Voyage
The Good Life a rencontré quatre personnalités du monde des affaires torontoises : Piers Handling, Galen Weston Jr., Andrea DelZotto et Charles Khabouth. Ils nous dévoilent leurs parcours et les clefs de leur réussite pour faire bouger l'économie canadienne.
- Piers Handling, directeur du Toronto International Film Festival (@TIFF_NET)
« Le TIFF ne dure que dix jours, mais, dans les médias internationaux, il représente, 25 % des articles de l’année sur Toronto. » Voilà qui résume l’impact que ce festival, créé en 1976, a sur la ville. Piers Handling n’en est pas le fondateur, mais il l’a rejoint en 1982 – avant d’en devenir le directeur en 1994 –, alors que le festival n’était encore qu’un événement secondaire, principalement destiné à un public local. « Ce qui m’intéresse, c’est le mandat culturel de l’événement, choisir des films qui n’ont encore jamais été montrés et les proposer au public. »
Piers Handling est né à Calgary, a étudié en Europe, où il a développé son amour du cinéma, avant de revenir au Canada, où il fut critique, auteur et professeur de cinéma. « La programmation du festival a toujours été tournée vers l’international. Mais ce qui a déclenché son succès autour de 2000, c’est la conjugaison de plusieurs facteurs. D’abord, il y avait une place à prendre en Amérique du Nord pour un tel événement. Une place que ne voulaient prendre ni New York, ni Los Angeles, ni San Francisco ou Chicago, où se tenaient déjà des festivals. Au Canada, la compétition se jouait entre Montréal et Toronto. Toronto s’est démarquée, car tout en étant anglophone, elle constitue un terrain neutre, idéalement situé, qui convient autant aux Américains qu’aux Européens. Autre fait important : il ne met pas les films en compétition. Il est pensé pour le public, et pas pour un jury ni pour les critiques comme peuvent l’être Cannes et Berlin. Certains grands studios ne veulent pas du label “film de festival” et se servent de Toronto comme d’un screening test. Aujourd’hui, le TIFF est devenu la rampe de lancement des Golden Globes et des Oscar. »
Le TIFF, c’est aussi un grand marché où se rencontrent producteurs, acheteurs et distributeurs, et difficile à chiffrer. « Il tourne autour de 30 ou 60 millions de dollars par an [21,5 ou 43 millions d’euros, NDLR], mais comment savoir ce qui est attribuable au festival ? Certaines rencontres se font ici, mais les deals peuvent se conclure des semaines ou des mois plus tard. » En revanche, son impact économique sur la ville est estimé à 200 millions de dollars (143,4 millions d’euros), alors que son budget de fonctionnement est de 50 millions (35,85 millions d’euros).
Le financement du festival se fait principalement par la vente des tickets, par le sponsoring – Bell, Royal Bank of Canada (RBC), Visa et L’Oréal étant les plus gros sponsors –, par l’aide des gouvernements et par une longue liste de généreux donateurs. Le festival emploie 200 personnes à l’année, 800 pendant son déroulé, et compte sur la présence de 3 000 bénévoles. Depuis 2010, au-delà des dix jours du festival, le TIFF a son lieu, le Lightbox, qui organise des projections de films, des expositions, des conférences et des programmes hors les murs pour les professionnels, les jeunes, les étudiants et les musées. Une plate-forme solide qui assure sa pérennité. « Il est vrai qu’aujourd’hui les gens s’éparpillent, et d’autres festivals grossissent : la saison d’automne devient chargée. Mais nous ne perdrons pas notre position. Elle est solide et la ville entière y est très engagée. »
- Galen Weston Jr., président du conseil de George Weston Ltd.
Ce quadragénaire aux allures de gendre idéal représente la quatrième génération du clan Weston à diriger le groupe familial George Weston Ltd. Un exploit dans l’univers du family business, dans lequel à peine 3 % des entreprises peuvent se prévaloir d’une telle longévité. En 134 ans, les Weston, d’origine irlandaise, sont partis d’une petite boulangerie de quartier pour bâtir un véritable empire de près de 50 milliards de dollars (35,83 milliards d’euros). La stratégie menée par Garfield Weston – deuxième génération – a fait naître un conglomérat autour de Loblaw, sa principale filiale de distribution alimentaire (45 milliards de dollars), de son réseau de boulangeries Weston Foods (2 milliards de dollars) et d’une fiducie de placements immobiliers (plus de 500 propriétés locatives).
Aujourd’hui à la tête d’une fortune estimée à plus de 8 milliards de dollars (5,73 milliards d’euros) par Forbes, les Weston côtoient les élites d’Amérique du Nord et de Grande-Bretagne, jouent au polo avec le prince de Galles, s’engagent dans des actions philanthropiques et de mécénat dans les arts et la culture. Très « old money », ils cultivent la discrétion et fuient l’exposition médiatique. Pragmatiques, ils ont su, à plusieurs reprises, sauver leur entreprise de la faillite en mettant en œuvre des réorganisations d’envergure.
Galen Weston Jr., surnommé « G2 » pour le distinguer de son père, a dû faire ses preuves pour prétendre à l’héritage familial. Après un cursus universitaire prestigieux à Harvard et à Columbia, aux États-Unis, il gravit petit à petit les échelons du groupe familial. A Toronto, les observateurs et les analystes ne sont pas très impressionnés par le début de carrière de ce jeune homme de bonne famille au destin tout tracé. Pourtant, son tempérament Weston va vite se révéler. En 2006, Loblaw doit faire face à l’offensive de l’américain Walmart, au Canada. Pour la première fois depuis vingt ans, la filiale stratégique de George Weston Ltd. affiche des pertes. C’est à ce moment critique que le jeune Galen en prend la direction. Son équipe réagit très vite, ferme 19 points de vente et 24 grossistes, et liquide les stocks en se donnant trois ans pour les reconstituer. Parallèlement, ce nouveau leadership investit pour moderniser sa gestion, sa chaîne d’approvisionnement et son système informatique. Les magasins entrent dans une nouvelle ère. En sept ans, Loblaw a fait peau neuve.
G2 s’affiche dans des spots publicitaires, cultivant ainsi une image à la fois moderne et traditionnelle, pétrie d’éthique et de culture familiale. Mais son plus haut fait d’armes sera l’acquisition, en 2013, de Shoppers Drug Mart pour 12,4 milliards de dollars. « Galen Jr. a fait entrer le groupe familial dans une autre dimension. Sa stratégie digitale de la relation client est très sophistiquée », affirme un analyste. En dix ans, le jeune héritier a gagné l’estime du monde des affaires torontois.