The Good Business
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Alors que l’entreprise qu’il a créée lorsqu’il était étudiant célèbre ses 40 ans, le Texan Michael Dell continue de la diriger avec la même passion pour la technologie et l’écoute de ses clients. Un parcours unique dans le monde de l’informatique.
Bien qu’il figure parmi les vingt premières fortunes mondiales et qu’il soit le principal actionnaire de la société qu’il a créée il y a quarante ans, Michael Dell est nettement moins connu du grand public que ses homologues de la tech américaine. En revanche, dans le monde de l’informatique d’entreprise, il occupe une place à part.
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D’abord, il est le seul fondateur encore à la tête de l’entreprise de technologie qu’il a fondée et qui, de plus, porte toujours son nom. D’ailleurs, on ne sait jamais très bien lorsqu’il est question de Dell si l’on parle de la société ou de son patron, tant les deux sont consubstantiels…
Ensuite, sa vision et sa stratégie lui ont permis de traverser sans trop d’ambages les périodes de crises et de transformations qu’a connues le secteur. Enfin, si les géants du numérique d’aujourd’hui ont vu le jour en Californie, dans des garages de la Silicon Valley, comme Hewlett-Packard ou Apple, ou dans les parages de l’université Stanford, comme Google, LinkedIn ou Netflix, c’est à Austin, au Texas, que Michael Dell a créé son entreprise.
Curieux d’informatique depuis son plus jeune âge, il démonte son premier ordinateur, un Apple II, pour comprendre comment il fonctionne. Très vite, il « customize » des micro-ordinateurs du marché pour augmenter leur puissance ou leur capacité de mémoire. Il commence à vendre ces ordinateurs personnalisés à la demande en publiant des petites annonces dans les journaux spécialisés de l’époque.
Les commandes affluent de toute la région d’Austin. Nous sommes en 1984 et le monde est loin de ressembler à celui du roman dystopique de George Orwell, l’informatique n’est pas encore personnelle, Internet sort à peine de ses limbes et on ne parle pas encore de numérique.
Dell : un temps d’avance
Michael, qui a un sens aigu du business, n’hésite pas à sillonner lui-même les routes du Texas pour aller débarrasser de leurs surplus de stocks les revendeurs des premiers PC à peine lancés par IBM. Il les charge dans la Cadillac cédée par ses parents – qu’il préfère à la BMW qu’il s’est déjà offerte – parce qu’elle contient bien plus !
De retour à Austin, il ajoute aux machines les composants nécessaires pour répondre aux besoins très divers de ses clients médecins, avocats et autres professions libérales de l’État. Puis il s’attaque au secteur public en répondant directement aux appels d’offres, avec le même succès. Conséquence de cette activité de plus en plus intense : il fréquente de moins en moins les bancs de l’université.
Bientôt, sa chambre d’étudiant ne suffit plus à stocker tout le matériel qu’il y entrepose. Qu’à cela ne tienne, il loue des locaux plus grands et crée sa société avec 1 000 dollars. Il embauche d’autres étudiants pour répondre au téléphone, prendre les commandes.
Tout va très vite ! Ce qui deviendra la société Dell Computer Corporation, puis Dell Technologies, est lancé. Ses parents espéraient qu’il ferait de brillantes études de médecine, mais mis devant le fait accompli et vu l’importance des sommes qu’il gagne, ils se résignent tout en craignant que leur fils aille droit dans le mur.
Quarante ans plus tard, Dell est une société prospère, forte de quelque 120 000 employés dans le monde, qui a réalisé en 2022 – exercice du 1er février 2022 au 31 janvier 2023 – un chiffre d’affaires de 102,3 milliards de dollars et un bénéfice de 2,44 milliards de dollars. Ce qui en fait l’une des toutes premières entreprises mondiales d’informatique.
Son patron est toujours à la manœuvre, attentif aux clients comme aux employés, souvent en avance de phase sur les innovations technologiques qu’il enjoint ses équipes de mettre en œuvre rapidement, mais aussi réactif lorsqu’un nouveau produit ne rencontre pas son marché.
C’est ainsi qu’au début des années 2010, la société s’est lancée dans la téléphonie mobile pour abandonner l’activité peu après, faute de résultats. Loin d’avoir été un long fleuve tranquille, ces quatre décennies ont été jalonnées d’embûches.
Avec l’avènement d’Internet et l’émergence de nouvelles solutions, comme le Cloud Computing et les logiciels sur abonnement à la demande, les grands de l’informatique des années 80 et 90 ont été malmenés par les nouveaux venus du numérique et des plates-formes.
Alors que les chiffres d’affaires des Google, Apple, Facebook ou Amazon Web Services grimpent en flèche et gonflent leurs valorisations boursières, les acteurs historiques peinent à trouver la martingale qui les relancera.
IBM, restructuré à plusieurs reprises, a vu son chiffre d’affaires et ses effectifs diminuer sensiblement ; Hewlett-Packard a été scindé en deux entités ; Microsoft, Cisco ou Oracle doivent se repositionner à coups d’acquisitions et de restructurations pour défendre leurs positions.
