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On l'aurait pris pour une robe folklorique désormais pendue aux cimaises des musées (et à la taille du Prince Charles). C'était sans parier sur le retour fracassant du kilt dans les vestiaires des fashion addicts, Brad Pitt compris, et sur les podiums de la Fashion Week.
Le plus célèbre, c’est celui en tartan, ce motif écossais à carreaux dont il existe plus de 10 000 combinaisons dans différentes couleurs. Dans l’imaginaire pop, il évoque vallées vertes, cornemuses et bandes d’hommes jambes nues déhambulant dans les rue d’Édimbourg. Il évoque aussi les clichés pris des escapades de la famille royale d’Angleterre au Château de Balmoral, du Duc d’Édimbourg, des jeunes Harry et William et de leur père, le roi Charles III. Si le kilt est synonyme de tradition au Royaume-Uni, il traversera cet hiver la Manche pour s’inviter dans votre armoire.
Le kilt a toujours suscité des réactions vives aux yeux d’un public non britannique, partagé entre scepticisme et moquerie. Après une première vague de popularité dans la sphère mode de la fin du XXe siècle, poussé par l’atténuation relative des stéréotypes de genre, le kilt fait aujourd’hui son grand retour dans les défilés des marques les plus courues et est de plus en plus apprécié auprès d’un public large masculin.
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Aux origines du kilt
Inventé par l’Anglais Thomas Rawlinson en 1725, utilisé à l’origine par les membres des clans écossais pour marquer leur appartenance et se distinguer des clans rivaux, il fut interdit en Écosse dès 1746 par acte du parlement anglais, en réponse aux rébellions jacobites bien qu’autorisé dans l’armée à titre exceptionnel. La loi fut abrogée en 1782.
Le kilt fut alors détaché de son rôle d’habit ordinaire pour être adopté en tant qu’apparat formel, un symbole national de l’Écosse. Les soldats écossais, membres de l’armée britannique, continuèrent de le porter pendant une grande partie du XIXe siècle jusque dans les années 80.
Ses débuts dans la mode
Comme souvent dans l’histoire de la mode, un simple défilé suffit à propulser un accoutrement folklorique au rang de nouvel accessoire indispensable. Dans le cas du kilt, il fut plébiscité entre 1990 et les années 2000 par des designers parmi les plus influents, Vivienne Westwood et Alexander McQueen en tête. L’habit écossais, revu et corrigé, s’introduit alors dans la garde-robe des modeuses de l’époque, jusqu’à faire un raz-de-marée dans les cours de récréation des lycées et des collèges.
Un peu plus tard, dans les années 2010, plusieurs maisons de luxe ont ramené le kilt sur leurs cintres, lui conférant une connotation plus chic : de Chanel à Miuccia Prada, de Moschino à Burberry, en passant par Marc Jacobs qui ne perdait pas une occasion de s’afficher avec une jupe en tartan lors ses balades dans les rues de New York.
Côté star system, Vin Diesel et Lenny Kravitz suivirent la mouvance de Marc Jacobs. Kanye West choisit un kilt en cuir plissé signé Givenchy comme habit de scène d’une performance en 2012. Plus récemment, d’autres célébrités masculines se sont essayées au kilt.
i will be on the tonight show with jimmy fallon to talk about stuff and things. watch it or don’t idc it’s your choice. u should watch it tho lol… or don’t. but yeah pic.twitter.com/IdmuEerMYF
— ✟ (@LilNasX) May 25, 2021
On a ainsi vu le chanteur Lil Nas X occuper le siège de “The Tonight Show” de Jimmy Fallon en jupe à motif tartan, tout comme Harry Styles sur la couverture de Vogue US en novembre 2020. Le rappeur Asap Rocky s’est quant à lui présenté au Met Gala avec un kilt en tartan Gucci porté sur jean, rendant hommage à un look emblématique du couturier Karl Lagerfeld.
Côté défilés, Molly Goddard et Louis Vuitton ont dévoilé leur propre version du kilt en 2021, alors que plusieurs jeunes designers, à l’image de Charles Jeffrey avec Loverboy, Samantha McCoach avec Le Kilt et le duo Chopeva Lowena, travaillent de plus en plus cette pièce de manière plus moderne.
Rihanna and A$AP Rocky ascend the steps at the #MetGala. https://t.co/m94XaFLf1c pic.twitter.com/W8e1N7780j
— Variety (@Variety) May 2, 2023
Le saviez-vous ?
