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Depuis son rachat en 2016 par Cosco, une société d’État chinoise, le port du Pirée a vu sa croissance s’accélérer, 2024 - TGL
Depuis son rachat en 2016 par Cosco, une société d’État chinoise, le port du Pirée a vu sa croissance s’accélérer, 2024 - TGL
Marine Mimouni

The Good City // Acteurs

Grèce : Le Pirée, un port sous contrôle chinois

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The Good City

Depuis son rachat en 2016 par Cosco, une société d’État chinoise, le port du Pirée a vu sa croissance s’accélérer. Mais le statut de la majorité de ses dockers s’est dégradé et son développement se réalise dans l’opacité. Découverte du fonctionnement de cette enclave chinoise en terre grecque.

Depuis que le stratège Thémistocle a fait ériger au Pirée, en 483 avant J.-C., un fort, des quais et des entrepôts pour relocaliser la flotte militaire d’Athènes – 200 trières de 100 rameurs – et accueillir des centaines de caboteurs à voile carrée circulant dans toute la Méditerranée, ce port est resté un atout essentiel de la capitale grecque.


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Un port sous contrôle chinois

Situé à moins de 10 kilomètres du centre-ville d’Athènes, Le Pirée est le quatrième port européen pour le transport de conteneurs, de même que pour le nombre de passagers. Il se classe premier en Méditerranée et en Europe du Sud.

Le fait que leur port millénaire soit passé aux mains de Cosco Shipping, une société d’État chinoise, est donc ressenti par de nombreux Athéniens comme une douloureuse dépossession.
Le fait que leur port millénaire soit passé aux mains de Cosco Shipping, une société d’État chinoise, est donc ressenti par de nombreux Athéniens comme une douloureuse dépossession. Julien Oppenheim

La ville du Pirée héberge certains des armateurs qui ont doté la Grèce de la troisième flotte de commerce mondiale (derrière le Japon et la Chine), avec 4 700 navires, dont 1 450 pétroliers et 430 porte-conteneurs. Le fait que leur port millénaire soit passé aux mains de Cosco Shipping, une société d’État chinoise, est donc ressenti par de nombreux Athéniens comme une douloureuse dépossession.

« La vente du port du Pirée à Cosco a été une erreur tragique, qui met en évidence l’absence de vision et d’argent pour développer une politique portuaire nationale », déclara ainsi Costas Chlomoudis, professeur d’études maritimes à l’université du Pirée.

Une mainmise irréversible

C’est au moment où la crise économique a éclaté en Grèce, en 2009, que la Chine a enclenché la manœuvre. Une filiale de Cosco Shipping dénommée PCT (pour Piraeus Container Terminal) obtient alors la concession pour trente-cinq ans du terminal pour porte-conteneurs N° 2 – et le droit de lui adjoindre un terminal N° 3 pour développer l’activité. Contre le versement d’un loyer de 24 millions d’euros par an à Piraeus Port Authority (PPA), la société étatique contrôlant le port. Un deal classique, car les concessions de terminaux portuaires sont pratiquées partout dans le monde.

Le port du Pirée.
Le port du Pirée. Julien Oppenheim

En revanche, la vente en 2016 de 51 % de PPA à Cosco Shipping, pour 280millions d’euros – avec l’engagement d’y investir 300millions dans les cinq ans– a constitué une énorme surprise. Réalisée au moment où le gouvernement grec était financièrement exsangue – Cosco étant l’unique enchérisseur –, cette prise de contrôle du principal port du pays par la Chine a jeté un froid à Bruxelles et a fait tousser les géostratèges du Vieux Continent.

D’autant qu’en 2021, PPA n’ayant pas investi comme promis 300 millions d’euros pour moderniser le port, les autorités grecques, loin de dénoncer la vente, lui ont permis de faire monter sa participation de 51 % à 67 %. L’État chinois est donc propriétaire du port du Pirée – plus de 30 kilomètres de littoral – pour l’éternité.

La Chine veut transformer ce joyau acquis à faible coût en port majeur, en particulier pour ses exportations.
La Chine veut transformer ce joyau acquis à faible coût en port majeur, en particulier pour ses exportations. Julien Oppenheim

Dans la novlangue de Pékin, « cette coopération dans le cadre des nouvelles routes de la soie aide deux nations majeures du commerce maritime à sécuriser la chaîne d’approvisionnement mondiale, à prospérer de concert et à atteindre des résultats gagnant-gagnant ».

En réalité, la Chine veut transformer ce joyau acquis à faible coût en port majeur, en particulier pour ses exportations. Depuis 2010, la capacité et l’activité des terminaux N° 2 et 3 pour porte-conteneurs ont été multipliées par huit. Le terminal roulier s’est aussi agrandi et constitue un point d’entrée privilégié en Europe pour les voitures coréennes, japonaises et chinoises électriques.

« Le Pirée est devenu un hub essentiel, 80 % des marchandises qui y arrivent étant transbordées pour Giorgos Gogos est inquiet des conséquences sur le statut des travailleurs du port du Pirée, depuis qu’il est géré par PCT, filiale de Cosco. rejoindre d’autres ports en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique », explique Nektarios Demenopoulos, directeur adjoint de PPA.

Le Pirée, 17e port européen en tonnage brut en 2007, et désormais 5e.
Le Pirée, 17e port européen en tonnage brut en 2007, et désormais 5e. Julien Oppenheim

Cerise sur le gâteau : en 2023, le nombre de croisiéristes a augmenté de 68 %, et celui des passagers des ferries de 8 %. Cosco gère un port très profitable, puisque le bénéfice net de PPA a atteint 67 millions d’euros en 2023, soit 30 % du chiffre d’affaires total ! Certains des investissements bénéficient de subventions de Bruxelles. Quant au loyer de la concession des terminaux pour conteneurs N° 2 et 3 versé par PCT, filiale de Cosco, il est désormais encaissé par… Cosco, actionnaire majoritaire du port.

Un management rigide

Cette croissance remarquable du Pirée, 17e port européen en tonnage brut en 2007, et désormais 5e , incite le gouvernement grec à mettre l’accent sur les avantages économiques de la privatisation, et à fermer les yeux sur la perte de souveraineté.

En 2023, le nombre de croisiéristes a augmenté de 68 %, et celui des passagers des ferries de 8 %.
En 2023, le nombre de croisiéristes a augmenté de 68 %, et celui des passagers des ferries de 8 %. Julien Oppenheim

Pourtant, le management du port est désormais rigide et opaque : les décisions sont prises sans consulter les maires des municipalités sur lesquelles il est installé, le salaire et le statut des dockers se sont dégradés, et la création d’un syndicat « à la chinoise » –c’est-à-dire sans revendications – symbolise le mépris des dirigeants de PCT pour leurs troupes.

« La coopération entre l’Europe et la Chine n’est pas une mauvaise chose en soi, et la Chine n’est pas la Russie, estime l’économiste Panagiotis Petrakis. Mais il faut prier pour que Pékin n’envahisse pas Taïwan. Car l’actionnariat du port du Pirée poserait alors un énorme problème à la Grèce… »


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