Voyage
Dynamique et super vert, avec ses nombreux parcs et golfs, le borough le plus jeune de New York veut se défaire de sa très mauvaise réputation. Les habitants du Bronx sont prêts au changement, mais pas à n’importe quel prix !
Son avenue la plus large, Grand Concourse, conçue par l’Alsacien Louis Risse, est surnommée les Champs-Elysées du Bronx. Sa longue plage de sable fin, Orchard Beach, est désignée comme la Bronx Riviera. Le plus septentrional des cinq boroughs qui composent la ville de New York ne manque pas de références à la douceur de vivre européenne. Avec près d’un quart de sa surface recouverte de parcs et de golfs municipaux, un ancien aqueduc, à l’ouest, transformé en coulée verte piétonnière au-dessus de l’Hudson River et le port de pêche de City Island, à l’est, on peut dire que le Bronx sait se ménager des havres de paix et des espaces de loisirs. Mais c’est à la diversité de sa population, reflet des vagues successives d’immigration, qu’il doit son caractère bouillonnant. Pas moins d’une soixantaine de quartiers révèlent ce multiculturalisme singulier. Les plus populaires, dans le centre et le sud, regroupent les communautés hispano-caribéennes (54,8 % de la population, en majorité portoricaine, dominicaine et jamaïcaine) et afro-américaines issues des grandes migrations du sud des Etats-Unis (43,3 %), alors que les communautés italienne et irlandaise se concentrent dans le nord, respectivement dans Belmont et Woodlawn, à la frontière avec le comté du Westchester. Une richesse multiethnique que le quartier, nommé d’après Jonas Bronck, un immigré suédois du XVIIe siècle, cherche à préserver. Bon nombre de New-Yorkais n’ont jamais mis les pieds dans le borough ou n’en connaissent que la station de métro 161st Street, celle du Yankee Stadium, les soirs de match de la prestigieuse équipe de baseball. L’image d’un Bronx sale, pauvre et violent reste encore vivace. Elle remonte pourtant aux années 70 et 80, décennies durant lesquelles les gangs et la drogue envahissaient les rues. Les incendies criminels, la pauvreté et le chômage en avaient fait le symbole du déclin des villes américaines. « Cette image du “Bronx is burning” ne correspond plus à la réalité, et depuis longtemps, tient à préciser Ruben Diaz, le jeune président du borough (l’équivalent d’un maire d’arrondissement), un quadragénaire d’origine portoricaine élu en 2009 (lire interview). Et seule une petite partie du borough, South Bronx, était touchée. » Aujourd’hui, avec 1,4 million d’habitants, le Bronx présente un autre visage. La criminalité a été réduite de manière drastique, en chute de plus de 70 % depuis vingt ans, même si certains quartiers du sud et du sud-est enregistrent encore des taux largement au-dessus de la moyenne new-yorkaise. Le taux de chômage a été divisé par deux en six ans, passant de 14,1 %, en pleine crise économique, à 6,5 %, en octobre dernier, soit légèrement au-dessus de la moyenne nationale (5 %). Près d‘un emploi sur trois (32,3 %) concerne les secteurs de l’éducation, des services sociaux et de la santé, mais celui du privé redevient dynamique. Des quartiers plus sûrs, à une quinzaine de minutes seulement de Manhattan en transports en commun : voilà de quoi attirer les jeunes générations, artistes et millennials en quête d’espace à prix abordable. Et avec eux, les promoteurs immobiliers.
En chiffres
Superficie : 109 km2 (148,7 km2 avec les étendues d’eau).
Parcs : 2 830 ha (28 km2), soit un quart de la superficie émergée du Bronx.
Côtes : 120 km.
Population : 1,4 M.
Age moyen : 32,8 ans (le plus bas des 5 boroughs de New York).
Taux de chômage : 6,5 %, en octobre 2015 (moyenne nationale, 5 %).
Usines et entrepôts convertis en lofts
« Ça frémit dans South Bronx », reconnaît Martine Fougeron, photographe française qui a quitté Manhattan en 2009 pour venir vivre, avec ses deux fils, dans l’une des 25 petites maisons du quartier industriel de Port Morris, dans le sud-est du Bronx. « Depuis un an, on voit des pancartes “à vendre” dans les rues. Les propriétaires d’une entreprise que je photographie, un magnifique bâtiment ancien en brique, avouent avoir désormais des propositions d’achat de leur immeuble au moins une fois par mois. C’est nouveau. Et tentant pour eux. » D’anciennes usines et de vieux entrepôts sont achetés et convertis en lofts de luxe. La gentrification en marche est particulièrement visible à Mott Haven, une enclave mi-industrielle, mi-résidentielle, offrant des vues spectaculaires sur Manhattan. A l’angle de Bruckner Boulevard et de Lincoln Avenue, la Clock Tower, une ancienne fabrique de pianos, a été convertie en 95 appartements. Le ravalement des immeubles de brique rouge à corniches et la construction de tours modernes d’appartements le long de l’Harlem River, projets menés par les promoteurs Somerset et Chetrit, s’y accélèrent. Sur la 149e Rue, limite nord de Mott Haven, un théâtre de 1913 a été transformé en boutique-hôtel : l’Opera House Hotel. Un embourgeoisement qui inquiète les habitants de South Bronx, soucieux de maintenir un marché immobilier à la hauteur de leurs moyens, où 40 % des familles vivent encore sous le seuil de pauvreté, contre 28 % dans l’ensemble du Bronx. Le revenu annuel moyen y avoisine les 27 000 dollars contre 52 000 au niveau national. Les Bronxites craignent de voir leurs quartiers devenir les nouveaux Williamsburg ou Greenpoint, quartiers de Brooklyn devenus trop chers pour leurs habitants – South Bronx a déjà son surnom prometteur, SoBRO, en écho au SoHo (South Houston) de Manhattan, où les appartements et les lofts sont vendus à prix d’or. Ils veulent prendre part au débat sur l’évolution de leur quartier. Une conférence est organisée chaque année depuis décembre 2013 par le Bronx Documentary Center, un espace fondé par le photojournaliste Michael Kamber, afin de « planifier la résistance communautaire à la gentrification ».
