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dessert à l'assiette dana sles restaurants les chefs s'y mettent aussi
Céleri sauce au vin rouge de Sébastien Vauxion, servi au Sarkara à Courchevel.
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The Good Culture // Gastronomie

Le dessert à l’assiette a-t-il encore raison d’être ?

Gastronomie

The Good Culture

Plaidoyer pour ces assiettes de haute volée sans quoi on tournerait autour du pot...

Envoyés à la dernière minute au restaurant, les desserts à l’assiette sont dressés et pensés comme des plats par les pâtissiers. Face aux pains perdus et autre crème caramel XXL, ces desserts sophistiqués pâtissent souvent d’un manque de gourmandise, mais c’est à la fois oublier que certaines de ces assiettes sucrées ont marqué définitivement l’histoire de la cuisine et qu’une jeune garde créative renouvelle le genre.


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Liberté pâtissière

« Le dessert à l’assiette, c’est ma vie« , confesse d’emblée Jessica Préalpato, dans le salon de thé de l’Hôtel San Régis où elle sert son tea time depuis septembre. Après la framboise à la rentrée, la cheffe s’attaque au citron en ce moment, cuit dans un jus de yuzu, accompagné d’un sorbet au céleri et nappé d’un pesto d’estragon.

Avec la meilleure pâtissière du monde 2019 selon le 50 Best, on tente une définition de l’assiette sucrée : « Ce n’est pas un gâteau sur lequel on verse un coulis. Ce que je recherche, ce sont des textures variées et des chaleurs différentes pour que chaque bouchées ne se ressemblent pas. Je cherche à ce qu’on ne s’ennuie pas à la fin du repas. Prenez un gâteau au chocolat par exemple, c’est délicieux mais c’est ennuyant au bout de la 4ème cuillère. » Sous le sorbet citron, une salade de céleri branche mélangé à du citron au sel, comme un condiment.

Citron et céleri de Jessica Préalpato, servi au Tea time de l’Hotel San Regis à Paris.
Citron et céleri de Jessica Préalpato, servi au Tea time de l’Hotel San Regis à Paris. Virginie Garnier

Elle a mis du temps à bien sentir ses assiettes. Au Plaza Athénée où elle s’occupait de la fin du repas pendant sept ans, Alain Ducasse et Romain Meder l’ont jetée dans le bain sans aucun repère. Il s’agissait d’épurer sans cesse : moins de sucre, moins de crème, des mauvaises langues diraient moins gourmands. Il n’empêche qu’elle a construit sa voie, devenant une référence du dessert dréssé, tout comme le chef Sébastien Vauxion du restaurant Le Sarkara à Courchevel (Savoie), récompensé de deux macarons Michelin en 2020 pour son restaurant consacré au sucré. Historique.

On a un espace de liberté infini contrairement aux plats salés. On peut créer des goûts sans qu’il y ait forcément besoin de recette de référence car il en existe peu dans la catégorie des desserts à l’assiette. »

En témoigne sa carte audacieuse du moment : crème glacée de champignons et noix de coco et céleri subtilement sucré présenté avec une sauce au vin rouge, comme un retour de chasse. Formé pendant 10 ans dans les cuisines de Pierre Gagnaire, Sébastien Vauxion cuisine les desserts sans ne rien s’interdire. En contrepartie, il vient à la rencontre des clients à table pour expliquer sa démarche : « Il y a un besoin de pédagogie car c’est très compliqué pour une clientèle internationale. On brise les repères et ça peut être mal compris. »

Céleri sauce au vin rouge de Sébastien Vauxion, servi au Sarkara à Courchevel.
Céleri sauce au vin rouge de Sébastien Vauxion, servi au Sarkara à Courchevel. Studio Foodimages

Le dessert, c’est palace

Liberté, créativité, instinct, on en arriverait presque à oublier qu’il existe une formation pour cet exercice de style et de saveurs. « En pâtisserie, vous avez deux grandes branches : les desserts de boutique et le dessert à l’assiette », précise Flavie Coutin, enseignante en pratique pâtisserie au CFA de Saint-Brieuc où elle forme pendant un an les apprentis à cette mention complémentaire qu’on entame à la suite d’un CAP pâtisserie. « Les bases sont nécessaires pour être revues, insiste la formatrice, car là où vous apprend comment faire un gâteau qui peut tenir deux jours pour être vendu en boutique, on vous demande ici de préparer un dessert à l’envoi dont la durée de vie est très courte : du piano à la table du client. »

