A la veille de la fashion-week, l’hôtel Meurice affichait archicomplet. Et ce, en dépit de l’appel au boycott lancé, en 2014, contre le propriétaire du groupe Dorchester, le sultan de Brunei, pour avoir instauré la charia dans son pays. Cela n’a apparemment pas freiné l’enthousiasme des clients, qu’ils soient fidèles ou nouveaux. Cette année, l’hôtel fête son 180e anniversaire. Près de deux siècles au cours desquels il a gagné le surnom d’hôtel des rois et, surtout, ses galons de palace. Tout est parti du coup de génie d’un simple maître de poste de Calais, Charles-Augustin Meurice. Au milieu du XVIIIe siècle, il comprend l’intérêt qu’il aurait à offrir aux « touristes » britanniques – de jeunes aristocrates qui entreprennent leur Grand Tour de l’Europe – le confort et les commodités auxquels ils étaient susceptibles d’être habitués. Il ouvre alors une auberge à Calais, suivie d’un premier hôtel à Paris, au 223 de la rue Saint-Honoré, qui est le terminus de la diligence. Et pour libérer ses clients de toute contrainte, il invente la conciergerie, qui s’occupe de l’acquittement des formalités administratives et propose des valets de place attachés à l’hôtel, un service de blanchisserie, un bureau de change et, surtout, du personnel parlant anglais. En 1835, l’hôtel emménage rue de Rivoli, son emplacement actuel, dans un bâtiment neuf et luxueux, qui a vue sur le palais et le jardin des Tuileries. Une situation idéale pour les voyageurs qui fréquentent la cour du roi Louis-Philippe Ier. Le Meurice devient donc l’établissement de prédilection des souverains de toute l’Europe en visite en France, mais aussi le point de rencontre de ceux qui espèrent approcher le centre du pouvoir.
Des hôtes de choix
Au début du XXe siècle, changement de direction. L’un des actionnaires, Arthur Millon, également propriétaire du Café de la Paix et des restaurants Ledoyen et Weber, fait entièrement reconstruire l’hôtel, à l’exception des façades, déjà classées. Rien n’est alors trop beau, d’autant qu’il faut lutter contre une nouvelle concurrence, dont celle du Ritz qui a ouvert tout près, place Vendôme, en 1898. Les plus grands professionnels et artistes de l’époque sont alors sollicités pour agrandir, reconstruire à neuf et ajouter tout le confort moderne. Le style Louis XVI, alors très en vogue, prévaut partout, des chambres aux salons d’apparat. De quoi séduire encore et toujours les têtes couronnées de l’époque. Le roi d’Espagne Alphonse XIII fait du Meurice sa résidence secondaire – n’hésitant pas à faire venir du mobilier depuis le garde-meuble royal de Madrid – et y établit son gouvernement en exil après avoir été chassé du pouvoir en 1931. Tout le gotha ainsi que le monde des affaires se retrouvent là. Puis les artistes suivent le mouvement. Pendant trois décennies, Salvador Dalí avait l’habitude d’occuper une fois par mois l’ancienne suite royale d’Alphonse XIII dont il constellait les murs de taches de peinture, tandis que ses guépards apprivoisés se faisaient les griffes sur la moquette. Seule période noire : l’hôtel devient la résidence de Dietrich von Choltitz, le gouverneur du Grand Paris, pendant l’Occupation. Une époque que personne n’évoque dans le groupe, et qui n’est référencée dans aucun document de communication… Logique !
Tout un art de vivre
Passé sous le giron du groupe Dorchester, le Meurice reste fidèle à sa tradition : grande élégance, luxe discret et modernité (depuis 2008, est attribué chaque année un prix Meurice pour l’art contemporain). Certes, les chambres sont toujours meublées dans un style classique, mais elles semblent avoir été libérées de toute pesanteur par les ateliers Charles Jouffre. Au fil des programmes de rénovation, les tons se sont faits plus doux de manière à mieux mettre en valeur la lumière naturelle ainsi que la sublime vue sur le jardin des Tuileries. A un jet de pierre de la place Vendôme et à un pas des boutiques de la rue Saint-Honoré, sa localisation reste un atout absolument imparable, se réjouit Franka Holtmann, la directrice de l’hôtel qui entend bien préserver le côté intemporel du Meurice et montrer « qu’un palace peut être convivial, sans diktats de codes ou de mode, et être axé sur l’art et la culture ». Et pour le sortir de la somnolence tristounette dans laquelle il avait sombré au début des années 2000, elle a fait appel à Philippe Starck pour revamper le lobby qui accueille désormais l’un des restaurants de l’hôtel, Le Dalí. Le designer a totalement relooké l’endroit pour en faire l’un des plus beaux de Paris. La grande verrière se retrouve voilée par une gigantesque fresque peinte à la main par sa fille, Ara Starck, et de grandes banquettes old fashion côtoient des chaises qui rendent hommage à l’univers surréaliste de Salvador Dalí. Ce bon ton, parsemé d’humour et de glamour, a permis d’attirer une nouvelle clientèle, composée de banquiers, d’avocats d’affaires, de personnalités de la mode ou des médias…
Le Meurice retrouve son lustre, alors que le début de la décennie avait connu une chute de fréquentation des touristes au profit de voyageurs professionnels. « Aujourd’hui, nous retrouvons cette clientèle individuelle qui reste, histoire de l’hôtel oblige, majoritairement anglo-saxonne », confirme Marie-Aude Laurent, responsable des relations publiques du palace. Et pour les chouchouter, le Meurice mise sur le sur-mesure. « Le client doit se sentir comme chez lui, même à l’autre bout du monde, insiste Franka Holtmann. Nous devons donc être capables de créer une relation de complicité avec lui, tout en retenue et en élégance. » Un art de vivre à la française, qui reste fidèle à son style entre l’histoire, la culture et l’art, « des richesses inhérentes aux splendeurs de la France, ajoute la très élégante patronne de l’hôtel. Un savoureux mélange de joie de vivre et de nouvelles expériences, élevé au rang des beaux-arts. » Tout un programme ! Qui assure au Meurice de conserver sa place parmi les plus beaux hôtels de la capitale.