Boire une bière à Port Morris
Port Morris Distillery : 780 E 133rd Street. www.portmorrisdistillery.com
The Bronx Brewery : 856 E 136th Street. Dégustation tous les après‑midis jusqu’à 21 h en semaine et jusqu’à 20 h le week‑end. www.thebronxbrewery.com
Ailleurs dans le Bronx (pubs américano‑irlandais) :
The Jolly Tinker Bar : 2875 Webster Ave. (angle de Bedford Park Blvd).
The Punch Bowl : 5820 Broadway (angle de W 238th Street). www.punchbowlnyc.com
Rambling House : 4292 Katonah Ave. (angle d’E 236th Street). www.ramblinghousenyc.com
Rebond économique dans South Bronx
Signe encore de la transformation de Mott Haven : l’ouverture de restaurants et de bars trendy, notamment sur Bruckner Boulevard. Dans le quartier voisin de Port Morris, la brasserie Bronx Brewery et la Port Morris Distillery, séparées l’une de l’autre de quelques centaines de mètres, redonnent naissance à une ancienne tradition du borough. « La fabrication de la bière y date d’avant la prohibition », rappelle Rafael Barbosa, copropriétaire de la Distillery, qui a dû agrandir son espace dégustation de style caribéen face à l’affluence grandissante. « Nos clients sont du quartier, mais certains viennent d’autres endroits du Bronx et de New York », précise encore ce Portoricain de 42 ans, constatant lui aussi l’arrivée de nouveaux résidents et de petites entreprises dans le quartier. A quelques pâtés de maisons plus au nord, en effet, sur la 138e Rue, Keith Klain vient d’installer, dans un immeuble entièrement rénové, l’entreprise de conseil qu’il a cofondée, Doran Jones. La start-up embauche des personnes sans qualification, en partenariat avec le centre social local Per Scholas. Ce dernier offre quinze semaines de formation aux candidats à l’embauche, avant que Keith Klain et son associé ne les forment durant huit semaines supplémentaires. « C’est un engagement total, aucun retard n’est toléré. Mais à la fin, des personnes qui vivotaient avec 7 000 dollars à l’année, principalement des aides et des indemnités, sont embauchées à 45 000 dollars », précise le dirigeant de Doran Jones, qui a longtemps travaillé dans de grands établissements bancaires avant de devenir entrepreneur. La création de ces emplois, autrefois « offshore », a un effet doublement positif : ces postes sont essentiellement occupés par des « locaux » (40 % des employés habitent le Bronx, 33 %, le Queens, et 26%, Brooklyn et Manhattan) et bénéficient largement aux minorités (34 % sont d’origine hispanique, 22 %, afro-américaine, et 28 %, asiatique). D’autres start-up commencent à s’implanter dans Port Morris. La future « Silicon Alley » du Bronx est encore loin de rivaliser avec celle de Manhattan, mais elle émerge. Reste une identité artistique forte du Bronx, héritée du hip-hop, des graffitis de rue et des influences ethniques, que ses habitants ne veulent pas voir s’estomper. « La culture du Bronx vient de l’immigration, et c’est une spécificité de notre borough », aime à rappeler Deirdre Scott, la directrice du Bronx Council on the Arts (BCA), une organisation à but non lucratif qui subventionne des programmes culturels dans le Bronx à hauteur de 1,3 million de dollars chaque année. Le peintre Daniel Hauben a rassemblé 80 artistes locaux sous l’objectif d’une trentaine de photographes pour un livre, The Bronx Artist Documentary Project. Une façon pour lui d’appeler à conserver l’esprit du Bronx : « J’ai toujours été inspiré par mon environnement. A l’école, j’étais entouré de camarades parlant diverses langues, avec des histoires et des cultures très différentes. » Pour ce Bronxite, il est important de ne pas se laisser tenter, à n’importe quel prix, par une mutation trop rapide. « Quand des décisions sont prises par des gens qui n’ont aucune connexion avec la communauté, il y a de quoi être inquiet. » La devise du Bronx résonne comme un avertissement : « Ne cede malis », ne cédez pas au mal.
3 questions à Ruben Diaz, président du Bronx
The Good Life : Quels changements avez‑vous apportés dans le Bronx depuis votre élection en 2009 ?
Ruben Diaz : C’est un borough plein de défis et nous revenons de loin. Nous avons investi 350 M $ dans la restauration des jardins publics, construit 1 700 logements sociaux et réduit la criminalité au point que le Bronx n’a jamais été aussi sûr depuis quinze ans. Et surtout, nous avons relancé l’emploi.
TGL : Est‑ce que le Bronx embauche ?
R. D. : En six ans, le taux de chômage a été divisé par deux. Il est passé de 14,1 % à 6,5 %, et 100 000 emplois ont été créés. Tous les matins, à mon réveil, ma première pensée est pour l’emploi.
TGL : Que souhaiteriez‑vous encore changer dans le Bronx ?
R. D. : Sa réputation. Je sais qu’en France, lorsqu’une situation est chaotique, vous dites « c’est le Bronx ». J’aimerais changer cela, montrer le nouveau visage de notre borough, montrer qu’il y a davantage à voir que le Yankee Stadium, le zoo et le jardin botanique. Ce sont de très beaux lieux, mais ils ne définissent pas le Bronx à eux seuls.