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The Good Life a posé quelques questions à Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro.
Volubile, avenant et insaisissable, le prefeito – l’équivalent brésilien du maire – de Rio de Janeiro est à l’image des habitants de sa ville. Tombé très jeune dans la marmite politique, Eduardo Paes accède à ce poste de premier magistrat en 2008, à seulement 39 ans. Ses deux mandats consécutifs – le maximum autorisé par la loi électorale – sont notamment marqués par les préparatifs des JO de 2016. Réélu fin 2020, Eduardo Paes partage son quotidien entre les bureaux de la Cidade Nova, dans le centre de Rio, et les rues de la ville, qu’il arpente en tenue décontractée – jeans, chemise, baskets. En coulisses, son équipe de communication l’a convaincu de faire une exception.
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Rencontre avec Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro
Un peu à contrecœur, Eduardo Paes a donc enfilé une veste de costume et des souliers en cuir pour sa rencontre avec The Good Life au Palácio da Cidade, dans le quartier de Botafogo. La conversation se déroule dans l’intimité de l’un des salons de ce palais d’architecture géorgienne, qui servit de résidence à l’ambassadeur du Royaume‑Uni jusqu’en 1960, année où la capitale fédérale fut transférée de Rio à Brasilia.
The Good Life : Cette interview estivale ne pouvait pas commencer ailleurs que sur le sable de Rio. Expliquez-nous ce que représente la plage pour les Cariocas.
Eduardo Paes : La plage de Rio est l’endroit le plus démocratique qui soit. C’est le lieu de rencontre par excellence, où se mélangent toutes les classes sociales. Les échanges s’y font sans le moindre préjugé. Notre ville se caractérise par ce mélange, elle invite à occuper son espace public. Je ne connais pas d’autre grande agglomération où la plage ait un usage aussi quotidien. Depuis que je suis maire, malheureusement, je vais moins à la plage. Ma femme est gênée quand on nous prend en photo…
À part la plage, quels sont les mots qui définissent le mieux la ville de Rio ?
E. P. : Ce qui enorgueillit le plus les Cariocas, c’est bien le rapport que nous entretenons avec la nature. Cette succession d’accidents géographiques qui donnent lieu aux morros (les collines), ses deux forêts urbaines, ses jeux de lumière, la mer. Notre ville a été capitale coloniale, capitale de l’Empire, puis de la République. Elle abrite un patrimoine architectural riche. Mais son charme réside surtout dans les contrastes. Ici, même les favelas ont leur poésie. À Rio, les plus pauvres vivent tout près des plus riches. Ce n’est pas une décision de la mairie, c’est la réalité locale. Sur la même plage se croisent naturellement les employés domestiques et leurs patrons.
Cette relation avec la mer pose-t-elle les bases d’une conscience environnementale ?
Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro : En plus de cette osmose avec la nature, notre relation à notre réalité environnementale constitue aussi un actif économique. Les gens prennent la décision de visiter Rio, d’y vivre ou d’y investir en raison de cette caractéristique-là. Il est possible de prendre son vélo le matin, de se balader au milieu de la forêt, de faire ses exercices physiques, puis de passer de la montagne à la plage, avant de travailler dans un cadre urbain. En 2012, nous avons reçu la conférence sur le climat Rio + 20. Le Brésil a son mot à dire en matière de politique environnementale et de développement durable.
Comment Rio, ville de fête par excellence, a-t-elle traversé l’épisode de la pandémie de Covid ?
E. P. : À Rio, on aime se prendre dans les bras. Le carnaval est une activité typiquement full contact, alors, forcément, la pandémie et l’interdiction de se réunir dans l’espace public, c’était la situation la plus anticarioca possible. Annuler le carnaval (en 2021) a été la décision la plus difficile de ma vie de maire. Une énorme frustration ! L’impact économique a été très lourd.
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Quelle place souhaitez-vous donner au business du tourisme ?