Glace et crème montée à la minute en sont devenues des marqueurs, quitte à être malheureusement caricaturés par l’image d’un trio de quenelles un peu triste à la fin du repas. Cette année, sa classe n’est pas très nombreuse mais c’est une question de débouchés : « c’est un dessert contextuel, il dépend du restaurant, et ceux qui font appel à cette maîtrise de l’assiette sucrée sont essentiellement de grandes maisons pouvant débloquer un poste de chef pâtissier spécialement dédié. » Entendre ici particulièrement les palaces et restaurants gastronomiques. Un de ses anciens élèves est actuellement en poste chez la famille Marcon triplement étoilée à Saint-Bonnet-le-Froid (Haute-Loire). Exception qui confirme la règle, avec les difficultés que connaît le monde de la restauration en matière de recrutement, les jeunes préfèrent assurer leurs arrières dans l’ouverture d’une boutique de pâtisserie que de rentrer dans une brigade ou un palace où la cadence est rude.

Thomas Chisholm, chef de Chocho à Paris confirme : « On n’a pas de poste de pâtissier, je fonctionne avec mon bras droit cuisinier qui a fait la mention complémentaire dessert à l’assiette. » Le sucré a pris une place inattendue dans sa vie de chef. Alors qu’il voulait se former en cuisine dans la brigade de Sylvain Sendra (Fleur de Pavé à Paris), on l’accepte à condition qu’il file en pâtisserie. « J’ai passé mes soirées et mes week-ends à regarder des tutos de pâte à choux. » Dans son restaurant, le dessert est pensé comme le plat, le produit de saison d’abord. Il collabore avec des maraîchers dans le Roussillon qui lui fournissent leurs fruits du moment : le feijoa, goyave du Brésil qui pousse sur notre territoire, il attend bientôt des bananes du sud de la France…

S’il y a bien une chose qui détermine le dessert à l’assiette, au-delà du dressage, c’est la mise en avant du produit sur une carte, rappelle Flavie Coutin : « on travaille un fruit comme on travaille une viande de producteur et on les présente à la carte avec la même intention« . C’est le cas pour Jessica Préalpato qui s’est frottée aux fruits oubliés durant ses années Plaza : nèfle, physalis, cynorrhodon sont répertoriés dans son livre Désséréalité (édition Alain Ducasse, 2020) comme autant de morceaux de bravoure.

Tahini de Naplouse, chocolat du Honduras 70%, café et sésame noir de Thomas Chisholm, servi à ChoCho à Paris.
Tahini de Naplouse, chocolat du Honduras 70%, café et sésame noir de Thomas Chisholm, servi à ChoCho à Paris. Antoine Motard

Ces desserts à l’assiette de notre quotidien

Aux détracteurs de l’assiette qui choisiront le gâteau au chocolat à partager à la cuillère plutôt qu’un dessert autour du coing, il faut rappeler que le dessert à l’assiette est à la gastronomie ce que la crème caramel est au bistrot : il est vitrine et représente l’excellence pâtissière à la française, si bien qu’un concours de dessert a lieu chaque année.

C’est le terrain de jeu de l’avant-garde qui a souvent donné le ton, quand on pense à Massimo Bottura et son chef pâtissier Takahiko Kond à l’Osteria Francescana (Modène). En 2013, ils ont mis à la carte un dessert évocateur « Oups, j’ai fait tombé la tarte au citron », où la gâteau était présenté éclaté en morceaux dans l’assiette, ce qui a donné lieu (péniblement) à une myriade de variations de tarte au citron déstructurée dans les livres de cuisine à cette époque.

Certains desserts à l’assiette sont devenus des classiques, comme le coulant au chocolat de Michel Bras. Loin d’être un accident, il a été pensé, testé et repensé pour le service à table pendant deux ans, ne pouvant être servi qu’à la minute. Le cœur coulant est toujours l’une des meilleures ventes de l’enseigne Picard aujourd’hui.

“Oops! I’ve dropped the lemon tart!”, le dessert signature de Massimo Bottura.
“Oops! I’ve dropped the lemon tart!”, le dessert signature de Massimo Bottura.

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