Le souci du client
Dell, devenu le premier fournisseur de systèmes informatiques mondial au début des années 2000, a lui aussi été confronté à la montée en puissance des nouveaux venus, mais son modèle d’entreprise, tout comme la vision technologique de son fondateur et dirigeant, et ses options stratégiques, souvent jugées iconoclastes par l’establishment financier de Wall Street, ont permis à la société de sortir par le haut à chaque évolution du marché.
« Michael Dell est un geek qui a créé une boîte de geek, avec une vision holistique de la technologie », résume Stéphane Reboud. Aujourd’hui vice-président responsable du midmarket à l’international, il a rejoint Dell en 2003, au siège Europe du Sud, à Montpellier, et a occupé plusieurs fonctions en France et à l’étranger.
« Mais le métier de Dell n’est pas d’innover dans la technologie, ce que font très bien nos partenaires comme Intel ou Microsoft ; notre métier consiste à industrialiser la technologie pour apporter des solutions à nos clients et les aider à faire mieux leur métier ! » poursuit il.
Ce souci du client ne date pas d’aujourd’hui. À ses débuts, alors que les fabricants de l’époque vendaient des ordinateurs standard par l’intermédiaire de revendeurs à qui ils concédaient des marges de distribution, Michael Dell a créé un nouveau modèle en lançant la vente en ligne de microordinateurs configurés à la demande.
Ce positionnement, totalement atypique à l’heure où Internet démarrait tout juste, lui a permis de pratiquer des tarifs particulièrement compétitifs. Mais pour leur vendre les produits qu’ils attendent, Dell a toujours dû être très attentif à satisfaire ses clients. Et c’est encore aujourd’hui la principale motivation de tous les employés à tous les niveaux de l’organigramme.
Client de Dell depuis une quinzaine d’années, le Centre de lutte contre le cancer LéonBérard, à Lyon, en témoigne. « Ils ont un catalogue de produits très complet, cela nous permet d’avoir un seul interlocuteur pour l’ensemble de notre informatique. Mais surtout, ils ont des valeurs fortes et les employés sont fidèles, ils restent longtemps. Pour preuve, nous n’avons changé qu’une seule fois de responsable de compte en quinze ans, se félicite Franck Mestre, responsable de l’infrastructure et de la sécurité informatique du centre. Quand il y a des restructurations en cours, comme c’est le cas en ce moment, c’est rassurant de voir que le bateau ne tangue pas et que les interlocuteurs ne changent pas. »
La longévité des carrières est effectivement une caractéristique de Dell. Beaucoup d’employés ont rejoint l’entreprise il y a plus de vingt ans et ils s’y trouvent toujours bien. Alors âgé de moins de 30ans, Anwar Dahab, aujourd’hui directeur général de Dell Technologies France, a rejoint la société en décembre 1999 pour gérer le service de ventes en ligne.
« Dell a une culture d’entreprise forte, des valeurs promues par les manageurs, à commencer par Michael Dell lui-même, et partagées par tous. De plus, chacun a la possibilité de faire son propre parcours. Il n’y a pas d’injonction à l’ambition ou à la mobilité. Certains occupent le même poste depuis quinze ans. Pas d’angélisme pour autant, nous sommes là pour faire du business, mais autant le faire dans une “bulle de bienveillance” ! »
La mixité des profils
Agnostique en ce qui concerne les opinions politiques ou religieuses de ses employés, Dell s’affiche carrément activiste dès lors qu’il s’agit d’inclusion et de diversité. Par exemple, en 2013, Dell France a été parmi les premières entreprises à signer la charte LGBT. Michael Dell a lui-même imposé des formations à tous les manageurs pour éviter l’endogamie et favoriser la diversité dans leurs recrutements.
« Dell est très précurseur, notamment dans l’accompagnement des femmes en interne, mais aussi via son programme DWEN », constate Anne Ravanona, fondatrice de Global Invest Her, qui aide les femmes à accéder au financement de leurs entreprises, et partenaire du programme Dell Women’s Entrepreneur Network (DWEN).
DWEN soutient les entrepreneures du monde entier en les mettant en relation, en leur donnant accès à des ressources, à du capital et à de l’équipement à des tarifs très avantageux.
En interne, le réseau Women in Search of Excellence (WISE) réunit des hommes et des femmes de Dell pour développer la mixité et augmenter la part des femmes manageuses. Un programme de mentorat aide les femmes à mener leur carrière. « Sans cet accompagnement, je ne sais pas si j’aurais eu le poste que j’occupe actuellement », affirme d’emblée Florence Ropion, viceprésidente et directrice générale France, responsable des canaux de distribution.
Arrivée chez Dell en 2006, elle est passée de postes techniques à l’international, au commercial, au marketing. « On apprend tous les jours les uns des autres, on n’a pas honte de dire que l’on ne sait pas. On peut être différent, on peut être nous-mêmes. Il y a un vrai sentiment d’appartenance à l’entreprise et une culture du respect, mais aussi beaucoup d’humour et de générosité. C’est précieux ! »
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