Non classé
Le groupe de « K-Pop » BTS est le phénomène musical mondial de ces dernières années : leurs ventes d’albums se comptent en millions et leurs clips sont visionnés des milliards de fois. Son succès, le septuor le doit à son talent, à un marketing savamment travaillé mais aussi et surtout à son « Army », sa communauté mondiale de fans. Loin de l’image éculée des groupies hystériques, la « BTS Army » offre une image progressiste et engagée, mais pas que... Décryptage.
Les nouveaux Beatles viennent de Corée du Sud
Les nouveaux Beatles viennent de Corée du Sud et ils répondent au nom de BTS, soit l’acronyme de « Bangtan Sonyeondan », comprendre « Boy-scouts pare-balles » (si, si). Née en 2013, la formation compte sept Idols, un terme propre à la K-Pop qui englobe des compétences de chanteur, danseur, et rappeur : Jin, J-Hope, Suga, RM, Jimin, V et Jungkook qui sont les véritables figures de proue de « l’hallyu », « la vague coréenne » de pop culture qui fait des émules au niveau planétaire depuis quelques années.
Le palmarès a de quoi faire pâlir d’envie n’importe quel wannabe du moment : en 2018, ils sont devenus le premier groupe coréen à se hisser en tête du Billboard, le prestigieux classement des 200 meilleures ventes d’album aux Etats-Unis. Quatre ans plus tard, en 2022, ils sont le groupe le plus streamé au monde sur Spotify, le plus suivi sur Instagram (71,8 M), TikTok (57,5M) et Twitter (48M).
Et si le septuor a pu atteindre ces sommets, c’est notamment grâce à son « Army », le nom que se donnent les fans de BTS. Army, pour l’acronyme de « Adorable Representative MC of Youth », comprendre les « Adorables représentants de la jeunesse ».
Lire aussi
K-Pop, ce « sound » sud‑coréen qui conquiert le monde
Être Army, c’est quoi ?
Être Army, c’est quoi ? S’activer pour la promotion et l’élévation de son groupe vénéré. Et ça se passe surtout en ligne. Il faut streamer au maximum les chansons et les albums de BTS, retweeter, partager et poster des contenus en rapport avec le groupe afin de faire grimper sa notoriété. Sans oublier d’acheter leur musique et tout ce qu’ils proposent !
A ses débuts, le groupe a bénéficié d’une image d’outsiders, car il a été lancé par une agence indépendante, Big Hit Entertainement, depuis renommée Hybe Corporation. Bénéficié, parce que cela a très vite plu aux fans. Le bouche à oreille a ensuite fait son œuvre sur les réseaux sociaux, comme nous l’explique Céline, 27 ans et « officiellement Army depuis 2 ans » : « Ils ont un parcours atypique au sein de la K-Pop, ils se sont impliqués très rapidement dans le processus créatif, ce qui n’est pas le cas des autres groupes. Et il y a surtout le côté humain qui est prévalent chez eux, ils n’hésitent pas à raconter leurs doutes et leurs peurs. On peut s’identifier à eux et donc on est prêts à beaucoup pour eux. »
L’identification forte des fans à leurs Idols est également un facteur clé dans l’explication du succès de BTS. Certaines de leurs chansons telles que Tomorrow, Sea ou encore Whalien 52, mettent en lumière les problèmes de dépression et de harcèlement. Elles ont apporté une bouffée d’air frais à une jeunesse coréenne qui vit dans une société corsetée par le poids de la réussite et de la compétitivité. Puis leurs messages ont trouvé un écho auprès de la jeunesse mondiale, de plus en plus confrontée aux problèmes de santé mentale, notamment pendant la pandémie.
Pas de pause dans le biz
BTS continue de soigneusement nourrir cette relation « privilégiée » avec son public en faisant preuve de gratitude et de reconnaissance à chaque post, concert ou apparition. Mais à la fin de l’année 2022, le groupe a annoncé faire une pause dans sa carrière.
La raison ? Le service militaire obligatoire en Corée du Sud pour tout homme valide entre 18 et 28 ans, pour une durée de 18 mois minimum. Le premier à devoir ouvrir le bal des obligations nationales est l’aîné du groupe, Jin.
