Voyage
Curieusement (et injustement), des villes secondaires comme Cusco ou Arequipa étaient, jusqu’à il y a peu, plus connues que la capitale. Boostée par une économie en plein boom, Lima se fraie un chemin sur la carte des mégapoles incontournables dans le monde. A voir absolument.
Terre de contrastes
Tel un pied de nez à cette économie parallèle en pleine effervescence, la nouvelle tour d’Interbank, designée par le célèbre studio autrichien d’Hans Hollein, s’élance au loin, à moins de trois kilomètres de là à vol d’oiseau, témoin du capitalisme vigoureux dont les beaux quartiers de Lima ont également largement profité, San Isidro, Barranco et Miraflores en tête. « Dans les années 2000, Miraflores, l’une des zones les plus résidentielles de Lima, a totalement changé de visage, se souvient Nella Pinto, de Sotheby’s International Realty. Les si jolies maisons coloniales héritées des années 30 n’ont pas résisté à la pression migratoire et ont été remplacées les unes après les autres par des immeubles de cinq étages aux lignes modernes, entraînant, en moins d’une décennie, une multiplication des prix par trois. Cette année, aux abords du golf de San Isidro, on a même atteint un record à plus de 6 500 dollars le mètre carré, malgré une légère érosion depuis 2013. »
Une bulle en partie entretenue par les municipalités, dont celle de Miraflores, d’après Gustavo Rizo Patrón, président de la fédération nationale des promoteurs immobiliers ADI, qui impose des normes strictes dans la structuration des appartements. « Le but ? Éviter la mixité sociale en créant des barrières à l’entrée pour les primo-accédants plus modestes », regrette le promoteur. A Barranco, même son de cloche : « Avec ses jolies maisons coloniales transformées en bars à cocktails, le quartier bobo chic, jusqu’alors réservé à une clientèle d’artistes, a lui aussi succombé à la flambée des prix », indique Nella Pinto, même si le quartier a su mieux résister à la pression des promoteurs, demeurant une enclave préservée dans la capitale.
Image de marque
En 2011, l’organisation d’État chargée de promouvoir le tourisme, PromPerú, présentait un nouveau logo, une nouvelle image et organisait une vaste campagne publicitaire. Ce P formé par une spirale est devenu le nouveau symbole du pays, un logo, créé par l’agence britannique Futurebrand, reconnaissable au premier coup d’œil, désormais apposé sur toutes les publications et sur tous les objets qui le représentent. « La marque Pérou est le résultat de l’évolution de la société, explique Armando Andrade, fondateur de Studio A, l’agence la plus ancienne et la plus incontournable du Pérou. Beaucoup de choses ont changé ces dix dernières années, nous avons pris conscience de notre identité : un pays avec des traditions millénaires. Déjà, dans les années 70, le général Juan Velasco Alvarado nous avait obligés à prendre en considération la culture indienne. » Juan Velasco Alvarado, militaire président d’un gouvernement révolutionnaire, a érigé le héros inca Túpac Amaru en symbole national et imposé le quechua comme seconde langue officielle. « Il faut comprendre le Pérou depuis Cusco, pas depuis Lima. Mais, chose incroyable, des Liméniens comme mes parents, descendants d’Espagnols, n’ont jamais mis les pieds à Cusco. Les gens d’une certaine classe sociale préféraient aller à Miami ou à New York. » C’est exactement ce lien retrouvé avec l’histoire qu’incarne ce P qui s’enroule sur lui-même, rappelant les cercles concentriques de sites archéologiques comme Caral ou bien l’amphithéâtre de Moray.
Le grand retour du beau à Lima ?
Une montée en gamme qui n’a pas échappé aux architectes, notamment sous l’impulsion d’un collectif remarqué : l’Asociación Peruana de Estudios de Arquitectura (AEA). Celui-ci a été fondé en 2015 par un ensemble de 42 cabinets, avec une ambition : remettre l’architecture et l’urbanisme au cœur de la ville, après des années d’urbanisation sauvage (80 % du Lima traditionnel aurait été construit après 1980) dénuées de toute planification. « Nous assistons aujourd’hui à un mouvement très positif pour l’architecture avec un grand A, confirme Angus Laurie, fondateur de Llama Urban Design et membre du collectif. Après s’être enfin dotée d’un ministère de la Culture à proprement parler, Lima réintroduit peu à peu le concept d’appels d’offres publics pour les grands projets, process qui avait totalement disparu. Résultat : on voit réapparaître des architectes à la posture internationale, tels que le studio irlandais Grafton, qui a gagné de nombreux prix avec l’université d’ingénierie et de technologie de Lima, ou l’architecte australien Hans Hollein, avec la tour Interbank. »
Même tendance du côté des bâtiments publics. La récente inauguration du musée de la tolérance ou le projet d’une nouvelle aile pour le Museo de Arte de Lima (MALI), dont l’audace et la créativité détonnent, en sont témoins. Sont-elles le signe du grand retour de la capitale péruvienne sur le devant de la scène, culturelle comme économique ? C’est, en tout cas, le pari que fait Fernando Palazuelo, le fondateur d’Arte Express. Ancien millionnaire ruiné par la crise immobilière espagnole, cet historien promoteur, comme il se définit, a choisi de miser sur Lima, et plus précisément sur son centre historique, « un quartier totalement laissé à l’abandon malgré son potentiel colossal en tant que centre névralgique d’un pays en plein boom ». Au total, près de 40 millions de dollars ont été investis, depuis 2008, pour la rénovation de 21 immeubles déjà occupés à 100 %. Son prochain coup d’éclat ? Racheter le Gran Hotel Bolivar sur la Plaza Mayor, un lieu mythique qui a vu défiler Nixon, de Gaulle et Ava Gardner dans ses belles années. Illuminé ou visionnaire ? L’avenir le dira.
