Acteurs
The Good City
Qui fait bouger Phnom Penh, la vibrante capitale du Cambodge ? La réponse en quatre portraits.
À la tête d’entreprises, de fondations ou de départements clés, ces acteurs participent au dynamisme et à l’économie de Phnom Penh.
A lire aussi : Ces jeunes entrepreneurs feront l’économie de demain
Pierre Balsan, Fondateur et CEO de Retail Missions, directeur général de Bluebell Cambodge
Implanter des marques de luxe dans le mall du complexe immobilier géantThe Peak, telle est, à Phnom Penh, l’actuelle mission de Pierre Balsan. Un défi qui n’en est pas vraiment un pour cet homme qui a derrière lui une longue expérience dans le domaine. Son histoire avec l’Asie débute à la fin des années 80, quand les enseignes de luxe françaises commencent à s’intéresser au marché chinois. Il y installe Dior, d’abord pour les parfums, puis pour la mode et, plus tard, toujours pour LVMH, les marques Fendi et Loro Piana. Mais le Cambodge n’est pas la Chine, c’est un marché bien plus petit dont l’évolution est beaucoup plus rapide.
« La spécificité de ce pays, c’est ce système d’oknha, un titre accordé par la famille royale à ceux qui contribuent économiquement au développement du pays, précise-t-il. Il en existe de 200 à 300, et 400 ou500acteurs de l’économie ne l’ont pas encore, mais sont déjà multi millionnaires, voire milliardaires. Ces amateurs de produits de luxe s’observent beau-coup les uns les autres et consomment de façon très ostentatoire et similaire. En revanche, ce qui est intéressant, c’est que la deuxième génération, voire maintenant la troisième, a des goûts précis, une connaissance très pointue des marques et des produits, notamment grâce aux médias sociaux.»
Avec une ouverture retardée pour cause de Covid, The Peak a connu un démarrage lent. C’est en 2019 que Pierre Balsan le visite pour la première fois, et il admet qu’à l’époques a confiance dans le projet n’était pas aussi affirmée qu’aujourd’hui. Les marques n’ont commencé à s’intéresser au Cambodge qu’à partir de fin 2021. Louis Vuitton, Gucci, Saint Laurent ont confirmé leur présence, leurs architectes et designers commencent à arriver. Outre les espaces commerciaux, Pierre Balsan tient à diversifier l’offre de The Peak avec des lieux dévolus à la création. « Le marché est suffisamment grand pour qu’on puisse y faire une place à la culture. »
Oknha Dr Pung Kheav Se, Président fondateur de Canadia Investment Holding (CIH) et d’Overseas Cambodia Investment Corporation (OCIC)
Un empire financier peut naître d’une bonne intention. Celui de l’oknha Dr Pung Kheav Se s’est construit sur une première observation, pendant ses années d’exil. Alors qu’il dirigeait une entreprise florissante d’orfèvrerie dans le quartier chinois de Montréal – où il avait trouvé refuge en 1980 –, il constate que ses compatriotes ont peu d’options pour envoyer des fonds à leurs proches restés au Cambodge. Il crée donc un système de transfert de fonds, une première étape dans le monde de la finance.
Épaulé par un membre de sa famille proche du gouvernement et de la Banque nationale du Cambodge, cette figure de l’économie de Phnom Penh décide de retourner au pays, où il crée, en 1991, la société Canadia Gold & Trust, dont l’activité comprend encore l’orfèvrerie, mais aussi l’émission de pièces d’or et des services bancaires. Deux ans plus tard, la société est officiellement une banque commerciale agréée, la Canadia Bank, qui deviendra la principale institution financière du royaume.
En 2000, Canadia Bank se divise en deux grandes entreprises : Canadia Investment Holding (CIH), responsable des activités financières (Canadia Bank, CPBank, etc.), et Overseas Cambodia Investment Corporation (OCIC), chargée des activités non financières. Projets immobiliers et d’infrastructures, telle la création de parcs industriels, de centres commerciaux, d’écoles, d’hôtels… font partie des activités d’OCIC.
Le développement de l’île Diamant, avec ses quartiers résidentiels (incluant des pastiches parisiens) et son centre de congrès, c’est lui. Le projet géant de Chroy Changvar Satellite City, ville satellite de Phnom Penh, lui également. Et plus récemment, c’est l’OCIC, qui, en joint-venture avec le gouvernement, a développé le nouvel aéroport de Phnom Penh, construit par des entreprises chinoises. Un parcours qui lui a valu l’attribution du titre honorifique d’oknha.
