Beauté & bien-être
The Good Guide
Journaliste spécialisée dans la gastronomie et l’art de vivre, je me suis soumise à un jeûne de six jours encadrés par l’équipe médicale de la clinique Buchinger-Wilhelmi à Überlingen, en Allemagne, pour remettre à mon tour mes papilles à zéro — et tester ma volonté face à la privation.
Kundera ou Tolstoï ? « L’Idiot » ou « Les Versets Sataniques » ? A moins d’une heure de mon train pour Stuttgart s’étalaient encore sur mon lit les livres présélectionnés pour m’accompagner pendant onze jours dans mon jeûne thérapeutique. Dans mon sac, rien ne se rapportant de près ou de loin à la nourriture, pas de barre de céréales de secours comme soufflé par mon père rendu soucieux par mon expérience, mais une tonne de magazines en retard, une liste de films et de documentaires à regarder, le nécessaire pour me rendre la vie plus douce — non pas que je ne souffrirai d’aucun inconfort à la clinique Buchinger-Wilhelmi, mon point de chute.
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Le premier jeûne : un vrai défi
Après une année passée à chroniquer, comme depuis sept ans déjà, les ouvertures les plus excitantes de restaurants et d’hôtels à Paris et dans le monde pour The Good Life et son cousin IDEAT, j’ai décidé de répondre aux sirènes du repos en m’accordant une pause totale de onze jours sur les bords du lac de Constance — un reset de l’esprit… et surtout du corps.
Cette année, je ne me suis pas lancée, le 1er janvier, dans une liste utopique et interminable de bonnes résolutions ni dans le Dry January, « défi de Janvier » comme les pouvoirs publics souhaitent (maladroitement) le franciser. Non, cette année a commencé de façon encore plus inédite, a pris la forme d’un défi : celui de se soumettre à un jeûne thérapeutique.
Vais-je mourir d’ennui ? De faim ? Réussir à faire taire mon cerveau qui réfléchit habituellement, dès 11 heures du matin, aux menus de ma journée — le nouveau mal du siècle parait-il ? Comment résisterai-je à ces onze jours sans pouvoir de décision aucun sur ce qu’il se passera dans mon assiette ?
Jeûner à la clinique Buchinger-Wilhelmi
La méthode de jeûne thérapeutique Buchinger-Wilhelmi a fêté ses 100 ans en 2023. Otto Buchinger, arrière grand-père de l’actuel directeur de la clinique, Leonard Wilhelmi, l’a fait naître en se l’imposant à lui-même, impuissant devant une polyarthrite aigüe à laquelle la médecine n’apportait aucune réponse. Rétabli (non sans mal) après un jeûne drastique de 21 jours passé à ne boire que de l’eau, il réplique son expérience sur ceux qui deviendront ses patients, de plus en plus nombreux au fil des années, avant d’ouvrir sa première clinique avec l’appui de sa fille et de son gendre en 1973 sur la rive du lac de Constance, à Überlingen, à une heure de Zürich.
Désormais, on n’endure plus le jeûne « dur » (comme le décrit Leonard Wilhelmi) que s’est imposé son arrière grand-père. « Il a achevé son jeûne rachitique et fatigué, confesse Monsieur le directeur, mais guéri. » A la clinique Buchinger-Wilhelmi, le jeûne thérapeutique est encadré d’une équipe de médecins et d’infirmiers bi ou trilingues, d’une expertise de 70 ans et de milliers de patients traités.
Ici, on ne « guérit ». On vient chercher de l’aide. « Le jeûne est la première étape de la rémission de nos patients », explique le docteur Eva Lischka. Le jeûne thérapeutique permet, en effet, de conduire une perte de poids significative, conséquence de la réduction de la masse graisseuse qui sert de carburant à l’organisme quand on ne lui donne rien à manger. « L’excès de graisse viscérale est souvent associé à de nombreuses maladies cardiovasculaires et augmente le risque de développer des maladies graves à long terme comme le diabète de type 2, le cancer colorectal et même Alzheimer », étaye la docteure. Alors, pour prévenir ces maladies, nous leur donnons les clés à nos patients afin qu’ils fassent fructifier leurs efforts et appliquent un mode de vie plus sain à leur quotidien. »
Bien qu’une large partie de la clientèle de la clinique viennent pour perdre du poids (au moins 50 % selon le directeur de la clinique), les motivations sont diverses parmi les hôtes. Recherche d’un moment de calme après la tempête, arrêt du tabac et de toutes autres addiction… La remise à zéro semble être le fil rouge d’un séjour chez Buchinger-Wilhelmi, même celle des papilles ! Une petite bande de chefs viendrait en effet jeûner annuellement justement avant de plancher sur ses nouveaux menus de l’année, une façon pour eux de se reposer du stress accumulé aux fourneaux mais aussi de retrouver les capacités complètes de leur palais après une mise au repos totale de six jours.
