Voyage
Au cœur du royaume, tout contre le palais de Buckingham, nous voici sur les terres du jeune duc de Westminster. L’enclave de la high society londonienne a conservé son élégance hors du temps…
Suivi de sa nanny, un petit prince conduit sa mini-Ferrari électrique. Devant une boutique chic, la Bentley bleu ciel dépose sa précieuse passagère en vison et sneakers griffés. Belgravia comporte plus de joujoux de luxe bichonnés à la peau de chamois que partout ailleurs à Londres. Et, hormis le Belgravia in Bloom, son concours fleuri un peu old school, rien ne change dans ce périmètre blasonné, si ce n’est la proportion toujours plus grande de milliardaires étrangers occupant des maisons à 100 millions de livres sterling.
On compte environ un résident anglais pour dix étrangers ! Pour comprendre l’ histoire de ces 80 hectares délimités par le palais de Buckingham au nord-est, Knightsbridge au nord, Grosvenor Place à l’est et Pimlico au sud, il convient de remonter à 1677. C’est à ce moment que sir Thomas Grosvenor épouse Mary Davies. Cette dernière apporte en dot certains des futurs quartiers de Londres, dont Mayfair.
Pour l’heure, ce sont 200 hectares de champs baptisés Five Fields, où les Grosvenor décident, en 1737, de créer un premier noyau urbain composé de manoirs. Il s’agit de Grosvenor Square, où logent aujourd’hui de nombreuses ambassades. Vers 1820, celui qui n’est pas encore duc de Westminster, mais marquis de Westminster, vicomte Belgrave et comte Grosvenor, va lancer à Belgravia une première opération immobilière. Le terrain reste sa propriété et il loue le bâti. Et cette situation est encore d’actualité aujourd’hui. Toujours visibles, ces townhouses de style géorgien se distinguent par leurs parements de brique plus jaune que rouge, par leurs trois niveaux et par leurs façades austères. Leur architecture uniforme cache des intérieurs d’une opulence extrême et des éléments architecturaux innovants, comme des terrasses.
Territoire ducal
En 1826, Londres prend un coup de chaud. Georges IV transforme Buckingham en palais et l’élite veut se rapprocher du nouveau centre du pouvoir. Or, il se trouve que le parc du château est mitoyen du dernier carré non exploité de Belgravia. Le marquis de Westminster s’adresse à l’architecte phare de l’époque, Thomas Cubitt, pour y créer une zone pavillonnaire nouvelle génération. Malin, Cubitt copie en miniature les opulents clubs anglais de l’aristocratie. Placé entre le palais de Buckingham, Knightsbridge, Grosvenor Place et Pimlico, le triangle d’or accumule ainsi d’élégantes demeures blanches à colonnes et pilastres.
A l’arrière, d’exquises venelles recèlent des maisons de poupées et des écuries (les mews) pour loger domestiques et chevaux. La glycine croule désormais sur ces aires transformées en habitations – hors de prix. Dans le décor, Thomas Cubitt a aussi semé des squares comme une illusion de campagne. « Belgravia, notait Paul Morand, est l’archétype auquel toute l’Angleterre essaie de se conformer. Les maisons y sont le modèle parfait qu’imitent à des degrés décroissants dans le luxe, l’aisance et jusqu’à l’extrême pauvreté toutes les autres maisons de Londres. »
Un achat à durée limitée
Par privilège, de nos jours, les ducs de Westminster peuvent léguer tout leur patrimoine au fils aîné. Aujourd’hui, Hugh Louis Richard Grosvenor, 29 ans, 7e duc de Westminster, est la 500e fortune mondiale et le meilleur parti du royaume. Sa richesse repose sur cet empire immobilier, dépassant aujourd’hui les frontières de Belgravia et s’étendant jusqu’à Los Angeles et Hong Kong. Il est même le plus grand propriétaire foncier du Royaume-Uni, devant la reine.
Au XXIe siècle comme hier, les immeubles de Belgravia sont donc loués à bail emphytéotique par des marchands de biens. On « achète » une fortune un appartement pour une durée de moins de 100 ans mais on est voisin d’hôtels fastueux et historiques, dont The Berkeley ou The Goring. Il y a également de beaux magasins, comme Harrods sur Brompton Road, des antiquaires et des artisans d’Eccleston Yards, des restaurants d’Elizabeth Street.
Le luxe a adopté Motcomb Street, où le Pantechnicon vient de renaître en six étages de shopping et un rooftop – ce bâtiment renversant à colonnes doriques fut dessiné par Joseph Jobling au XIXe siècle. Dans les rues, on marche aussi dans les pas des célébrités qui ont habité le quartier. On y retrouve Ian Fleming, l’auteur des James Bond, Mary Shelley, l’autrice de Frankenstein, Margaret Thatcher ou le compositeur Félix Mendelssohn. Levez le nez sur ces demeures altières qui cachent 1 000 m2 souvent assortis d’une piscine, d’une salle de cinéma ou d’un spa et où résident stars du football, familles originaires des pays du Golfe, magnats de l’industrie et peut-être un « royal ». L’intimité est garantie à Belgravia, qui reste muet comme une carpe sur ses people.