Dites « Times Square Edition », et il y a fort à parier que quelqu’un autour de vous imaginera instantanément Jean Seberg, cheveux blonds très courts, jean slim et tee-shirt à logo descendant la 7e Avenue pour vendre à la volée un quotidien qui porterait ce nom, dans un hypothétique remake d’A bout de souffle, le film culte de Jean-Luc Godard. Pourtant, depuis mars 2019, les habitués des voyages à New York savent que le Times Square Edition est le dernier-né des hôtels conçus par Ian Schrager, en partenariat avec Marriott International.
Il a ouvert ses portes à l’angle de la 7e Avenue et de la 47e Rue, à l’ouest. Sur Google Maps, il suffit de zoomer sur cette adresse pour voir à quel point elle est au cœur du chaos sonore et visuel de Times Square, avec ses théâtres populaires, ses comédies musicales et ses enseignes lumineuses surdimensionnées aux milliers de LED. Drôle d’idée, se dit-on quand même, que celle d’implanter un 5-étoiles dans un quartier envahi à ce point par les touristes et leurs perches à selfie et détesté par les New-Yorkais.
D’autant plus qu’aujourd’hui la stratégie de l’hôtellerie, en particulier sur le segment du luxe, est de devenir tout autant une destination pour les clients de passage que pour les locaux, du moins en ce qui concerne le food & beverage (bars et restaurants). Mais pour qui connaît Ian Schrager, l’emplacement était au contraire un choix délibéré. Un challenge comme les aime cet entrepreneur au flair légendaire.
La patte Schrager
Pour mémoire, c’est lui qui a cocréé, avec Steve Rubell, à l’aube des années disco, le Studio 54 – sur la 54e Rue, à quelques blocs seulement de l’adresse du Times Square Edition. Et révolutionné, du jour au lendemain, la nuit new-yorkaise en y insufflant un cocktail détonnant : fête, sexe, drogue, glam et « camp ». En l’espace de trente-trois mois seulement (d’avril 1977 à janvier 1980), ce club unique en son genre est devenu un mythe absolu, y compris pour ceux qui ne l’ont pas connu. S’y croisaient aussi bien des célébrités, comme Andy Warhol, Truman Capote, Mick Jagger, Diane von Fürstenberg, Madonna ou Michael Jackson, que des anonymes au look ébouriffant.
Après être passé par la case prison pour fraude fiscale, Ian Schrager a rebondi haut et fort. Frustré de ne pas trouver d’hôtel parlant le langage de sa génération, il a, là aussi en pionnier, inventé le concept de boutique-hôtel en ouvrant le Morgans en 1984, suivi du Paramount et du Royalton – dans ce même Midtown – puis le Sanderson, à Londres, et le Delano, à Miami, à une époque où la ville de Floride était plus synonyme de Miami Vice que de chic design et arty.
Hospitalité et le divertissement
Un maestro de la disruption transformée en ascenseur pour le succès, donc. Après avoir revendu le Morgans Hotel Group et son portfolio de boutiques‑hôtels, Ian Schrager a noué un partenariat en 2008 avec Marriott International pour développer la marque Edition. Neuf établissements existent déjà de par le monde, celui de West Hollywood, à Los Angeles, doit ouvrir dans le courant de l’année, et au moins une bonne quinzaine sont dans les tuyaux.
Mais celui de Times Square est le premier à hybrider aussi intimement les deux passions/ talents de Ian Schrager : l’hospitalité et le divertissement. La nuit, il est vrai, fait un parfait trait d’union… Envisagé comme une véritable oasis zen au milieu d’un environnement chaotique, le Times Square Edition joue sur les contrastes et se dévoile en mode yin-yang. A commencer par l’entrée, sur la 47e Rue, tellement discrète qu’on la rate la première fois qu’on passe devant. Une fois identifiée, la porte s’ouvre sur un long corridor ivoire. Un sas de décompression, un voyage flash intra-utérin.
Un lieu d’initiés
Au fond, une sculpture sphérique en métal vert à effet miroir, à mi-chemin entre Anish Kapoor et Jeff Koons et, à droite, deux ascenseurs. No logo. Un lieu d’initiés. Une plaque en acier brossé sobrement gravée Edition ton sur ton rajoute une touche de luxe minimal. On apprendra plus tard que c’est Fabien Baron, la star des directeurs artistiques français installée à New York depuis les années « Studio » – pour Studio 54 –, comme disent les habitués, qui a signé l’identité graphique.
