Horlogerie
C'est l'histoire d'une incroyable découverte qui motiva une expérimentation scientifique. Cap sur les iles Åland où vieillissent des bouteilles de champagne Veuve Clicquot... pour la postérité.
2010 : un plongeur découvre une épave au large de Silverskär, île du territoire d’Åland, en mer Baltique entre la Finlande et la Suède, et en remonte une bouteille mystérieuse. Elle s’avèrera être estampillée du V dont Madame Clicquot signait ses bouchons en son époque, donnant aux équipes contemporaines une nouvelle idée : faire vieillir leur champagne en mer…
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La découverte d’une vie
Christian nous le promet, sa découverte n’a rien changé à sa vie. Il n’a rien touché de particulier de la part de la célèbre maison de champagne pour laquelle il plonge désormais tous les trois ou quatre ans en pleine mer Baltique pour remonter des bouteilles dont lui seul connait la précise géolocalisation. Non, Christian a continué sa vie, s’est éloigné de son activité de moniteur de plongée pour monter un hôtel avec sa femme sur l’île principale et prévoit à l’automne de partir avec le bus qu’il a retapé en Ukraine afin d’aider à rapatrier des réfugiés sur Åland.
C’était donc en 2010. Christian Ekström et un ami partent en mer en direction de la position d’un sous-marin datant de la Première Guerre Mondiale, entre la Suède et les côtes de l’archipel des îles Åland. Alors qu’ils endommagent leur bateau sur un rocher, compromettant leur excursion en eaux très profondes, ils se souviennent du tuyau donné par un pêcheur quelques années auparavant sur la position d’une épave. « On savait qu’elle gisait à une quarantaine de mètres de profondeur, pas vraiment intéressant pour nous… » Le bateau est de toute façon à l’arrêt, attendant de l’aide, alors le duo se décide à plonger moins profond. Une bien belle idée.
Ils découvrent ladite épave. Et bien plus que ça. « Nous avons repéré la cave et je me souviens m’être dit que le navire n’avait aucune raison de transporter des bouteilles vides. Celles-ci devaient donc être pleines. J’en ai remonté une à la surface. » Pour retrouver la surface, Christian Ekström suit scrupuleusement ses paliers de décompression. La bouteille en fait de même et, venus les vingt derniers mètres, il voit le bouchon commencer à s’échapper. Le plongeur enfonce son pouce dessus et le maintiendra ainsi jusqu’à la surface. « J’ai mis plusieurs heures à récupérer des sensations dans mon doigt, s’amuse-t-il aujourd’hui, il était totalement paralysé à cause de la pression et du froid. »
De retour à bord de son bateau, il laisse enfin s’échapper le liège dans un léger « pop » et déguste dans une tasse à café le liquide qu’il a senti au préalable afin de s’assurer qu’il ne contenait pas de poison — « même si le poison n’a pas d’odeur » admet-il aujourd’hui en souriant. « Le goût m’a paru très agréable, se souvient le plongeur, c’était très sucré. » Sa découverte a permis d’identifier 168 bouteilles de champagne dont 47 ont été expertisées comme étant des originales embouteillées à l’époque de Madame Clicquot herself entre 1839 et 1841 — des analyses scientifiques ont été conduites pour en arriver à cette conclusion.
Cellar in the Sea, une expérimentation par Veuve Clicquot
Christian Ekström accompagne désormais Veuve Clicquot quand la délégation de la marque débarque à Silverskär pour veiller sur ses nouvelles bouteilles de champagne plantées en mer. Car la marque a eu la bonne idée de répliquer l’expérience fortuite de Madame Clicquot afin d’analyser les effets des conditions extrêmes sur ses vins. Une expérimentation menée par Gaëlle Goossens, wine maker et œnologue de la maison qui confesse sans détour l’aspect « geek » de la manipulation.
En 2014, 350 bouteilles ont ainsi été immergées à quelques kilomètres de l’emplacement originel de l’épave. Christian, qui faisant partie de l’expédition, est l’une des trois seules personnes à en connaître l’exacte position. Trois cuvées sont soumises à l’expérience (une cuvée Brut Carte Jaune embouteillée en 2012, un Vintage Rosé 2004 et un demi-sec), dans deux conditionnements (75 cl et un magnum), l’idée étant de monitorer le vieillissement d’un jus de prestige, d’un plus classique mais pas moins qualitatif et d’un champagne plus sucré — le demi-sec, 45 g de sucre par litre, afin de répliquer peu ou proue les conditions de l’expérience involontaire de Madame Clicquot. Le test en magnum permet quant à lui d’analyser les différences de vieillissement entre formats de bouteilles, les plus grands étant connus pour favoriser une maturation plus lente et subtil. Les doubles de ces bouteilles sont précieusement gardés dans les crayères de la marque à Reims, avec valeur de comparatif.
Après une première levée en 2017 où avaient été constatées de nombreuses différences entre les jus élevés sous terre et sous mer, la dégustation de 2023 révèlent un « plateau ». « Les vins ont tendances à vieillir rapidement dans les premières années puis atteignent un stade de maturité. C’est un peu ce qu’on ressent avec cette nouvelle dégustation. » La wine maker confesse même s’être laissée bernée par la dégustation à l’aveugle du champagne rosé, persuadée d’avoir reconnu le vin immergé dans la bouteille qui avait en fait été élevée en crayère.
Champagne élevé en mer : pour quel résultat ?
Si les jus immergés n’ont franchement pas le goût de leurs cousins terrestres, la température constante (4°C) et l’absence totale de lumière à 40 mètres leur a permis de prendre de la bouteille (facile…) sans virer du mauvais côté de la force.
« Cette expérience œnologique de vieillissement dans des conditions extrêmes nous permet d’approfondir toujours plus la connaissance de nos vins et leur capacité à traverser le temps » — Didier Mariotti, Chef de Caves de Veuve Clicquot
Pour la qualité Carte Jaune, le vin issu du vieillissement en Crayères semble avoir rejoint son plateau de vieillissement avec des notes d’élevage bien présentes. La tendance du magnum suit la même courbe, son format magnum semblant préserver encore plus la fraicheur sur les vins de la Baltique. Les différences sur les rosés millésimés sont moins significatives. Les experts Veuve Clicquot supposent que les vins rouges auraient un effet protecteur sur l’effet du vieillissement.
Les vins dosés quant à eux présentent des évolutions plus significatives mais les vins issus du vieillissement sous la Baltique permettent de garder un équilibre sur la fraicheur avec plus d’énergie et de tension dans cette modalité.
Verra-t-on bientôt des bouteilles de champagne Veuve Clicquot vieillies en mer dans les rayons des meilleurs cavistes ? « Ce n’est pas l’objectif de cette expérience », précise Gaëlle Goossens qui poursuivra les dégustations tous les trois à cinq ans à Silverskär pour suivre l’évolution des jus.
Des vins élevés en mer (Vins d’O, Melle Sophie) sont en revanche disponibles à la vente, la question de la valeur-ajoutée d’un tel vieillissement restant en suspens.
F.L.G.
Cellar in the Sea par Veuve Clicquot
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