Horlogerie
On pense qu’il suffit de verser de l’eau dans un bac en silicone et l’affaire est jouée… Mais fabriquer un glaçon véritablement efficace requiert un peu plus d’attention que cela. Autrement, les effets de ce dernier sur la saveur de la boisson à rafraîchir pourraient bien être regrettables... Histoires, usages et bienfaits de l’eau solidifiée.
Si les premières chaleurs de l’été incitent à jeter 2 ou 3 glaçons de plus dans son verre, cet ingrédient est en réalité une constante dans l’univers du bar, de surcroît lorsqu’il s’agit de consommer une boisson alcoolisée. Au-delà de son effet rafraîchissant, le glaçon, et donc le froid, permet d’adoucir la puissance en bouche de l’éthanol et rend ainsi la dégustation d’un spiritueux pur ou d’un cocktail beaucoup plus agréable au palais. Ne nous y trompons toutefois pas, il ne va en aucun cas réduire le taux d’alcool, à moins de le laisser totalement fondre dans la boisson de départ – mais la quantité d’alcool restera la même.
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L’usage du glaçon dans la consommation d’un liquide se popularise à partir du XVIIIe siècle, dès qu’on commence à « récolter » la glace naturelle dans les contrées froides et les montagnes, puis à la « cultiver » dans des glacières naturelles. La glace est alors une denrée rare et coûteuse, mais devient vite un indispensable. L’arrivée des congélateurs et autres freezers dans les années 50 va, d’une certaine manière, banaliser le geste d’aller chercher des glaçons dans sa cuisine.
Pour autant, il y a glaçon et glaçon, car le petit cube ne va pas se diluer de la même manière selon sa taille, le type de bac ou de machine dans lequel il a été préparé et la quantité utilisée dans le verre. Et on saisit vite que la question de la dilution est un sujet central, d’autant plus pour un chef barman qui conçoit son métier avec la même précision qu’un chef de cuisine ou un chef pâtissier. « Tout le travail d’un bon barman est de savoir doser le niveau de dilution. Trop peu et vous risquez de trop ressentir l’alcool, beaucoup trop et le mélange devient carrément flotteux, insipide », souligne Éric Fossard, organisateur du salon Cocktails Spirits.
Le glaçon est ingrédient à part entière
Cette préoccupation a pris d’autant plus d’ampleur que la mixologie a largement gagné en puissance au cours de la dernière décennie, évidemment avec la multiplication des bars à cocktails, mais aussi l’arrivée d’une offre cocktail dans des restaurants et hôtels voulant se mettre au diapason de la tendance. Derrière un bar, inutile de préciser que les glaçons ne sont pas faits dans des bacs, mais à l’aide de machines qui peuvent produire différentes tailles et formes. De même, le glaçon n’est pas uniquement utilisé dans la garniture d’un verre, mais durant la fabrication d’un cocktail pour rafraîchir, dès le début, les ingrédients.
« Le glaçon est en fait un produit central en mixologie, dont on ne peut faire l’économie. Dès le démarrage de nos formations, nous abordons la glace comme un ingrédient à part entière », explique -Sylvain Glatigny, de la European Bartender School. Dans le monde du bar, la marque japonaise Hoshizaki, spécialiste du froid négatif, est vite devenue la référence des machines pour obtenir de la glace de qualité constante, adaptée à la pratique de la mixologie.
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« En France, la plupart des établissements sont équipés de ce style de machine, qui peut produire différents types de glace, des cubes de 3,2 cm par 3,2 cm, des sticks, de la glace pilée… » explique Alexis Jobin, à la tête de Cocktail 7, qui s’est fait une spécialité de l’outillage pour travailler la glace.
Car au-delà de l’utilisation dans un verre, la dimension d’un glaçon va avoir toute son importance dès la phase de confection d’un cocktail. Qu’il soit préparé à la cuillère dans un verre à mélanger, comme dans le cas d’un Dry Martini ou un Manhattan, avant d’être servi dans un verre préalablement rafraîchi, ou bien shaké comme, par exemple, pour une margarita. Plus encore dans ce cas, car les entre-chocs dans le shaker vont avoir tendance à casser les cubes et à produire de l’eau. Il est d’ailleurs fortement déconseillé d’utiliser des glaçons creux ou de la glace pilée dans un shaker, au risque de rendre le cocktail flotteux.
