Voyage
Les paysages de la Nouvelle-Écosse n’ont pas changé depuis la conquête de ce Canada septentrional par les Français. Valeureux défricheurs d’une terre ingrate et battue par les vagues, ils lui ont trouvé des airs de paradis et ont surnommé Acadie ce monde liquide autant que sylvestre.
La route longe des bras de mer, croise des lacs, enjambe des rivières. La voiture se laisse dériver sur des bacs, des ferrys. Un monde de roseaux, de sapins et d’érables, de marées dantesques et de renards furtifs, d’odeurs iodées et fumées. Deuxième plus petite province du Canada, la Nouvelle-Écosse est une péninsule qui se cramponne à la côte sud-est du pays.
Elle a le goût du lointain, des parfums terre-mer, des habitants qui parlent français avec un drôle d’accent. C’est le pays des phares, des bed & breakfasts de charme et du homard… Mais d’abord un petit flash-back. Il y a 400 et quelques années, le roi de France Henri IV louche vers le nord du continent américain.
Il donne l’exclusivité de la colonisation à un certain Pierre de Mons, qui y plante l’une des premières colonies françaises de l’Amérique du Nord, bientôt suivi par Champlain. Peu à peu, dans un flux lent et régulier, les téméraires Français en quête d’une vie nouvelle débarquent.
Il faut avoir le cœur bien accroché pour s’embarquer sur ces navires peu fiables et affronter un climat frisquet. À cette latitude, la côte atlantique est très accidentée, découpée de bras de mer, d’îles, d’anses et de baies. Les premières communautés agricoles s’installent au creux de ces encoches, dans une totale solitude. Ce sont les Micmacs, chasseurs et pêcheurs ancrés dans ces terres depuis dix mille ans, qui vont les aider à s’adapter et à lancer le commerce de la fourrure.
Portés par une farouche volonté de trouver le bonheur sur cette terre promise, les Français appelèrent cette terre Acadie, en référence à l’Arcadie, qui incarnait le paradis terrestre chez les Grecs. Leur habileté à tirer parti de ces terres ingrates fait loucher les Anglais vers un éden agricole.
Ils profitent de la guerre de Sept Ans pour mettre la main sur cette colonie, mais les Britanniques, plus attirés par la tiédeur des comptoirs indiens et peu courageux à affronter les vents du noroît, finiront par supplier les Acadiens de revenir.
Voilà pourquoi, lorsqu’on déplie la carte de Nouvelle‑Écosse, les villes ont pour moitié des noms français – Grand Pré, Noël, Isle Madame, Saulnierville, Grand Étang… Des petits drapeaux bleu blanc rouge flottent devant des boulangeries françaises, des bars « Au bon coin », et indiquent les lieux où les descendants des pionniers vivent, défendant pied à pied, avec leur accent rocailleux, la langue française face à la pression anglo-saxonne. Maudits Anglais…
On accède à ces lieux exotiques par l’aéroport d’Halifax, capitale de la province, plaque tournante du commerce, grand port de guerre et de construction navale, base pour les capitaines de bateaux corsaires…
Halifax est resté planté dans nos mémoires pour avoir été chargé de recueillir les corps des passagers du Titanic, qui a coulé juste en face. Amateurs de plongée, l’expérience en submersible est offerte pour… 150 000 dollars.
La ville fut aussi rasée par la monumentale explosion d’un stock de munitions en 1917. Des souvenirs qui n’empêchent pas cette aimable bourgade aux constructions basses d’être émaillée de clubs de jazz et de restaurants de fruits de mer…
Les nombreux sites classés à l’Unesco de Nouvelle-Écosse
Que l’on prenne la route par le Sud ou par le Nord, les paysages fourmillent de petits phares rouge et blanc, de villages aux maisons en bois cernées de varangues et barbouillées de couleurs sucrées, de délicates églises en bardeaux blancs festonnés de noir, de food-trucks délivrant du fish & chips à la tonne et de vieux shipchandlers éclairés à la lampe à pétrole.
À Lunenbourg, au bout de la rue Montague, le vieux Jake étale jusque sur le quai un trésor de vieux objets de marine et de pêche. La plupart des maisons de la ville sont classées au patrimoine de l’Unesco. Il est d’ailleurs rare de voir autant de sites classés dans une province aussi petite.
Le site de Grand Pré, qui a préservé les paysages de digues des Acadiens, par exemple, ou encore la plus grande réserve de biosphère du Canada. Dans la baie de Fundy, ce sont les falaises, incrustées de fossiles géants, qui sont remarquables. Mais la baie réserve d’autres surprises : c’est le seul endroit au monde où l’on fait du rafting à marée montante. Seize mètres de marnage, une mer qui galope plus vite encore qu’au mont Saint-Michel et un mascaret qui permet de surfer à contresens ! Les vagues peuvent monter jusqu’à 6 mètres.
