gain espéré : 5,5 Mds $. Saisie par les firmes pétrolières, qui affirment que cette taxe est inconstitutionnelle et qu’elle ferait passer le prix du pétrole extrait des gisements pré-sal de 50 à 70 $ le baril, la Cour suprême devra aussi trancher. Le pire scénario : une décision de séquestrer provisoirement la taxe sur un compte judiciaire avant le jugement final. Car, pour boucler ses fins de mois, le gouverneur de l’État de Rio de Janeiro a déjà « emprunté » des sommes séquestrées par la justice dans d’autres affaires.
Corruption à grande échelle
Ces déboires industriels et financiers ne sont pourtant rien à côté du scandale qui éclabousse la compagnie. Depuis mars 2014, l’enquête sur une affaire de blanchiment d’argent dans des stations d’essence de l’État de Paraná (d’où le nom donné au scandale, « Lava Jato », littéralement « lavage au jet ») a mené de fil en aiguille à la découverte de l’un des plus grands programmes de corruption de l’histoire. Durant des années, un cartel comprenant des dizaines de sociétés a surfacturé de 1 à 3 % les contrats avec Petrobras. Cette marge supplémentaire (qui atteindrait au total 3 milliards de dollars) a servi à financer les campagnes électorales de politiciens de la coalition gouvernementale et à corrompre des dirigeants de Petrobras. Le scandale a conduit en prison plusieurs p-dg et mis en cause 70 politiciens soutenant Dilma Rousseff, dont les présidents du Sénat et de la Chambre des députés, mais aussi Fernando Collor de Mello, l’ancien président du Brésil destitué en 1992, devenu, depuis, sénateur, ou encore le trésorier du Parti des travailleurs et… Lula lui-même, accusé de s’être fait payer des travaux dans son triplex et dans sa maison de campagne. Cette affaire a aussi provoqué le licenciement des dirigeants de Petrobras, dont la capitalisation boursière (la quatrième du monde en 2012) a chuté de 85 %. Quant aux conséquences du Lava Jato sur le fonctionnement de l’économie, elles sont énormes, car les groupes mis en cause ne peuvent plus signer de contrats avec Petrobras ni avoir accès aux marchés publics. Tout comme la compagnie pétrolière, ils font face à des problèmes de trésorerie aigus. Ils ont donc cessé d’investir et multiplient les licenciements. Enfin, le scandale Petrobras a provoqué une crise de confiance : les dirigeants de l’un des géants émergents les plus prometteurs se révélant « tous pourris », personne ne les croit plus capables de redresser le pays.
Selon l’économiste Lia Hasenclever, de l’Université fédérale de Rio de Janeiro, « le problème Petrobras a conduit le Brésil dans une impasse économique ». Dans son malheur, le producteur pétrolier a la chance de ne pas vendre son brut au cours mondial, aujourd’hui inférieur à son prix de revient. L’écoulant sur le marché domestique, il peut continuer à faire des bénéfices. Il n’est donc pas dit que son énorme dette provoquera sa faillite. En revanche, Petrobras n’étant plus en mesure d’investir, son monopole va disparaître. Seules les compagnies étrangères ont les ressources nécessaires pour poursuivre l’exploration des gisements pré-sal, et la loi qui leur redonne la liberté de décrocher des concessions sans accord avec Petrobras est actuellement soumise au Parlement. Quant aux grandioses plans sur la comète du gouvernement visant à faire passer, d’ici à 2020, la production de brut du Brésil de 3 à plus de 5 millions de barils par jour, ils ont été remisés au placard. Selon les analystes, si le pays produit 4 millions de barils par jour, cela sera déjà le signe que la crise actuelle ne l’a pas mené à l’abîme.
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