A lire aussi : Les 4 figures majeures de l’économie à Nice
Serey Chea, Sous-gouverneure de la Banque nationale du Cambodge (BNC)
Elle voulait devenir astronaute ou ingénieure. Son père lui a conseillé la comptabilité, un métier plus tranquille, selon lui… Le Cambodge a peut-être perdu l’occasion d’envoyer une de ses ressortissantes dans l’espace, mais il a gagné une banquière remarquable. L’une des rares femmes au monde à la tête d’une banque centrale, Son Excellence Serey Chea, puisque c’est son titre officiel, a pourvu le Cambodge d’un système bancaire solide et bien réglementé, à même d’inspirer confiance aux Cambodgiens, tâche ardue alors que les Khmers rouges avaient supprimé les banques et la monnaie. Serey Chea est née à Phnom Penh en 1981.
À 11 ans, ses parents l’envoient en France, chez des amis, pour qu’elle y suive sa scolarité. Après une licence de finance et de comptabilité en Nouvelle-Zélande, puis un master en Angleterre, elle entre à la Banque nationale du Cambodge (BNC), où elle supervise les organismes de microfinance. Elle découvre combien l’accès à l’argent peut changer la vie d’une famille. C’est un déclic.
Cette figure de l’économie de Phnom Penh s’investit alors dans la construction et la réglementation du secteur, mais aussi dans l’acculturation aux pratiques bancaires, « pour redonner confiance aux Cambodgiens », jusqu’à devenir directrice générale de la BNC. Plutôt que de moderniser le secteur, elle lui fait faire un véritable saut technologique grâce au numérique. En 2020, elle lance le Bakong, un porte-monnaie numérique qui facilite les paiements et les transferts d’argent entre institutions, commerces et particuliers.
Dans un pays où la moitié de la population n’est pas bancarisée, le Bakong, outil d’inclusion et de transparence, est un succès, reconnu et maintes fois primé. Nommée sous-gouverneure de la BNC en mars 2023, Serey Chea entend réaliser les nombreux projets qui lui tiennent à coeur, notamment pour l’inclusion financière des femmes.
Oknha Sear Rithy, Président fondateur de Worldbridge International Group
Depuis 2020, Sear Rithy est devenu oknha, titre accordé par le roi du Cambodge à ceux qui effectuent des dons au gouvernement – d’au moins 500 000 dollars – et qui contribuent par leurs entreprises au développement du pays. Cette année-là, à l’âge de 50 ans, Sear Rithy devenait milliardaire, rejoignant le groupe des hommes d’affaires les plus riches du pays.
Né en 1972 dans une famille sinokhmère, il avait quitté le pays, enfant, avec les boat-people et passé quatre ans dans un camp de réfugiés en Indonésie. Rentré au Cambodge, il crée une activité dans la logistique, Worldbridge, au moment où le pays commence à se reconstruire. Il a 20 ans et rien ne l’arrête. Il développe ensuite un véritable groupe, Worldbridge International, en créant des joint-ventures avec de grandes entreprises internationales.
Cette figure de l’économie de Phnom Penh gère à présent une trentaine de sociétés et a étendu ses activités à la sécurité (Brink’s), à la santé (Singapore Medical Center), à la banque, à l’immobilier, à l’e-commerce, aux médias… L’un de ses projets les plus récents s’appelle The Peak : trois tours de 55 étages le long du Mékong, dont deux tours d’appartements de grand standing. La troisième abrite le premier hôtel Shangri-La du pays dans les 25 étages supérieurs. Le tout posé sur un centre commercial de 5 étages de boutiques de luxe. Sear Rithy n’oublie pas ses métiers d’origine.
Au printemps 2023, Worldbridge Industrial Developments a inauguré un cluster baptisé WBID i4.0, qui propose aux PME industrielles de mutualiser des ressources en appliquant le modèle d’industrie de nouvelle génération, dit «4.0». Curieux de technologie et d’innovation, Sear Rithy a créé le fonds de capital-risque Octane, doté de 55 millions de dollars, pour investir dans des start-up et des PME dans tout le Sud-Est asiatique.
A lire aussi : 4 figures de l’économie de Buenos Aires