Asphyxie routière
Demandez à un Liménien de résumer sa ville en un mot : le terme « circulation » gagne à tous les coups ! C’est le grand fléau de la ville, qui fait monter Lima sur le podium des capitales les plus congestionnées et les plus polluées du continent. L’explication ? Un système de bus chaotique, géré de manière autonome par les 43 municipalités de Lima, et opéré dans l’informalité la plus totale par des compagnies aussi obscures que leurs bus sont hors d’âge, un système de feux sans coordination d’un quartier à l’autre, et une flotte de 250 000 taxis (dont seulement 68 000 officiels) qui rend le tout parfaitement invivable. Voilà le portrait de cette ville au bord de l’implosion, où le transport automobile reste roi, faute de mieux. Pour améliorer la situation, la mairie mise sur la construction d’une deuxième ligne de métro et sur le développement d’un système de bus public formalisé. Des projets qui semblent bien anecdotiques au regard de la montée en puissance de la classe moyenne et donc du nombre de voitures estimé.
Tourisme gastronomique
« C’est à quelle altitude, Lima ? » La question est si souvent posée à ceux qui en reviennent, qu’elle témoigne de la méconnaissance de cette ville. Contrairement au Machu Picchu, qui est la référence lorsqu’on évoque le Pérou, l’image de Lima est floue. Au mieux sait-on qu’elle est aujourd’hui la destination gastronomique dont tout le monde parle. Il y a peu, Lima n’était qu’un passage obligé pour se rendre à Cusco, et les touristes n’y séjournaient qu’une nuit ou deux avant de poursuivre leur route. Rien à y faire, rien à y voir, quelques musées tout au plus. Les choses ont changé. Grâce au branding, aux campagnes publicitaires et aux délégations commerciales, le Pérou est en quelques années devenu une destination à la mode, portée, certes, par ses atouts historiques et géographiques, mais aussi par un engouement généralisé pour la gastronomie. Un phénomène qui a d’abord débuté à l’intérieur du pays. « Le terrorisme des années 80 nous a détruits économiquement, mais il a aussi détruit notre fierté. Jusqu’à la fin des années 90, les fermiers des montagnes et de l’Amazonie étaient totalement isolés, dans l’impossibilité de nous apporter leurs produits, explique Mitsuharu Tsumura, chef du restaurant Maido. Quand tout cela s’est terminé, il a fallu tout reconstruire, aimer à nouveau ce pays. Et la cuisine a catalysé cette fierté retrouvée. Les restaurants ont commencé à changer leur menu, comme l’a fait Gastón Acurio, le leader de ce mouvement. » Les chefs délaissent la cuisine française tout en en gardant les techniques, qu’ils mettent au service de produits locaux. Ils retrouvent des recettes ancestrales, des modes de conservation empruntés aux Indiens de l’Amazonie. Le mélange est détonnant. Dans un effort conjugué, chefs et médias s’adressent d’abord aux Péruviens, en créant la foire de producteurs Mistura. « Lorsque nous avons lancé Mistura, en 2008, nous avons reçu 20 000 visiteurs, poursuit Mitsuharu Tsumura. L’année suivante, ils étaient 100 000, et 400 000 en 2015 ! » Désormais, beaucoup viennent à Lima dans le seul but de manger, faisant même l’impasse sur Cusco et le Machu Picchu. Chez Central, les touristes représentent 80 % de la clientèle. Même phénomène chez Maido et dans la plupart des restaurants
les plus connus de Lima. Qui sont ces touristes ? Les Chiliens sont les plus nombreux (plus de 30 %), suivis par les Américains (20 %). La moitié restante se répartit entre les autres pays d’Amérique latine (30 %) et le reste du monde. Au total, 3,5 M de visiteurs en 2015, un chiffre qui a triplé depuis 2004.