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Il paraît qu’on ne peut plus aimer le steak-frites et être de gauche. Marina Meister révèle son point de vue à The Good Life, 2023 - The Good Life
Il paraît qu’on ne peut plus aimer le steak-frites et être de gauche. Marina Meister révèle son point de vue à The Good Life.
Marine Mimouni

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En France, il paraît qu’on ne peut plus aimer le steak-frites et être de gauche

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Chronique : La France vue par les yeux et la plume de Marina Meister, correspondante de Die Welt à Paris.

Il y a bien des années, un ami allemand m’a envoyé une carte postale sans image. Dessus, juste une phrase imprimée de Jules Renard. « Ajouter deux lettres à Paris : c’est le Paradis. » Ce même ami m’a offert des heures et des heures d’enregistrement d’une émission de la radio allemande datant de l’année 1963, écrite et réalisée par un amoureux fou de la France, intitulée « La ­Capitale ». « J’suis là » était le refrain de cet éloge émerveillé de Paris.


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L’Allemand dubitatif et ébloui de l’époque n’en revenait pas d’avoir tout simplement dû traverser le Rhin pour se retrouver au milieu de ce mythe vivant fait de pierres, de lumière, d’hommes et de femmes. Après plus de vingt ans à Paris, je partage toujours ce sentiment qu’éprouvait l’auteur à l’époque.

Il suffit de traverser la Seine, le matin, pour voir la ville se transformer en tableau impressionniste illuminé par l’orange rosé d’un lever de soleil. Mais ces épiphanies ne s’arrêtent pas au paysage urbain de la capitale. Mon émerveillement, ça vous étonnera peut-être, vaut pour toute la France. J’aime ce pays. « J’suis là. » 

Le 15 avril 2019 au matin, dans un open space sans âme d’un immeuble à deux pas de Notre-Dame, une femme, agent de la préfecture de Paris, me demanda pourquoi je voulais devenir française. J’avais envie de répondre : « easy question ».

Mais elle n’aurait sans doute pas apprécié l’allusion à la comédie romantique Love Actually, dans laquelle Colin Firth, dans le rôle de Jamie, demande dans un portugais bancal à Aurélia si elle voulait bien l’épouser.

Car l’agent me demanda ensuite si j’étais prête à prendre les armes pour défendre la France. Elle aurait pu aussi bien me proposer d’escalader la face nord du mont Blanc pieds nus, ça m’aurait fait le même effet. Défendre les valeurs de la France avec des mots, ça oui, évidemment, ai-je répondu. Le soir même, Notre-Dame a brûlé. Trois ans plus tard, la guerre était de retour en Europe. Les temps changent. 

Pour les Allemands, la France reste ce pays de cocagne peuplé de bons vivants qui, avec un verre de rosé dans une main, une boule de pétanque dans l’autre, semblent vivre sous des platanes un éternel apéro. « Nous, les Allemands, nous bossons ; eux, les Français, vivent. »


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C’est avec ces mots, entre incompréhension et admiration, que les lecteurs allemands commentent les papiers expliquant le refus de la réforme de retraite et l’augmentation, gentil à leurs yeux, de l’âge légal de départ. Les témoignages dans les médias français de celles et ceux, souvent jeunes, qui expliquent ne pas pouvoir envisager de travailler deux ans de plus, glacent parfois la Française que je suis devenue. Je ne parle évidemment pas des professions pénibles.

Les écoutant, j’ai l’impression de vivre dans un pays de galère généralisée dans lequel plus personne n’arrive à s’épanouir dans son job, encore moins à se réaliser. Le travail rend malheureux. Plaisirs et bonheur sont reportés à plus tard. Simple différence entre pays protestants et catholiques, comme l’a suggéré le sociologue Max Weber dans son œuvre fondatrice L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme ?

De nombreux sondages montrent que les Français sont pessimistes quand on les questionne sur l’avenir du pays, mais confiants quand il s’agit de leur vie privée et familiale. La contradiction entre optimisme individuel et pessimisme social semble indissoluble. C’est le cocooning généralisé. Comme si la France avait perdu la capacité d’un bonheur collectif.

On nous a promis de nous réconcilier les uns avec les autres, mais la fracture n’a fait que s’approfondir. On nous prêche la fin de l’abondance, une sobriété heureuse ; on essaie de nous faire croire que le travail était une valeur de droite. Il paraît que l’on ne peut plus aimer le steak-frites et être de gauche. Roland Barthes aurait été surpris du tournant que son pays a pris.

Ne parlons plus de ce « paradis peuplé de gens qui se croient en enfer », comme l’a si justement écrit Sylvain Tesson. Quand l’écrivain lève la tête de son bureau, dans son appartement du 7e étage du Quartier latin, son regard tombe sur le toit de l’église Saint-Séverin qu’il aimait escalader, comme il aimait entrer chez lui par la façade, avant de tomber, un jour, de dix mètres de hauteur. 

Le bonheur, souvent, n’est qu’une question de perspective. Tout en haut ou tout en bas, il faut le cultiver. Et si nous arrêtions de râler ? Il nous faut réapprendre à être français et heureux. « J’suis là. » Il suffit de se le rappeler de temps en temps. 


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