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La France redécouvre (enfin) le goût de la vraie cuisine anglaise

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Oubliez les mauvais souvenirs de jelly et de sauce à la menthe mal équilibrée. Les restaurants anglais débarquent en force en France et démontent (petit à petit) les clichés de la cuisine anglaise. Décryptage d’une « new wave » de chefs et d’autrices d’outre-Manche qui tirent le meilleur des traditions culinaires britanniques et leur redonnent fière allure.

Hasard du calendrier ou véritable tendance de fond ? On a assisté, il y a quelques mois, à l’ouverture simultanée de deux restaurants anglophiles à Paris qui redorent le blason de la cuisine anglaise en France.


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Pies et fish and fhips : armes de séduction massive

Après avoir travaillé quatre ans à Londres, dont un passage chez au Maze de Gordon Ramsey, Alexandre Chapier a lancé son propre pub anglais, The Blossom Arms, dans le 17ème arrondissement de Paris. A la carte, le chef mise sur un monument british, le fish and chips, dans un format très généreux. Néanmoins, on ne se fera pas prier pour le terminer tant la panure est légère, résultant d’un mélange de farine, de bière et d’une pincée de baking soda (levure) le tout émulsionné dans un saladier maintenue froid dans de l’eau glacée — « le choc thermique permet d’obtenir très rapidement une consistance homogène. » Pour l’accompagner dans les règles de l’art, une purée de petits pois frais (mushy peas) à faire oublier l’habituel mixture de pois cassés au colorant vert qu’on trouve encore à Londres.

Alexandre Chapier pousse le vice en laissant à disposition sur le bar un flacon de vinaigre de malt d’orge pour arroser l’églefin bien frit, comme dans tout vrai pub anglais. Si le chef se bat chaque jour contre les clichés à coup de fish and chips revus et corrigés, il tire aussi les leçons de sa formation culinaire londonienne : « je suis tombé amoureux de cette ville lorsque j’y suis allé pour un concert de rock. Les gens sont plus détendus et dans la restauration, on va te laisser ta chance plus facilement. C’est ce qui m’a motivé à y rester un temps. »

Le Fish and Chips de The Blossom Arm.
Le Fish and Chips de The Blossom Arm. Thomas Jaspers

Le pub anglais sauce frenchy

En ouvrant son Public House près de l’Opéra, Calum Franklin remet les pies au goût du jour. Et en matière de pâte feuilletée, le chef britannique s’y connaît : « lorsque je travaillais au Holborn Dining Room au Rosewood London, j’ai découvert d’anciens moules à tourte dans les sous-sols de l’hôtel. J’ai fait mes recherches et des tests pour pouvoir les utiliser. C’était un savoir-faire qui était en train de tomber dans l’oubli, je ne voulais pas qu’on perde cette tradition. »

S’en suivent un restaurant dédié à ces pâtés feuilletés à Londres, The Pie Room en 2018, ainsi qu’un ouvrage sorti l’année suivante entièrement consacré aux tourtes anglaises sous toutes les formes, ce qui lui a valu le surnom de « Pie King« , donné par Jamie Oliver. Dans son nouvel établissement, le chef place la barre au même niveau sur le feuilletage que sur les garnitures : joli trio crémeux de poulet, de champignons et d’estragon ainsi qu’un bœuf mijoté à la Guinness bien enveloppé dans une pâte qui ne détrempe pas. Cerise sur le gâteau, son sticky toffee pudding pour clore le repas avec un caramel au whisky complètement décadent, comme pour rappeler que la gastronomie anglaise n’est pas en reste côté sucré : « on a longtemps oublié qu’on avait un véritable terroir, comme si on avait un peu honte de notre cuisine. D’ailleurs, c’est pour cette raison que j’ai voulu ouvrir mon restaurant à Paris, la ville la plus exigeante quand on ouvre un établissement. »

La Chicken Pie de Public House.
La Chicken Pie de Public House. Benoit Linero

« Les voyages scolaires ont fait du mal à la cuisine anglaise »

Côté millefeuille, la cuisine britannique fait aussi de la résistance. Lorsqu’elles publient leur livre « Angleterre » en mars dernier aux éditions La Martinière, intégralement consacré à la cuisine anglaise, Sarah Lachhab et Aurelie Bellacicco s’attendent à une volée de bois vert : « on étaient les premières étonnées de ce regain de curiosité pour la cuisine britannique. Il faut dire qu’elle est pétrie de clichés. L’enjeu de l’ouvrage a d’abord été de les démonter un par un. »