Les mauvaises langues pourraient dire qu’être à l’armée lui permettrait de souffler un peu tant l’emploi du temps des popstars est surchargé depuis dix ans mais il n’en n’est rien, comme nous l’explique Céline, très touchée par ce « dévouement » : « Jin est à l’armée actuellement et il continue de communiquer quand il a le temps avec les Army. Il a prévu pendant tout son service militaire d’envoyer chaque mois une vidéo pour encourager les Army. Il n’y a que ce groupe qui est capable de faire ça. » Dont acte.
D’ailleurs, il est hors de question pour Hybe Corporation d’enterrer cette poule aux œufs d’or. En attendant que chaque membre ait effectué son service militaire, chacun va sortir son album solo. Pour le plus grand bonheur de leurs fans, leur présence sur les réseaux sociaux est toujours assurée, et même décuplée sur sept comptes Instagram (en plus de celui du groupe), sans compter que leur retour est attendu pour 2025.
Des valeurs nouvelles et des actions en force
Le groupe se distingue également de ses concurrents de la K-pop par ses prises de positions politiques. L’année dernière, il a ainsi été reçu en grande pompe par Joe Biden à la Maison Blanche et s’est exprimé contre le racisme anti-asiatique.
Deux ans plus tôt, il avait fait don d’un million de dollars à l’organisation antiraciste Black Lives Matter alors au premier plan dans les médias, suite aux différentes bavures policières aux Etats-Unis. L’annonce du don par le groupe avait instantanément provoqué l’apparition d’une collecte en lignée lancée par l’Army. Moins de 24 heures plus tard, les fans avaient égalisé le don de BTS en récoltant un million de dollars pour l’organisation.
Quelques jours plus tard, l’Army réitérait en s’invitant dans la campagne présidentielle américaine. Objectif : saboter le meeting politique censé le relancer dans la course à la présidentielle de Donald Trump à Tulsa, dans l’Oklahoma. Que nenni ! L’Army avait acquis en masse des tickets, pour mieux laisser Trump face à un stade quasiment vide. Une humiliation en bonne et due forme. « Ces actions me rendent fière d’être Army, je me retrouve dans ces valeurs, c’est le genre de communauté dans laquelle je suis heureuse d’être, ça m’a conforté dans mon choix », nous confie Pauline, une Army française de 35 ans installée à Montréal.
Pour Sylvie Octobre et Vincenzo Cicchelli, auteurs du livre K-pop. Soft power et culture globale, le fait que les fans de BTS suivent et s’approprient leurs combats s’explique par une envie de changement de la part de la jeunesse, peu importe où elle se trouve : « BTS est arrivé au moment où le public est en quête d’un monde plus inclusif, d’un monde polyphonique Ces actions sont politique en termes de valeurs. Ce sont des fans qui se lient sur les réseaux sociaux sur des valeurs d’inclusivité, de tolérance, de décentrement par rapport aux hégémonies habituelles. L’Army s’est alliée contre Trump car il incarne le masculinisme et la suprématie du mâle blanc américain et c’est quelque chose qu’elle rejette.»
Lire aussi
The Good Escape : La Corée du Sud, destination en approche
Corée du Sud : Oceanix, une ville flottante et écolo au large de Busan
La dévotion, oui : économique
Ces sept garçons dans le vent ne se contentent pas de rallier leur Army à leurs nobles causes, ni de les faire pleurer de joie ou hurler de désir. Ils les font aussi raquer. C’est que de nos jours, l’équivalent du lancer de culotte serait plutôt le « dégainage » de carte bleue, pudeur oblige. Quand on aime on ne compte pas, c’est bien connu, et les Army du monde entier en ont fait une philosophie de vie.
Quoi de mieux que de s’acheter un sweatshirt à l’effigie de BTS à défaut de pouvoir prendre les membres du groupe dans ses bras ? La bande l’a bien compris et propose une multitude d’objets dérivés pour combler le désir des jeunes femmes, des jeunes hommes et des autres qui les idolâtrent.
Le succès économique sans précédent de BTS impacte directement la Corée du Sud. Le Hyundai Research Institute a estimé qu’en 2021, le groupe a rapporté au pays près de 3,5 milliards d’euros. Le succès international des sept Idols a fait augmenter de manière significative le tourisme dans le pays et l’apprentissage de la langue coréenne à travers le monde. En 2021, le groupe a enregistré un chiffre d’affaires annuel de plus d’un milliard de dollars, grâce aux ventes d’albums et de produits en ligne.