Les baleines se plaisent dans ces eaux agitées et s’approchent assez de la terre pour exposer leurs gros corps agiles aux voyageurs. Le coin était le paradis des bâtisseurs de navires. Seize chantiers navals taillaient les gigantesques troncs de chêne et d’orme et d’épicéa pour sortir des géants flottants.
Warren a acheté la maison de l’un de ces armateurs. Sa maman Anna raconte son enfance, lorsque les plus pauvres ne pouvaient pas s’acheter de viande et étaient condamnés à manger des crustacés. Elle se rappelle sa honte d’arriver à l’école avec un sandwich… au homard !
Homards et pétoncles à profusion
Car si la région ne fait pas de prouesses gastronomiques – comme le veut l’héritage des Acadiens, patate (McCain a des usines dans le coin) et poutine québécoise (frites noyées de sauce brune et de fromage) sont au menu –, les amoureux des crustacés peuvent préparer leurs pinces et nouer leur serviette autour du cou : homard et pétoncles abondent !
Pour en dévorer jusqu’à plus soif, direction Digby. Ses pêcheurs alimentent le monde. Il faut voir la noria de bateaux entrer et sortir du port avec la marée. Plus de 150 chalutiers qui relèvent 20 fois leurs casiers par sortie. Au fur et à mesure, les coques s’enfoncent dans l’eau. À l’arrivée au port, les camions attendent, moteur en marche. Le déchargement se fait à la vitesse d’un changement de roues lors d’un Grand Prix de F1. Jusqu’à 150 tonnes de homards ou de coquilles filent vers l’aéroport d’Halifax pour se déverser congelés dans nos rayons. Les restaurants du coin les cuisinent à toutes les sauces.
Plus au nord, sur la côte ouest, Wolfville se démarque de l’ambiance bucolique générale. Réputée pour être une « vraie ville » – et non pas uniquement une rue, une épicerie-droguerie-pharmacie et des bars –, cette belle cité possède une rue aussi, mais plus longue, plus large, et surtout flanquée d’une université. La ville déborde donc de jeunes gens athlétiques, de restaurants et de concept stores. À longueur de dimanche, les étudiants arpentent Highland Avenue au volant de Gran Torino ou de Corvette Stingray un peu rafistolées pour épater les filles. Le cinéma Acadia, à la façade années 50, organise des festivals, une immense brasserie rassemble toute la ville dans une ambiance province paisible hautement rafraîchissante. Autour, des vignobles qui produisent un vin tout à fait consommable.
Nouvelle-Écosse, du grand spectacle
Plus au nord encore, c’est le Cap-Breton. Un parc national et une route, la piste Cabot, réputée pour être l’une des plus spectaculaires au monde – elle aussi classée à l’Unesco. Les promontoires dévoilent une côte à perte de vue, des encoches au ras de l’océan, du granit rose, comme à Perros- Guirec.
D’ailleurs, la météo, poussée par les vents de l’océan et du Labrador, change très vite. Un vrai temps breton, en un poil plus frisquet. Mais pas de panique, alors que Montréal peut dégringoler à – 30 °C, ici on descend rarement en dessous de – 10 °C en hiver. Une bagatelle.
Et il y a le printemps, très doux, et l’été indien, flamboyant. La route se glisse alors au milieu de coussins de végétation roux écarlate, les montagnes se couvrent d’une fourrure mordorée et dense comme de l’astrakan…
L’artisanat local se consacre aux couvertures multicolores au crochet, on comprend pourquoi, tant le paysage semble tricoté de couleurs chaudes. La Nouvelle-Écosse compte plus de 3 000 lacs, ainsi que des centaines de ruisseaux et de petites rivières. Lorsque vous traversez l’île de Cap-Breton, vous longez toujours de l’eau. Bras de mer minces comme des fjords, lac Bras d’Or, lac Rossignol. L’air est d’une pureté de cristal. Les maisons en bardeaux de bois sont ripolinées de frais et festonnées de couleurs vives. Sur les varangues : l’inévitable fauteuil Adirondack.
Les noms des hameaux sont moitié en français, moitié en gaélique, en souvenir des Écossais qui ont débarqué pour élever les moutons du gigot à la menthe. Ils ont fini par baptiser le territoire New Scotland. C’est pourtant ici que la présence des Acadiens est la plus palpable. Sur la pointe du Havre trône le restaurant La Chansonnette, à côté de la communauté chrétienne Saint-Pierre.
Sur les boîtes aux lettres, le nom de Leblanc revient tout le temps. On vient de loin pour acheter un excellent pain français à la boulangerie Au Coin… Dans ces paysages remplis d’émotion, la playlist de la voiture tourne en boucle : Neil Young, Diane Dufresne, Léonard Cohen, Robert Charlebois… Il suffirait de sauter dans un ferry pour débarquer à Terre-Neuve et passer embrasser nos compatriotes à Saint-Pierre-et-Miquelon. La prochaine fois…