E. P. : En plus du tourisme traditionnel, Rio accueille de nombreux événements d’envergure. Nous sommes une grande destination de tourisme de congrès. Le Web Summit – organisé pour la première fois cette année, du 1er au 4 mai – vient s’inscrire dans cette logique. Rio est un centre d’affaires incontournable. Les grandes entreprises de production d’oléagineux sont basées ici, Petrobras aussi, ainsi qu’une partie du marché financier.
Quelle est la proposition faite par Rio aux « digital nomads », startupers et autres entrepreneurs internationaux ?
Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro : Nous avons été parmi les premiers à lancer un programme pour inciter les « digital nomads » à s’installer ici. Depuis, le gouvernement national a suivi, en facilitant l’accès à la résidence. La qualité de vie est l’un de nos principaux atouts. Le Web Summit doit nous apporter plus d’investissements étrangers. Cela peut devenir notre flagship event, le genre de rendez-vous qui nous permettra de devenir le plus grand pôle d’innovation d’Amérique latine. En tant que cité créative, à la pointe en matière d’investigations et disposant d’universités de premier niveau, nous avons vocation à attirer les talents.
En une douzaine d’années, du congrès Rio + 20 au Web Summit, en passant par des mégaévénements tels que la Coupe du monde de football et les jeux Olympiques, la Cité merveilleuse n’a cessé d’ouvrir ses portes au monde. Lequel de ces grands rendez-vous a le plus contribué à la transformation de la ville ?
E. P. : Tous ces événements se sont inscrits dans une dynamique nationale positive. Le Brésil commençait à occuper un rôle important sur la scène internationale. Le Mondial a mobilisé tout le Brésil, mais ce sont les JO qui ont le plus transformé Rio. Les Jeux englobent la culture de la cité et lui transmettent un héritage.
La mairie a été critiquée au sujet de l’abandon de certaines infrastructures. De même, certains projets liés à ces événements ont mis du temps à voir le jour, d’autres se font encore attendre, en matière de transports, notamment…
Eduardo Paes, mairie de Rio de Janeiro : Les projets livrés dépassent le cadre de ce qui avait été promis dans la candidature olympique. Le problème est d’y avoir associé des travaux qui n’étaient pas directement liés à la compétition. Le réseau de transports notamment, ou encore le téléphérique du Complexo do Alemão. Cela a mis du temps à se mettre en place, notamment en raison de l’abandon par l’équipe qui a dirigé la mairie (2016-2020) entre mes deuxième et troisième mandats.
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La question de l’insécurité a fait aussi beaucoup débat, notamment la brutalité de l’opération de « nettoyage » des favelas. À quel niveau se situe actuellement l’insécurité ?
E. P. : Il y a eu beaucoup de discours autour des favelas. Concrètement, les chiffres actuels de l’insécurité sont bien meilleurs que ceux des années précédant les JO. L’insécurité reste une préoccupation majeure, comme partout au Brésil et en Amérique latine. Cependant, le nombre d’homicides a baissé. Dans les zones touristiques, les chiffres sont bas. Il n’en demeure pas moins que le pays souffre de ses inégalités et de l’extrême pauvreté, qui ont toutes deux augmenté ces deux dernières années. À la mairie, nous nous concentrons sur les actions sociales, car la police est une prérogative de l’État de Rio.
En préparation de ces grands événements, aviez-vous identifié une ou plusieurs villes qui pouvaient vous servir d’exemple ou d’inspiration ?
Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro : Barcelone ! J’étais maire quand Rio a remporté l’organisation des JO. Nous avons visité Londres, Athènes puis Barcelone. J’y ai notamment rencontré Pasqual Maragall, qui était maire au moment des JO de 1992. Il m’a expliqué qu’il y avait deux types d’expériences possibles. Les Jeux peuvent se servir de la ville d’accueil ou la ville se sert des JO, comme à Barcelone. C’est ce que nous avons voulu répliquer et c’est pour cela que de nombreux projets extérieurs au cahier des charges ont été associés par l’opinion. Les travaux qui touchent notre port, par exemple. Son accès, la voirie, le musée de Demain. Les JO n’étaient qu’une excuse pour lancer ces projets. Les travaux réalisés forment un héritage tangible. Les éléments intangibles relèvent de la construction du branding. Rio a consolidé son statut de ville sexy et désirable.
