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Qu'on le dise « striped » ou marinière, « red, white and blue » ou bleu-blanc-rouge, ce motif est le symbole de l’amitié franco-américaine. Alors que 2023 marque les 50 ans de la Paris Fashion Week et les 70 ans de la New York Fashion Week, Malcolm Biiga, consultant spécialiste des relations franco-américaines, revient sur l'allégorie de la rayure tricolore.
Plus vieille alliée de l’Amérique, la France partage bien plus que des couleurs avec son ami étatsunien. L’année 2023 marquera les 50 ans de la Paris Fashion Week et les 70 ans de la New York Fashion Week. En marge de ce double anniversaire, il est important de revenir sur un imprimé qui unit ces deux capitales de la mode : les rayures. Symbole présent dans le vestiaire de chaque nation, l’imprimé s’est érigé en motif de concorde entre la France et les États-Unis, malgré son histoire controversée.
À l’automne dernier, le président Emmanuel Macron embarquait pour un voyage officiel aux États-Unis. À Washington, le chef de l’État rencontrait son homologue américain Joe Biden en vue de restaurer la relation entre la France et les États-Unis affaiblies par la crise des sous-marins australiens. Le point d’orgue de cette visite d’État fut le « State Dinner », dont le thème unificateur « bleu, blanc, rouge » (ou red, white, and blue, selon l’ordre américain) marquait le retour de l’entente entre partenaires transatlantiques.
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Les rayures, l’étoffe du diable
Dans son ouvrage « Rayures. Une histoire culturelle » (éd. Seuil, 2021), l’historien Michel Pastoureau retrace l’origine de l’imprimé, surnommé « l’étoffe du diable ». Au Moyen Âge, le motif drape les vêtements des marginaux de la société : bourreaux, lépreux, bouffons du roi, prostituées, prisonniers…
En Allemagne, les non-chrétiens (bohémiens et juifs) étaient forcés d’arborer des rayures. Alimentant cette image négative, la fiction n’est pas en reste : Freddy Krueger, les Dalton ou Beetlejuice portent des vêtements rayés. Il faudra attendre la fin du XVIIIe siècle pour que les rayures gagnent enfin une image positive.
Les États-Unis s’emparent de l’imprimé durant leur guerre d’indépendance : le Sons of Liberty Flag (ancêtre du drapeau américain) compte neuf rayures verticales, blanches et rouges. Le motif, symbole politique de l’antimonarchie et de la liberté, traverse l’Atlantique.
Les sans-culottes, coiffés d’un bonnet phrygien, adoptent l’imprimé qui devient indissociable du 14-Juillet, mais surtout de la France. Dès lors, les rayures portent en elles une connotation duale, à la fois positive et négative : des gangsters des années 30 aux vacanciers des stations balnéaires, l’imprimé perd son marqueur social, quitte la sphère politique et entre dans l’industrie de la mode.
Il devient même iconique dans la fiction, grâce à la série de livres-jeux « Où est Charlie ? » Barbiers et dentistes ont accaparé l’imprimé, les rayures tricolores devenant synonymes d’hygiène. Pont entre la France et les États-Unis, les rayures s’expriment différemment dans l’histoire de chaque pays.
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Verticalité américaine et horizontalité française
Aux États-Unis, les rayures sont sacralisées dans l’hymne national The Star-Spangled Banner et incarnées par l’allégorie du pays, Uncle Sam. L’imprimé reste patriotique et horizontal, mais la mode américaine se l’approprie verticalement : la tenue des New York Yankees, les pinstripes des traders de Wall Street, les club ties de la mode preppy…
Dans le sud du pays, le motif se retrouve dans les costumes en seersucker, prisés des sénateurs américains et portés en juin lors du Seersucker Thursday. En parallèle et comme en opposition aux États-Unis, la France a popularisé une horizontalité des rayures malgré la verticalité du drapeau tricolore.
Il est impossible de traiter de l’imprimé sans citer la marinière. Empruntée à la Marine nationale, la tenue est démocratisée par Coco Chanel et produite par les fournisseurs français Saint James, Armor‑Lux ou Orcival.
À l’écran, Brigitte Bardot, dans Le Mépris, et Jean Seberg, dans À bout de souffle, finissent d’iconiser une tenue renouvelée sans cesse par Jean Paul Gaultier. Panoplie caricaturale du Français, le chauvinisme français a embrassé tenue et cliché.
Mais la marinière n’est pas toujours bien accueillie par le public français : souvenons-nous du maillot décrié de l’équipe de France de football en 2011. Aujourd’hui, la marinière est devenue un objet politique, à l’image des gilets-jaunes et des sans-culottes, ramenant les rayures à leur origine partagée avec les États-Unis.
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Une nation sans rayures est un zèbre sans zébrures
Bien qu’empruntant un chemin différent, les rayures sont devenues indissociables de l’identité stylistique et patriotique de la France et des États-Unis. Capitale de la mode, Paris a intronisé le motif dans la marinière au point de le « nationaliser ».
À l’image de La Marseillaise de Rouget de Lisle, la France, rayée de lignes, a érigé les rayures au rang de symbole de la République française. On se rappelle la couverture du Parisien Magazine avec Arnaud Montebourg en marinière, défenseur du made in France.
Aux États-Unis, le constat est inverse : les rayures ont toujours fait partie de l’éthos national. Le motif drape le vestiaire yankee, du fait de son poids patriotique. Mais contrairement à la France, aucune pièce iconique n’a toutefois émergé. Les États-Unis sont encore à la recherche de leur marinière : un zeitgeist vestimentaire condensant l’identité américaine dans l’imaginaire collectif.
Mais le drapeau américain n’est-il, pas en soi, ce vêtement culturel ? Horizontales en France et verticales aux États-Unis, les rayures témoignent de l’alliance dans la différence qu’entretiennent Américains et Français, de la diplomatie à la mode.
Alliées non alignées, les rayures restent pourtant un motif de concorde de l’amitié franco-américaine, en marge d’un tricolorisme partagé, symbole respectif de chaque nation. Paris et Washington doivent désormais consacrer les rayures en instrument diplomatique des liens franco-américains, fils rouges traversant le bleu de l’Atlantique.
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