Fade, excentrique, de mauvais goût… on ne compte plus les cailloux envoyés dans les assiettes british … et les Anglais de nous rendre la pareille à coups de quolibets tels que « froggies », moquant notre appétit pour les batraciens. « La France et l’Angleterre ont une histoire passionnelle, mais ce qui a donné du grain à moudre au dédain français, ce sont les voyages scolaires des années 1980-90, et à juste titre. Les familles anglaises qui accueillaient les jeunes correspondants ne roulaient pas sur l’or et faisaient des économies en cuisine, quitte à servir une nourriture rassasiante mais de piètre qualité. »

Et pourtant, les deux autrices s’échinent à dresser des ponts entre le répertoire culinaire français et anglais : bangers and mash comme l’équivalent de notre saucisse purée, cottage pie qui ressemble comme deux gouttes d’eau à notre hachis parmentier. Sans oublier le Beef Wellington, une pièce de viande en croûte qui pourrait être un dérivé de filet de boeuf en croûte déjà connu en France — nombreux sont les troquets parisiens à l’avoir d’ailleurs remis à leur carte, à commencer par L’Office qui le sert rigoureusement depuis son ouverture en 2018.

On parle aussi des scotch eggs qui trouvent leur place dans les néo-bistrots de la capitale comme au Cadoret, à Cadences ou au feu Lolo bistrot.

Banger and Mash. Photographie issue du livre « Angleterre ».
Banger and Mash. Photographie issue du livre « Angleterre ». Aurélie Bellacicco

Tea Time, Sunday Roast et brunch du débarquement

« Si on n’est pas excellent, les Français nous tuent. » disait Olivier Woodhead, à la tête de l’Entente, une institution depuis 2016, pionnière du goût british à Paris où il a fallu batailler avec les idées reçues. Mais le patron le confirme, les choses s’arrangent : « l’époque où Chirac disait qu’on ne pouvait pas faire confiance aux Anglais parce qu’ils mangent mal, c’est fini », raconte-t-il aux autrices du livre « Angleterre ».

Surtout que l’art de vivre à l’anglaise s’est depuis diffusé, à l’instar de la série Downtown Abbey dont le livre de recettes officielles sorti en 2019 a été un franc succès en France comme outre-Manche. Les yeux rivés sur les scones du Tea Time ou bien sur les sandwichs cresson et œufs, on en aurait même fini par tourner la page des jelly fluorescentes…

Cette new wave de la cuisine anglaise s’accompagne aussi de la (re)découverte du sunday roast dans l’hexagone. Rustique et familial, c’est un moment de ripaille à faire pâlir tous les brunchs : un banquet de bœuf rôti servi avec des Yorkshire pudding arrosés du jus de cuisson de la viande.

Palourdes, aïoli fumé & Obion au Presbytère.
Palourdes, aïoli fumé & Obion au Presbytère. N3Agency

Au Presbytère, auberge de qualité à Heugueville-sur-Sienne (Manche), Edward Delling-Williams le propose chaque dimanche, souvent préparé avec les légumes de son propre jardin. Depuis 2022, il ne cesse de célébrer la cuisine anglaise et de faire le trait d’union avec la Normandie. Le samedi 15 juin, il a organisé un « brunch des Alliés » pour les 80 ans du D-DAY, avec pancakes à l’américaine (forcément), mais aussi un English breakfast traditionnel (eggs, beans et toast). La côte normande aura quant à elle toute sa place à table car le chef se fournit avec les fermes du coin comme celle de Blainville-sur-Mer, tout en partant en balade sur la côte pour cueillir des végétaux marins tels que l’obione ou la roquette sauvage poussant dans les dunes.

La cuisine britannique n’a pas fini de faire parler d’elle, honni soit qui mal y pense…

Angleterre — Tea, piccalilli, pasty.27€.
Angleterre — Tea, piccalilli, pasty.
27€.

The Blossom Arm
17, rue Guy Môquet 75017 Paris

Public House
21 Rue Daunou, 75002 Paris

The Presbyrère
16 Rue de la Sienne, 50200 Heugueville-sur-Sienne

« Angeleterre » aux Editions de La Martinière.

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