« Je ne comprends pas pourquoi payer pour ne pas manger »
« Dépenser de l’argent et arrêter de manger, où est l’arnaque ? », m’a-t-on souvent interrogée quant à mon saut dans le grand bain — il faut en effet compter au minimum 2 600 euros pour le plus courts des séjours dans une petite chambre sans vue sur le lac à la clinique Buchinger-Wilhelmi.
Le jeûne ici est non seulement encadré médicalement (rendez-vous avec une infirmière, questionnaire de santé, prise de sang puis diagnostic avec un docteur sont les premiers pas à Überlingen), mais la docteure Françoise Wilhelmi de Toledo a publié, en janvier 2019 avec la collaboration du Dr Andreas Michalsen, professeur à l’hôpital universitaire de la Charité à Berlin, une étude menée sur 1 422 jeûneurs ayant complété une cure de 4 à 21 jours à la clinique Buchinger-Wilhelmi dans la revue PLOS ONE, validant scientifiquement les effets du jeûne thérapeutique.
« Il nous a fallu dix ans pour cumuler toutes les données, les rendre cohérentes et les publier dans des revues scientifiques aux facteurs d’impact élevés. […] Il y a quarante ans, quand je parlais du jeûne dans les congrès de médecine, on me répondait ‘Très bien, mais montrez-moi vos statistiques’. Aujourd’hui […] j’ai cette crédibilité scientifique », indiquait François Wilhelmi de Toledo à Usbek & Rica en 2022.
Effets à long terme sur le cholesterol, certains cancers, guérisons de diabète de type 2… Le jeune thérapeutique est un médicament plus puissant que tout autre en ce qui concerne un éventail précis de maladies. « La médecine classique soigne symptôme par symptôme au risque de provoquer de nouveaux dysfonctionnements. Le jeûne permet d’agir de façon holistique sur l’organisme et, ainsi, de lui faire retrouver son équilibre », pointe la docteure Lischka tout en se désolant du manque de temps dont souffrent ses collègues des hôpitaux et cabinets pour traiter leurs patients là où elle peut leur accorder une heure dès qu’ils en ressentent le besoin.
Des effets plus que positifs
Le jeûne n’est pas non plus vain pour ceux qui ont la chance d’être en pleine santé. « L’absence de substances nocives dans l’organisme, de stress et la régénération des cellules encouragées par la cétose (état où le corps utilise les graisses du tissu adipeux comme sources d’énergie, ndlr) permet à nos patients de voir leurs niveaux de sérotonine s’élever, d’où une sensation proche de l’euphorie au réveil des derniers jours du jeûne. » Des effets qui se propagent sur le long terme à en croire les hôtes interrogés dont la plupart étaient des repiqueurs (la clinique annonce qu’environ 75 % de sa clientèle a déjà effectué au moins deux séjours). « Je me suis sentie plus équipée pour répondre au stress de ma vie quotidienne pendant six mois », m’assure Céleste, venue de Lausanne pour la quatrième fois. Pour Lexie, avocate américaine n’ayant pas trouvé d’équivalent à Buchinger-Wilhelmi sur son continent, c’était plutôt « six semaines de calme dans sa vie », assez néanmoins pour la motiver à venir passer son réveillon 2023 en Allemagne pour la seconde fois.
Tous à l’unisson s’entendent pour affirmer que jeûner, « ce n’est pas si dur ». Les maux de tête et nausées générés par la cétose se dissipant en général assez rapidement grâce à des minéraux ou des lavements proposés par le corps médical. La sensation de faim, celle que je redoutais tant, ne se déclare pas. Si l’énergie n’est pas à son paroxysme les deux premiers jours de l’expérience, moment où le corps s’adapte à son nouveau régime, elle est vite retrouvée aux troisième ou quatrième jour et permet même de se mesurer aux marcheurs les plus compétiteurs de la randonnée quotidienne.
Et les papilles, alors ?
Le corps, lors du jeûne, se purifie de toutes ses toxines. En temps normal, elles se déposent notamment sur la langue — faites le test, un matin avant de vous brosser les dents, et observez la couleur souvent grisatre de votre langue. Au contraire, lors du jeûne, notre petit appendice rose a une surface lisse parfaitement blanche.
Est-ce là raison pour laquelle cette première pomme dans laquelle l’on croque à 14 heures le jour de la « réalimentation » est si délicieuse ? Cela n’a pas été scientifiquement prouvé. N’avoir pas mangé ni mâché depuis sept jours participe aussi largement à la fête. Malgré tout, au fil des plats proposés par la clinique jusqu’au départ, soit trois jours après la reprise de l’alimentation, les sensations reviennent, plus fortes, au même titre que le plaisir de se familiariser à nouveau avec sa fourchette. Attention, néanmoins, à ne pas succomber au meilleur burger de Paris à peine rentré chez soi…
Devant ma salade de riz complet, de retour chez moi, c’est finalement « Siddhartha » (Hermann Hesse, 1922) , troisième livre englouti au jour 4 de mon jeûne qui résonne encore en moi :
everyone can perform magic, everyone can reach his goal, if he can think, if he can wait, if he can fast ».
Clinique Buchinger-Wilhelmi
Wilhelm-Beck-Straße 27, 88662 Überlingen, Allemagne
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