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Capitale du pouvoir politique, poumon économique concentrant 25 % du PIB russe et 80 % des flux financiers en Russie, Moscou est une ville très intéressante à découvrir. La mégapole est en pleine transformation. Ça bouge à Moscou, vous devriez aller voir !
Les PME négligées
Encore faut-il soutenir les autres secteurs. « La Russie continue de croire que l’économie nationale est basée sur les grandes entreprises, alors qu’en Europe occidentale, on le sait, ce sont aussi les petites et moyennes entreprises qui font avancer les pays. Rien n’est fait concrètement pour les aider, souligne David Henderson-Stewart, l’ancien directeur général d’OPK, groupe d’investissement de l’oligarque Sergueï Pougatchev. Cela dit, il est difficile de comparer la Russie à la France, par exemple : elle sort de soixante-dix ans de communisme et de dix ans d’une totale anarchie ! » L’héritage est lourd.
Au cours des années chaotiques post-soviétiques, beaucoup d’usines ont été démantelées pour une bouchée de pain. A leur production industrielle, on préférait leurs nombreux biens immobiliers. Résultat, l’industrie s’est effondrée – à l’exception du nucléaire civil, de l’industrie militaire et du secteur automobile.
L’obsession des grands projets du gouvernement donne le vertige tant les dépassements budgétaires sont colossaux.
Outre les jeux Olympiques de Sotchi, il faut citer les projets en cours à Moscou, dont Skolkovo (une sorte de Silicon Valley aux portes de la ville), Moscow City – un nouveau quartier où plus de 150 entreprises se sont déjà installées – et, bientôt, le Grand Moscou et la Coupe du monde de football de 2018. Face à la sombre Loubianka, l’immeuble du KGB – devenu depuis le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB) –, Rouben Grigorian, propriétaire de l’hôtel Nikol’skaya Kempinski et président de Rutsog-Invest, pointe un problème de taille : la corruption. « Elle s’est généralisée partout, déplore-t-il. Si, à l’époque soviétique, elle était de l’ordre de zéro ou d’une bouteille de vodka offerte tout au plus, elle se pratique aujourd’hui à coups de millions de dollars ! Et évidemment, la conséquence directe, c’est qu’au final le budget doit être coupé ! C’est une énorme perte de temps et cela affecte l’économie tout entière du pays. »
Le Grand Moscou en marche
Avec 185 Md € de budget, 250 000 ha concernés et un million d’emplois à la clé, le projet du Grand Moscou initié par le maire de la ville, Sergueï Sobianine, promet d’être titanesque. Son objectif est de transformer l’agglomération afin de désengorger ses routes, renforcer l’offre de logements et en faire une mégapole aussi en vue que Londres ou New York. On trouve aux manettes deux architectes français : Antoine Grumbach et Jean-Michel Wilmotte. Sélectionnés à la suite d’un appel d’offres international en septembre 2012, leur projet – une réconciliation entre la ville et la nature – a fait la différence. « En étudiant les plans de Moscou, nous avons remarqué que la ville était truffée d’espaces verts et de friches industrielles datant de l’époque soviétique. C’est donc sur l’intérieur que nous avons choisi de nous concentrer plutôt que d’agrandir encore la capitale comme le suggérait la mairie », explique Antoine Grumbach. La clé de voûte de ce projet réside dans la révolution des transports, étant donné que 80% des Moscovites traversent la ville pour aller travailler, ce qui leur prend, en moyenne, trois heures chaque jour. « Les Russes sont fétichistes de leur voiture. Si l’on veut réduire la circulation, il faudra améliorer les connexions entre métro, train, tramway et voiture, mais, surtout, limiter au minimum le nombre de places de parking », précise l’architecte, qui s’est déjà remis au travail en s’attaquant aux trois gares les plus fréquentées de Moscou, premier projet d’une longue série qui devrait s’étaler sur les vingt prochaines années. C. J.
En 2013, l’indice de perception de la corruption publié par Transparency International plaçait la Russie au 127e rang d’une liste de 177 pays. La lourde bureaucratie, les réglementations mouvantes et le manque d’indépendance de la justice entravent aussi le développement du pays. Pourtant, malgré tous ces obstacles, le marché de l’emploi est plus souriant à Moscou que dans les autres capitales européennes. Le taux de chômage y est inférieur à 1 %.
Les entreprises ne rechignent pas à embaucher et à accorder des bonus supérieurs à ceux pratiqués dans le reste de l’Europe ou aux Etats-Unis. Mais leur grand atout, c’est l’ouverture d’esprit de leurs dirigeants. « Ils n’attachent aucune importance au CV de leurs employés, mais s’intéressent plutôt à leur personnalité, remarque David Henderson-Stewart. Il y a un côté très humain ; on leur donne vite des responsabilités. » Tout est possible à Moscou.
Les gros contrats se signent parfois à la bania – les bains russes – ou dans des bars-clubs libertins, comme le K19 ou le Maroussya. Jean-Michel, leur patron, un Français qui a passé vingt ans dans la pub et a été autrefois l’un des conseillers de Jack Lang, souligne que « si les Américains ont tendance à faire signer des contrats épais comme le Bottin, une poignée de main suffit parfois pour les Russes. Le contrat est d’abord moral. »