Il est donc possible d’acheter toutes sortes de Merchandising estampillé BTS : t-shirts, sweatshirts, pyjamas, planches à découper (!), sucettes, lampes, vases, claquettes, vaisselle, bijoux, carnets de note et autres petites figurines, sur l’application coréenne weverse destinée aux fans de K-Pop.
Pour avoir le privilège d’être officiellement Army, il faut donner de sa personne, comprendre se délester d’un modeste versement aux idoles via l’application coréenne Weverse.
Pour avoir le privilège d’être officiellement Army, il faut donner de sa personne, comprendre se délester d’un modeste versement aux idoles via l’application coréenne Weverse. Le premier palier est fixé à 20 euros par an, vous avez alors droit à l’abonnement « Army Membership », le second palier coûte quant à lui 141 euros par an et vous donne accès à l’abonnement « Army Membership Merch Pack ». On ne peut s’empêcher de réfléchir. Comment reproduire un système de classes et de privilèges au sein d’un mouvement dit inclusif ?
Les fans ne sont néanmoins pas obligés de passer par l’application et peuvent se fournir directement sur le site officiel de BTS, ou bien même acheter du Merch non officiel, comme Pauline : « J’ai pas mal de merch chez moi : des tasses, des figurines, des sweatshirts, des coussins, un porte-clés, des magnets, un appareil photo polaroid BTS, des cartes postales et ma seule limite c’est mon compte en banque », nous raconte Pauline sans ambages.
Et quand la jeune femme a appris en 2021 que le groupe allait passer en concert aux Etats-Unis, elle n’a pas regardé à la dépense : « Je suis allée les voir avec une copine à Los Angeles, entre l’avion, l’hôtel, le prix du billet de concert, les restos et le merch, j’ai dépensé près de 2000 euros pour quatre jours. J’ai conscience que c’est beaucoup mais c’est un truc à faire au moins une fois dans sa vie. »
L’adoration sans limite de l’Army pour leurs idoles aura aussi permis au groupe de pouvoir nouer des collaborations avec plusieurs dizaines d’enseignes, tous genres confondus. En 2020, l’édition spéciale BTS du Samsung Galaxy S20+ BTS a ainsi été épuisée en une heure ! Le « BTS Meal » lancé chez McDonald’s en 2021 a quant à lui permis à la marque de voir ses ventes augmenter de 40%. Du côté de l’Indonésie, les enseignes de la marque de fast food ont été contraints de fermer en raison de l’afflux de clients. De même, il n’a fallu que 24 heures pour que la collection Fila x BTS vendue exclusivement chez Urban Outfitters ne s’écoule totalement… Sans oublier les associations avec Hyundai, Puma, mais aussi les maisons de luxe Louis Vuitton et Dior. Un véritable effet Midas, version coréenne.
Tableau de la Gen Z
En prenant les atours d’une communauté inclusive et progressiste, férue de justice sociale, la BTS Army donnait à voir l’émergence d’une jeunesse avide de nouveaux idéaux. Elle donnait l’envie de croire en une nouvelle génération prête à faire tabula rasa et tout changer. Il n’en n’est rien, au contraire ! Le téléphone portable et la carte bleue sont devenus la faucille et le marteau version 3.0.
La (sur)consommation et les dégâts écologiques qui lui sont liés ne semblent pas être un frein à l’engouement des fans. Peu importe que le monde brûle si cela se fait sur un son entraînant de K-Pop !
Pour Sylvie Octobre et Vincenzo Cicchelli, la consommation des fans liée à BTS est tout simplement inéluctable : « le capitalisme de BTS est un capitalisme des plus horribles mais c’est la continuité d’un capitalisme qui est déjà présent, il n’y a pas d’alternative. Aujourd’hui il y a une marchandisation de tout. Peut-être qu’une population qui dit ne plus vouloir consommer est celle qu’on attend pour pouvoir sauver la planète mais on ne l’a pas encore trouvée. » La BTS Army n’est peut-être pas l’incarnation d’une jeunesse en quête de révolution radicale, mais entre sa passion pour le consumérisme et sa conscience politique, elle est sans doute le meilleur reflet de la « Gen Z ».
S.D
Lire aussi
Cracker Island, le retour triomphal de Gorillaz
Desire, I want to turn into you, dernier album hyperpop de Caroline Polachek