Voyage
En Inde, le petit État de Goa connaît une renaissance artistique à laquelle les compagnies aériennes low-cost et l’Internet haut débit ne sont pas étrangers. Peintres, sculpteurs, musiciens, cinéastes et performeurs s’installent dans les maisons portugaises de l’arrière‑pays, loin des plages autrefois convoitées par la vague hippie.
De lourdes gouttes de pluie s’écrasent sur le pare-brise. Les essuie-glaces fatiguent, et il arrive qu’au sortir d’un virage la voiture manque d’entrer en collision avec quatre ou cinq vaches alanguies sur la chaussée, le cuir détrempé. La route ondule au gré des collines noyées dans une verdure exubérante. Pour un peu, on se croirait dans le bocage normand au mois de novembre ! Mais il fait 30 °C et c’est la mousson d’été qui s’abat sur nos têtes. Ici ou là perce une église au blanc grignoté de moisissure, un rideau de cocotiers, une rizière gorgée d’eau, une maison portugaise cachée par un bouquet de bambous. Bienvenue à Goa. Pas le Goa des plages, mais le Goa des villages. Le Goa de l’intérieur, celui des terres et des rivières.
Shivani Gupta et Munir Kabani sont en pleine réunion de chantier. Ils ont acheté un presbytère en ruine, lové dans un méandre de la Mapusa, à quarante minutes du bord de mer. Les murs en latérite ont été percés de larges ouvertures, et les ouvriers sont en train de couler la dalle de la terrasse. Dans quelques mois, on pourra y admirer les Aloe vera et les pommes de cajou rougissant sur les anacardiers en rêvant à la future piscine. A peine plus de 70 ans à eux deux, Shivani Gupta et Munir Kabani avaient besoin d’espace. Elle, est photographe et pratique le mohiniyattam, une danse classique du sud-ouest de l’Inde ; lui, a fait des études de cinéma à Los Angeles et vit de la photo et de la vidéo. Ils ont quitté Bombay il y a quatre ans. Et après avoir traîné leurs valises de squat en résidence d’artistes, ils ont décidé de se poser. « Nos clients ne se doutent pas qu’on vit à Goa, expliquent-ils. Avec l’Internet haut débit, on peut tout faire à distance. »
Les hippies des années 60 vivaient dans des huttes sur le sable, les bobos d’aujourd’hui préfèrent les murs en dur, loin des touristes et du bruit. L’appel de la nature frappe de nombreux artistes devenus des célébrités, la trentaine venue. A la faveur du reflux de la fièvre trance des années 2000, la scène goanaise revient à la vie autour de Siolim, le village où convergent tous les chemins d’accès aux plages mythiques : celle d’ Arambol, qu’affectionnaient les Beatles et qui est devenue un repaire russe, celle de Vagator, où on se ravitaillait autrefois en haschich, celle d’ Anjuna, plus portée sur le LSD, celle de Baga, où les beatniks dénudés se calaient une fleur en plastique derrière l’oreille, à peine débarqués d’Europe ou d’ Amérique.