Voyage
En Inde, le petit État de Goa connaît une renaissance artistique à laquelle les compagnies aériennes low-cost et l’Internet haut débit ne sont pas étrangers. Peintres, sculpteurs, musiciens, cinéastes et performeurs s’installent dans les maisons portugaises de l’arrière‑pays, loin des plages autrefois convoitées par la vague hippie.
Petit tour, toujours sous une pluie battante, en direction du fleuve Chapora, nom qui renvoie, paraît-il, au shah d’Iran et aux liens tissés autrefois entre Goa et l’Empire perse. Colvale, son église, ses hauts murs décrépis… et la villa de Wendell Rodricks, l’un des dix stylistes indiens les plus en vue, qui travaille depuis son fief familial, après avoir fait plusieurs fois le tour du monde. Il nous a invités à partager son curry de crevettes à la noix de coco et son mothiale, une friture de minuscules poissons argentés. « Recettes de maman », cela va de soi. La bâtisse a 400 ans, la décoration est baroque à outrance. Nous sommes accueillis par deux molosses très entreprenants, qui s’affalent souverainement sur les canapés.
Goa, éternelle terre d’accueil
« Ce ne sont pas les hippies qui ont fait Goa, ni du reste les Portugais, même si ces derniers sont restés plus de quatre siècles », tient à rappeler notre hôte en descendant son gin-tonic. Quand Vasco de Gama, premier navigateur à avoir atteint les Indes en contournant l’ Afrique, a débarqué de sa caravelle, il a été très surpris de voir qu’il y avait déjà plein de chrétiens le long de la côte. « Goa était depuis des siècles une terre d’accueil, on a retrouvé des traces du passage des Égyptiens, des Grecs et des Romains tout près d’ici », s’enorgueillit Wendell Rodricks. Goa prospérait alors grâce au négoce de l’opium en provenance de Chine. On disait que c’était une île, parce que le principal centre urbain était entouré de cours d’eau. Il n’y avait aucun pont, on se déplaçait en bateau. Aujourd’hui, Goa vit du tourisme et de l’agriculture. Pas plus grand que quatre plateaux du Larzac, l’État affiche un revenu par habitant trois fois supérieur à la moyenne nationale. L’argent et la drogue, les deux mamelles de Goa ? « Il ne faut pas croire que les hippies étaient sans le sou. Tous les mois, ils passaient à la banque, à Panaji, chercher l’argent que papa et maman leur envoyaient. Encore maintenant, ceux qui viennent jouer aux babas cool sont tous issus de familles très aisées », raconte Wendell Rodricks.
A contrario, l’avènement de la classe moyenne indienne agit comme un repoussoir. Les guest houses à bas prix ont fleuri sur le sable fin et, hormis à Ashvem le dimanche après-midi, les hippies du XXIe siècle, eux, ne se jettent que très rarement dans les vagues. « Quand j’ai débarqué en 2006, j’arrivais d’Ibiza, et j’ai été superdéçu par la couleur de la mer. Pendant la mousson, la pluie traversait le toit, il fallait mettre des seaux partout dans la maison », se souvient Martino Caramia, un styliste moitié allemand, moitié italien, qui n’est jamais reparti. Quand les compagnies low-cost ont ouvert des lignes entre Bombay et Goa, sa vie a changé : « Je fais tout le temps des allers-retours et je n’enregistre jamais de bagage, c’est comme si je prenais le bus. » Martino a monté sa propre marque de vêtements et travaille avec son compagnon Jagvir Matharoo, également styliste. Le couple vit dans une très jolie maison portugaise du village de Parra.