Voyage
Cette année-là, le préfet Macron est mort, assassiné sur ordre de l’empereur Caligula qu’il avait pourtant aidé à s’emparer du pouvoir. Le jeune homme, le troisième prince de cette monarchie instaurée par Auguste à l’issue d’un régime républicain à bout de souffle, présente déjà les premiers signes de démence.
Rome, une identité duale
Cependant, la ville est double, avec, d’un côté, les belles demeures des riches, des jardins raffinés dans lesquels les virtuoses en art topiaire sculptent la nature pour rappeler que les propriétaires la maîtrisent comme ils dominent le monde, le confort de bains privés ou du chauffage par le sol (les hypocaustes), les somptueuses décorations pariétales, les œuvres d’art qui illuminent chaque pièce… et de l’autre, la saleté des quartiers populaires, avec leurs immeubles précaires que dévorent souvent les incendies, les venelles obscures qui, mises bout à bout, selon Pline l’Ancien, atteignent 90 km, les ordures qui jonchent le sol, l’odeur pestilentielle des fosses d’aisance sous l’escalier des immeubles de rapport, les lupanars crasseux, les tavernes populeuses où s’attablent les voleurs, les soudards, les esclaves en fuite et autre sicaires…
Cette Rome-là est celle de la misère, car dans la capitale du monde, il n’existe que deux classes sociales, outre les esclaves : les riches et les pauvres. Ces deux catégories de citoyens ne se croisent qu’au Forum et aux thermes, ils se frôlent, se toisent parfois, mais se rencontrent rarement. Cette identité duale s’illustre parfaitement par les odeurs et senteurs qui exhalent de chaque carrefour de la ville. Un promeneur aveugle pourrait, en respirant les effluves, s’orienter facilement. Passe-t-on près d’un temple, l’air est lourd de l’encens de l’Arabie Heureuse dont les dieux ne se lassent pas. Le safran embaume le théâtre et masque, à l’amphithéâtre, l’odeur du sang des gladiateurs. Aux bains et dans les gymnases des thermes, la subtilité des fragrances trouve son inspiration dans le savant dosage des plantes qui composent les huiles indispensables à la souplesse des corps.
Dans les salles à manger des riches demeures, le plafond s’entrouvre à l’heure de la cène pour épandre des milliers de pétales de roses dont les subtiles senteurs se mêlent à celles de quelques fleurs orientales. Les jardins, nombreux à Rome, offrent une bouffée d’air léger où flotte la citronnelle, tandis que les rives du Tibre enivrent les passants des montagnes d’épices venues là s’échouer depuis l’Asie Mineure, l’Inde ou la Chine.