Une glace parfaitement translucide
Les barmen japonais ont développé toute une science du glaçon, mettant notamment au point la technique du hard shake, qui consiste à faire rouler les glaçons dans le shaker pour éviter de les briser. De même, ils sont très adeptes des gros pains de glace dans lesquels ils vont, au choix, tailler des cubes à l’aide d’une scie, prélever de gros cailloux qu’ils disposent dans le verre tel un élément décoratif, ou bien encore réaliser des sphères, voire des diamants à l’aide d’ustensiles spécifiques (couteaux, pics à glace…).
Une autre spécificité de cette école nippone est l’emploi d’une glace parfaitement translucide, qui apporte un vrai plus esthétique dans le verre. « Lorsque nous avons invité le chef barman Ueno Hidetsugu, du Bar High Five, à venir faire une démonstration au salon Cocktails Spirits en 2009, il a voyagé avec sa glace transparente dans ses bagages en soute. Ça peut sembler délirant, mais pour lui, ce type de glace était obligatoire », se souvient Éric Fossard.
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Cet usage, plutôt commun au Japon, est en train de devenir une nouvelle norme en France pour les établissements qui veulent justement se démarquer de l’offre pléthorique. « J’ai depuis toujours été sensibilisé à l’emploi d’une glace de qualité, souligne Kaled Derouiche, chef barman du Andy Wahloo, à Paris. J’ai aussi très tôt appris à tailler des sphères de glace pour soigner la présentation. Mais la possibilité d’utiliser aujourd’hui de la clear ice [glace pure, réalisée avec de l’eau purifiée, NDLR] apporte vraiment un plus esthétique. On le voit bien avec les clients lorsque le verre arrive sur la table. »
Évidemment, cela a un coût (0,50 euro le glaçon) que les établissements se doivent de répercuter dans le prix des cocktails. Un potentiel économique que certains professionnels du secteur n’ont pas hésité à saisir. L’ancien chef barman Joseph Biolatto a, par exemple, fait le pari de créer une entreprise – The Nice Company –, spécialisée dans la production et distribution de glace et notamment de glace pure. De même, le barman allemand Stephan Hinz s’est carrément lancé dans la production de machines et de kits domestiques pour produire de la glace pure.
« Lorsque j’ai ouvert mon bar, Little Link, je voulais que tout soit parfait. J’ai cherché des producteurs de glace de qualité, mais la taille des blocs n’était pas adaptée à l’échelle d’un bar. Alors, je me suis mis à plancher sur un modèle de machine parfaitement adapté à nos besoins. C’est ainsi qu’Ice Forward a vu le jour, car j’ai très vite vu le potentiel de développement qui pourrait bénéficier à d’autres professionnels de la mixologie », explique-t-il.
En quelques mots, la machine permet de réaliser une baisse très graduelle de la température, évacuant les bulles d’air d’ordinaire emprisonnées. Ces recherches l’ont aussi conduit à concevoir une « box » de 6 glaçons à glisser dans un freezer, dont le design spécifique permet de concentrer ces bulles par gravité.
En quelques années seulement, le glaçon semble être redevenu un véritable objet de fascination, si l’on en juge l’intérêt de marques de spiritueux qui ont, par exemple, « brandé » des outils permettant de signer un glaçon (un tampon à chaud) ou de fabriquer une boule sous l’effet de la pression, voire, comme la marque de vodka Grey Goose, de collaborer avec le chef pâtissier Cédric Grolet, pour imaginer un glaçon virtuel qui est en fait un gâteau.
De même, certains acteurs de la gastronomie tels qu’Anne-Sophie Pic et Akrame Benalal ont eux aussi compris l’intérêt esthétique d’un glaçon parfaitement transparent au moment de servir une boisson non alcoolisée en accord avec un plat. Le petit cube de glace a bien des choses à exprimer… avant de fondre.
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