Quelles sont vos attentes dans la zone portuaire et dans le Centro voisin ?
E. P. : Contrairement à Barcelone, Rio était déjà connectée à la mer. Les travaux ont permis de réinventer la relation du port avec la baie de Guanabara, tout en impulsant une redynamisation du Centro voisin, qui abrite des bâtiments de grande qualité. Nous venons de racheter l’immeuble A Noite, le premier gratte-ciel d’Amérique latine [dessiné par l’architecte français Joseph Gire, également auteur des plans du Copacabana Palace, NDLR]. Nous attendons de voir quelles peuvent être les initiatives privées pour prendre en charge les travaux. Transformer le Centro permettra d’avoir une ville plus durable et moins onéreuse.
Réduire les distances fait du sens à Rio, dont la superficie totale équivaut à dix fois celle de Paris…
Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro : Mon objectif est d’avoir une ville plus compacte. À Paris, mon amie Anne Hidalgo a lancé le programme « Paris ville du quart d’heure ». Ici, nous pouvons défendre « Rio 5 minutes ». Cela n’aurait aucun sens d’étendre encore nos limites urbaines. Cela entraînerait de nouvelles dégradations environnementales et une augmentation des temps de voyage des habitants. En plus des désavantages environnementaux, une municipalité trop étendue coûte beaucoup plus cher. Il faut plus de police, plus de collecte de déchets, plus d’électricité publique, plus de chaussée, plus de transports…
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Que représente Rio pour le Brésil ? Pensez-vous que la ville devrait un jour redevenir la capitale du pays ?
E. P. : Hum… non. Enfin si, bien sûr ! En tant que Carioca et maire, je n’y serais pas opposé, mais aujourd’hui Brasilia est une réalité. Rio n’a pas perdu sa centralité dans l’imaginaire brésilien. À l’échelle mondiale, elle reste la porte d’entrée du Brésil. Pour ses charmes tout autant que pour ses défauts, elle représente le Brésil auprès du monde. En France, n’utilisez-vous pas le gentilé Carioca pour parler de tous les Brésiliens ? Avec São Paulo, il y a plus de complémentarité que de concurrence. L’un des atouts de Rio est justement de se trouver très proche du premier centre économique brésilien.
Quel impact a eu l’élection de Jair Bolsonaro sur la relation de Rio avec le monde ?
E. P. : Très négatif. Entre 2013 et 2016, j’ai été président du C40, un réseau des villes organisées pour lutter contre le changement climatique. Le Brésil vivait une bonne époque, tout était facile sur le plan international. Pendant le mandat de Jair Bolsonaro (2018-2022), j’ai très peu voyagé, le Brésil avait une mauvaise image. Plus personne ne nous invitait. En 2023, tout semble être redevenu comme avant. Je me suis déjà rendu en Chine, deux fois aux États-Unis et peut-être irai-je bientôt à Paris.
Serez-vous candidat à votre réélection en 2024 ? Nourrissez-vous d’autres ambitions politiques, à l’échelle nationale ?
Eduardo Paes, maire de Rio de Janeiro : Oui, je serai candidat pour la quatrième fois. Mon objectif reste de m’occuper de ma ville. Depuis que je me suis lancé en politique, dans une période de retour de la démocratie, j’ai toujours pensé à Rio. Les municipalités sont très importantes aujourd’hui. Elles ont un grand impact dans la vie des citoyens. J’espère que d’ici à vingt ans, Rio sera reconnue comme étant le meilleur endroit d’Amérique latine pour vivre et travailler. Pour cela, il faudra aussi que le Brésil avance.
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