Voyage
Inauguré en 1899, cet hôtel du groupe Belmond (ex‑Orient‑Express) est une véritable institution dans sa ville du Cap. Si le lieu s’est beaucoup étendu depuis son ouverture, les soubresauts de l’histoire n’ont pas eu de prise sur lui.
Sa fierté est palpable. Sans doute parce qu’il sait, et nous aussi, que son père n’aurait jamais pu être, comme lui, maître d’hôtel ici. A l’époque, les Noirs n’y avaient pas plus leur place au service que comme client. Sans doute aussi parce qu’il sait qu’il a la chance de travailler dans ce que beaucoup considèrent comme faisant partie du patrimoine national ; au même titre que le siège du gouvernement situé à quelques mètres, ou de Table Mountain qui le surplombe…
Quand il ouvre ses portes, en 1899, il affirme, non sans une certaine morgue, pouvoir rivaliser avec ses congénères londoniens. Il est alors le premier établissement du pays à offrir l’eau chaude et l’eau froide. Ce grand bâtiment au rose improbable incarne la modernité, le champ de tous les possibles qui s’offre à ceux qui viennent jusqu’à ce bout du monde : aristocrates en mal d’aventures, militaires en guerre (il accueille l’armée britannique lors de la seconde guerre des Boers), famille royale en visite officielle, romanciers en quête d’exotisme, intellectuels en lutte, chanteurs en tournée…
La véranda du Mount Nelson voit défiler à l’heure du thé ou du gin tonic ceux qui vont entretenir sa légende. Incarnant à la fois l’excellence et la continuité, l’hôtel entre dans la collection Orient-Express douze ans après sa création par James B. Sherwood, en 1976, rebaptisée, depuis, Belmond. Le Mount Nelson n’aura alors de cesse de se réinventer et, surtout, de s’agrandir. Il restaure des petites maisons typiques du Cap et les transforme en élégantes Garden Cottage Suites (1990), il rachète les immeubles voisins et annexe les Taunton House Cottages et Green Park (1996)… Et reste ainsi, malgré les soubresauts de l’histoire, l’escale incontournable pour qui veut tenter de comprendre Le Cap, cette drôle de ville.
Sud-africaine, sans conteste, et pourtant tellement nord-américaine dans son fonctionnement, son urbanisme, son développement. Une ville qui s’ébroue, qui secoue les certitudes et qui remue les convictions. Une ville qui, par le biais de l’art, notamment, s’offre un nouveau visage, avec des galeries pointues installées autour d’une ancienne biscuiterie, rebaptisée The Old Biscuit Mill, dans le bien nommé quartier de Woodstock et, surtout, l’ouverture l’année dernière d’un étonnant musée exclusivement dédié à l’art contemporain africain, le Zeitz MOCAA. Cela contribue à donner au Cap des airs de capitale gentrifiée – capitale législative, la ville partage son statut avec Pretoria (capitale administrative), Bloemfontein (capitale judiciaire) et Johannesburg (capitale économique).
Une ville curieuse, qui reste schizophrène – au mieux – ou le dernier bastion de l’apartheid du XXIe siècle – pour d’autres. Dans un décor naturel mélodramatique, elle offre une qualité de vie presque californienne à ceux qui en ont les moyens : plages de rêve (Clifton), maisons d’architecte hallucinantes, boutiques de jeunes designers, bars bondés le long de Long Street… où l’on ne verra quasiment aucun Noir. Paradoxalement, le Mount Nelson semble se tenir à distance de ces clivages. Cette institution – que certains s’amusent encore à appeler « la grande dame » du Cap – est un peu comme la reine d’Angleterre.
Elle ne se prononce jamais et semble n’avoir aucun avis, mais parvient à fédérer tous les contraires. C’est certainement ce qui lui donne à la fois son charme et son chic, ce qui contribue à en faire une destination en tant que telle. Dans les chambres, presque toutes au format XXL, les meubles d’acajou sont parfaitement encaustiqués, les damas, justement drapés, et les tables, encore juponnées. Dans les salons, les lumières sont tamisées à point, les canapés, moelleux, et les causeuses, propices aux chuchotements. Ici, on reste fidèle aux traditions, on ne bouscule pas le notable qui ne manque pas de fréquenter, entre autres, la table du Rudi, où officie le talentueux Rudi Liebenberg.
Si le directeur, un Français, se réjouit du tournant hype que prend Le Cap, du bouillonnement de Downtown ou des nouvelles adresses qui éclosent dans le quartier malais, il souhaite que le Mount Nelson incarne une forme de continuité. Si ce type d’établissement doit se méfier d’une tendance à la nostalgie passéiste, il doit tout autant se méfier des effets de mode, par définition fugaces. Un exercice d’équilibriste que réussit parfaitement ce palace. Avec brio et avec classe !
Lire aussi
Paris : New Hotel Le Voltaire, l’esprit de famille
Hôtellerie : Palisociety, un esprit californien et old-fashioned
Good spots : nos plus belles adresses du moment, de Barcelone à Taipei