La production artisanale du kilt se compose de plusieurs étapes. Tout d’abord, après avoir sélectionné le tissu, il faut marquer les plis. Le tartan, avec son motif géométrique, aide les artisans dans ce processus qui demande une bonne capacité de calcul. À suivre, le coudrage des plis et le badigeon des bords. Une fois terminés ces passages, il faut couper le dos du kilt et le démarcher, puis ajouter les boucles et les sangles. À ce stade, le kilt est prêt pour la doublure et le pressage final. Une équipe plus ou moins nombreuse s’occupe des différentes étapes. À Inverness, chez Highland House of Frasers, ils sont entre trois et cinq. Les temps de fabrication peuvent varier ; pour avoir un kilt sur mesure chez Mac Gregor & Mac Duff, il faut 10 semaines environ. La fabrication artisanale du kilt a été ajoutée à la liste des métiers menacés du Royaume-Uni rédigée par l’Heritage Crafts Association. Cependant, il faut noter qu’aucun nouveau métier n’a disparu depuis la dernière mise à jour de la liste en 2019.
L’économie du kilt en hausse
En Écosse, cette dynamique de notoriété a logiquement eu un impact positif sur les comptes des nombreuses marques spécialisées dans la production des Highlands. MacGregor & MacDuff, désormais installé à Glasgow, Edinburgh, Prestwick, New York, Toronto, London et Manchester, a enregistré une augmentation significative de ses ventes mais aussi de ses demandes de location de kilt depuis début 2000. Un kilt signé MacGregor & MacDuff marque étant vendu entre 1 000 et 2 000 euros pour une utilisation qui reste événementielle, la seconde option est en effet répandue.
Gilt Edged, une marque fondée à Glasgow il y a 30 ans, remarque aussi un momentum autour du kilt. En rentrant dans la boutique, on se rend vite compte que les clients ne manquent pas : une dizaine d’hommes se présentent en une demi-heure. « Depuis 2021, on a enregistré un vrai boom de la demande. Aujourd’hui, notamment pendant l’été, nous assurons entre 80 à 150 locations par semaine, un très bon résultat pour nous », explique Polly Klimoveca, assistante de ventes de la marque.
Chez Gilt Edged, on trouve aussi des kilts de seconde-main, un concept très apprécié par sa clientèle puisqu’il lui permet de faire l’acquisition d’une pièce dont le prix est bien en deçà du neuf. Alors qu’un kilt sur-mesure coûte dans cette boutique entre 600 et 900 euros, celui d’un vintage avoisine les 170 euros.
La révolution commence par les jeunes
Mais au-delà des chiffres, les marques font remarquer une augmentation soudaine de la popularité de cette pièce et un changement notable du profil de leur clientèle. “Il y a dix ans, nos clients majoritairement des écossais à la recherche d’un kilt pour eux-même ou pour leur fils, à l’occasion des événements exceptionnels comme des mariages. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Les gens veulent de plus en plus porter un kilt pour des événements moins exceptionnels, comme des soirées habillées, ou aiment le porter de manière plus décontractée”, raconte Debbie Surtees, assistant manager chez MacGregor & MacDuff. L’épreuve par deux : la marque a récemment lancé un pop-up store à Toronto et New York devant un regain d’intérêt sur ces deux marchés.
Et ce n’est pas tout. « Les photographes et les magazines nous approchent beaucoup plus souvent pour demander des tenues et des accessoires pour leurs tournages. On a récemment habillé plusieurs influenceurs et personnes connues au Royaume-Uni”, confie la direction marketing de la marque.
Polly Klimoveca de Gilt Edged souligne en parallèle qu’elle remarque un rajeunissement des hommes qui fréquentent sa boutique et un changement de leurs intérêts. “Nos nouveaux clients veulent porter un kilt pour aller au boulot, parader à une fête ou assister à un match de football au stade, en signe de patriotisme. Beaucoup d’entre eux s’inspirent des nombreuses publications des magazines et désirent créer des tenues plus sportives incluant le kilt. Ils ne l’assortissent pas à veste traditionnelle mais la porte plutôt avec une chemise ou un t-shirt. Les plus âgés d’entre eux osent aussi des looks punk façon années 90, avec kilt et veste biker en cuir”.
Que pensent les Ecossais du phénomène ? « L’intérêt des étrangers pour un des symboles d’Écosse nous rend fiers et nous fait forcément plaisir », admet Debbie Surtees. Et Polly Klimoveca de renchérir : « les Écossais sont très attachés à leur propre tradition et heureux de pouvoir la partager avec d’autres univers ».
L.P.
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