Les pièces du puzzle new-yorkais commencent à s’assembler. Le lobby est au dixième étage, suivant en cela cette tendance, assez prisée dans l’hôtellerie de luxe, consistant à déconnecter l’accueil de la rue pour offrir d’emblée un sentiment d’exclusivité. A Times Square plus qu’ailleurs, c’est une riche idée que de prendre de la distance avec la frénésie des avenues environnantes. Check-in fluide, le personnel est amical et attentif, sans tomber pour autant dans cette prévenance à l’ancienne, parfois pesante, qui est généralement attachée aux palaces. Yin-yang oblige, tout est bicolore.
Un décor élégant
L’immense escalier graphique faisant face à la réception est noir, tout comme le premier petit salon avec cheminée. Au fond, le Lobby Bar – dont les cocktails créatifs créent déjà le buzz – joue au contraire la carte détox visuelle en proposant une immersion beige et ivoire du sol au plafond. Le bar est en onyx rétroéclairé, les tabourets sont signés Christian Liaigre, les fauteuils Pierre Jeanneret, et la longue table communale entourée de sièges Thonet s’inspire de celle de Donald Judd.
Un décor élégant, apaisant même, de Yabu Pushelberg, qui a imaginé l’intégralité des espaces intérieurs. Ce parti pris de teintes chic et sensuelles se retrouve également dans les 452 chambres – dont 26 suites. Sans surprise, les catégories standard ne sont pas grandes – à New York, c’est la règle –, mais l’espace est intelligemment optimisé par la fluidité chromatique, la baie vitrée courant du sol au plafond et l’ingéniosité du design, à l’image de la longue planche en chêne blanchi qui a juste la largeur d’un MacBook.
Terrasses « Blade Runner »
Que demander de plus ? Pour les clients à l’ouïe sensible – on est en plein Times Square, ne l’oublions pas – un programme télé propose des sons d’oiseaux ou de vagues en guise de bruit blanc. Le lien est aussi renommé pour son offre culinaire. Le chef étoilé John Fraser règne sur la finger food cultivée du Lobby Bar comme sur la carte du restaurant gastronomique 701West ou sur l’esprit brasserie de The Terrace, où les œufs Bénédicte, servis sur brioche, rösti ou polenta, font du petit déjeuner un authentique must.
Autre vrai luxe : chaque restaurant s’ouvre sur une terrasse remplie de végétation. Le contraste avec les panneaux lumineux géants à 360° est tellement saisissant que l’hôtel n’a pas résisté à les surnommer les « Blade Runner Terraces ». Mais c’est le Paradise Club qui ancre réellement l’hôtel dans son voisinage immédiat de divertissement historique et renforce le sex-appeal de cet Edition – du moins sur le papier et aux yeux de Ian Schrager.
De Brooklyn à Broadway
Quatre fois par semaine, autour d’un menu gagné par la surenchère fusion de John Fraser (pop-corn à la truffe, huîtres au yuzu, salade Caesar aux fruits de la passion, nachos au caviar…), le club du septième étage accueille House of Yes. La troupe de néocabaret de Brunswick (Brooklyn) y joue The Devouring: A Marriage of Heaven and Hell, un spectacle-performance librement inspiré de William Blake. Au mur, des fresques mi-Jérôme Bosch mi-Dali et, sur scène, un mélange de burlesque, de cirque, de cabaret, de hip-hop, de danse et de chant. Le tout est assez bluffant dans la maîtrise des arts du cirque, mais assez amateur pour le reste.
On comprend qu’il y a là la volonté de faire se rencontrer la jeunesse alternative de Brooklyn et le divertissement de Broadway pour créer un électrochoc sexy, mais, franchement, on trouve la mixologie du Lobby Bar nettement plus audacieuse et réussie ! En revanche, on serait ravis de tomber sur Ian Schrager assis sur un tabouret voisin au bar, pour qu’il nous explique mieux pourquoi, selon lui, le Paradise Club peut ramener les New-Yorkais au coeur de Times Square.
The Times Square EDITION
701 7th Ave, New York
Tél. +1 212-398-7017
www.marriott.fr
• Edition. Fondée en 2008 par le groupe Marriott International en partenariat avec Ian Schrager, La marque a déjà implanté 9 hôtels Edition dans le monde : à New York (Madison Avenue et Times Square), Londres, Miami, Bodrum, Barcelone, Shanghai, Abou Dhabi et Sanya (Chine). Celui de West Hollywood, à Los Angeles, ouvrira courant 2019.
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