Voyage
Eghezée : commune de Wallonie située à 15 km de Namur, 15 000 habitants, un chêne centenaire, un château du XVIIe siècle, une abbaye cistercienne… et le restaurant L’Air du Temps, un lieu d’exception.
Il pleut en cette matinée d’automne. Au loin, dans un paysage plat, se dessine un corps de ferme blanc, un ensemble carré de pur style de la région de la Hesbaye, une zone agricole à l’ouest du pays. C’est là qu’a grandi le chef Sang-Hoon Degeimbre. S’il n’a pas choisi son lieu de naissance ni celui où il a grandi, c’est là qu’il a choisi de s’installer, lui qui né en Corée a trouvé en Belgique des parents et une terre d’adoption.
« Mes racines sont ailleurs. Ici, je les ai créées. C’est comme dans le jardin. On y a mis des plantes qui n’ont rien à voir avec la Belgique. L’huacatay du Pérou qui pousse ici croit qu’elle est belge ! Eh bien, moi c’est pareil. » Devenir chef ne fut pas un chemin facile. Etudes en pharmacie avortées, école hôtelière quittée prématurément. Ce sera finalement la boucherie, le temps d’un diplôme.
Puis un peu plus tard, après quelques boulots sans poste fixe, la sommellerie, premier point d’ancrage vers un parcours à succès. Mais, au fond, c’est la cuisine qui concentre toutes ses envies et, en 1997, il ouvre sa première version de l’Air du Temps, à quelques kilomètres de l’actuel restaurant. Une première étoile au Michelin obtenue en 2000 – une seconde en 2008 – et le voilà propulsé sur le devant de la scène gastronomique belge.
Entre Belgique et Corée
Puis une visite en Corée – à l’initiative de son gouvernement – enrichit et complète à la fois l’homme et le chef. Plus coréen que jamais, et plus belge aussi. « Je me rends compte que si je comprends si bien la Belgique, pays dans lequel j’ai grandi, et si bien la Corée, pays dans lequel je n’ai pas grandi, c’est que j’y trouve des similitudes. La Corée, envahie par les Chinois puis par les Japonais ; la Belgique, envahie par les Espagnols et par les Français. Les deux pays ont un Nord et un Sud, avec des appartenances politiques différentes, même si, évidemment, elles ne sont pas aussi marquées ici qu’en Corée. J’ai pour ma terre d’adoption ce patriotisme, très puissant en Corée, que je n’ai pas pu avoir pour ma terre natale. »
En 2013, Sang-Hoon déménage son restaurant et s’installe dans cette ancienne ferme qui est désormais son univers quasi autarcique. Un domaine qui comprend le restaurant, des chambres et un immense terrain. Un coup de foudre. C’est ainsi que Benoît Blairvacq, son jardinier en chef, parle de Sang-Hoon, encore ému, presque vingt ans plus tard, de cette rencontre qui a changé sa vie.
Un véritable engagement
Habitué du restaurant, Benoît Blairvacq travaillait dans la banque. Parallèlement, il cultive un petit potager et propose au chef de cultiver les meilleurs légumes possibles. Une occupation qui devient rapidement bien plus qu’une nouvelle profession, c’est un véritable engagement. Avec son équipe, il prend soin de 5 ha de cultures qui couvrent la quasi-totalité des besoins du restaurant.
Dans la cave, 2 tonnes de légumes sont entreposées pour l’hiver, des centaines de bocaux contenant des préparations au vinaigre, des jangajji (marinades), des kimchis (lactofermentations), des poudres de légumes… Des saveurs qui attendent patiemment d’être révélées en cuisine. Une grande complicité s’est installée entre le chef et le jardinier.
De l’intelligence en toute chose
Un jeu quotidien de séduction, parfois dans le doute, parfois dans l’incompréhension, mais toujours dans la nécessité de faire intelligemment avec ce qui est à leur disposition. De l’intelligence en toute chose. Voilà ce qui caractérise ce que fait Sang-Hoon. Sa cuisine ne se définit pas par un style, elle n’est certainement pas non plus une fusion, mais un point d’équilibre entre technique ultramaîtrisée et émotion pure.
Chaque élément de l’assiette est clair, lisible, limpide dans son goût. La fraîcheur du végétal, le soyeux des chairs, la profondeur des préparations et des jus issus des fermentations. Dans la salle récemment rénovée, le paysage s’invite à table grâce à une immense baie vitrée qui donne sur le potager. L’oeil et l’esprit se jouent de ces allers-retours entre la vue et l’assiette. Des chants d’oiseaux viennent de faire leur apparition. Peut-être ont-ils toujours été là, mais la cohérence est telle qu’on ne les avait même pas remarqués. Ils ont été, nous apprend-on, enregistrés sur le site.
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Rien n’est ici laissé au hasard. La grande exigence de Sang-Hoon s’exprime avec une calme assurance, et son charisme fait en sorte que chacun veut se surpasser pour le satisfaire. « Malgré la complexité de ce lieu, je me sens serein. Car ce qui a du sens pour moi, c’est de tenir dans la longueur, sans précipitation. C’est ce que nous apprend la nature. Elle qui dicte le cours des choses. Si tu fais une erreur une année, eh bien tu dois être patient et attendre la suivante pour la corriger. » Cohérence, harmonie, sérénité… l’esprit apaisé, nourri par bien plus que des aliments, on quitte – à regret – ce lieu qui n’appartient pas à l’air du temps.
L’Air du Temps,
2, rue de la Croix-Monet, Eghezée, Belgique.
Tél. +32 81 81 30 48.
www.airdutemps.be
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