Voyage
A quelques encablures de Nice, sur le cap Ferrat, se trouve un véritable paradis, un hôtel majestueux situé dans un parc aux essences méditerranéennes et odorantes de 7 hectares !
Un paradis où tout est blanc, calme, apaisé, où tout est fait pour que vous vous sentiez bien… A commencer par la cuisine, celle du chef Yoric Tièche (1 étoile Michelin) que The Good Life a rencontré pour vous. Eloge de la simplicité… Une simplicité extrêmement travaillée quand même !
The Good Life : Cela fait trois ans que vous êtes arrivé à Saint-Jean-Cap-Ferrat ? Trois ans, c’est bien ! Est-ce qu’on peut faire un bilan ?
Yoric Tièche : Oui, trois ans depuis le mois de mai. On a déjà fait des tas de choses, mené beaucoup de projets de front : redéfinir l’identité et le conditionnement des trois restaurants, créer le concept « Izakaia » au bar l’année dernière… Il y a toujours du mouvement. Cette année, par exemple, on a décidé de faire des sushis le dimanche midi au Club Dauphin, et on fait barbecue le dimanche soir sur les terrasses pour animer un peu la vie de l’hôtel. Ces trois années sont passées très rapidement. Chaque jour est un peu un recommencement, même d’une année sur l’autre, avec des envies différentes et des positions qui évoluent franchement.
The Good Life : Quelles sont vos envies du moment ?
Y.T. : Cette année, c’est l’idée d’amener ce concept de barbecue sur les terrasses tous les dimanches soir. C’était l’une de mes envies et elle est très bien reçue par la clientèle. C’est un peu un repère, une belle façon de clôturer la semaine par le barbecue du dimanche, comme on pourrait le faire en famille à la maison.
TGL : Une bonne idée, peu courante d’ailleurs dans les palaces !
Y.T. : On n’a rien inventé, mais quand un barbecue est bien fait, c’est quelque chose de convivial et d’agréable, et c’est super bien perçu.
TGL : Quelles sont les grandes demandes de la clientèle en ce moment ?
Y.T. : On est en plein mois d’août, avec les grosses vagues de chaleur. On propose de nombreux plats crus, du crudo, du végétal. Au Cap, on cuisine beaucoup les fruits, on ne fait pas de sucré/salé, mais il y a une touche fruitée dans certains plats, de l’acidité, on est sensible à cela. Au Club Dauphin, l’offre sushis du dimanche midi au bord de la piscine est très populaire. On fait également beaucoup de salades et de poissons grillés. Notre carte est construite en fonction de notre environnement, de l’évolution du climat et des saisons.
TGL : Vous êtes originaire de la région ?
Y.T. : Je suis d’Aix-en-Provence, pas très loin. J’ai commencé à cuisiner chez Jean-Marc Banzo, au restaurant Le Clos de la Violette. Il possédait également la Villa Madie, à Cassis.
TGL : Quel est votre parcours ?
Y.T. : J’ai fait très peu de maisons. C’est un choix professionnel. Après Le Clos de la Violette, il y eut Le Negresco, à Nice, avec Alain Llorca, le Taillevent, à Paris, avec Alain Soliveres, puis Le Meurice pendant huit ans avec Yannick Alléno – huit ans qui m’ont vraiment marqué –, suivi des Belles Rives, à Juan-les-Pins. Au total, cela fait cinq maisons… c’est très peu !
TGL : Au bout de trois ans, on arrive à faire tout ce qu’on avait envie ou bien reste-t-il des choses à faire ?
Y.T. : Il reste encore énormément à faire. Je suis bien au Grand-Hôtel, mais je n’y serai jamais chez moi ! En fait, depuis que j’ai commencé à travailler, je me considère toujours en période d’essai. C’est une façon de voir les choses et de se dire que jamais rien n’est acquis, nous ne sommes jamais installés, tout peut arriver ! Il faut être prêt à tout. Inutile de s’installer dans un confort, une routine. Il faut vivre chaque jour comme si c’était le premier et avoir cet œil assez critique sur son travail, être dans l’analyse, dans la réflexion en permanence, se dire aussi que, parfois, on fait bien les choses. Les critiques ne sont pas toujours négatives : je dois essayer d’avoir une photo globale de la maison et juste me dire « Là, ok, il y a assez de consistances » ou, au contraire, identifier les points où on n’est pas encore allé et où l’on devrait.
TGL : Où, par exemple ?
Y.T. : Au Cap, on peut progresser, parce qu’on veut d’autres récompenses [le restaurant Le Cap a une étoile au guide Michelin, NDLR]. Sur l’offre du Club Dauphin, on peut encore affiner le trait, même si le positionnement est déjà très bon. La Véranda a un concept qui marche bien, avec une cuisine composée de grosses pièces à partager qui est très efficace et qui convient parfaitement au débit, au rythme du service et aux attentes des clients. On veut toujours un peu travailler, affiner, creuser. Malheureusement, cette année, nous n’avons pas d’activités « banquet », puisqu’il n’y a pas de mariages (à cause du Covid-19). Pour cette année, le bar marche bien, mais il faut encore le renouveler, amener toujours un peu d’énergie et de nouveautés, parce que nous avons des personnes qui viennent ici plusieurs fois dans l’été, il faut être capable de les surprendre. C’est une façon de travailler : naviguer dans les 3-4 univers et ne jamais se reposer sur ses lauriers.
TGL : Au Cap, que faut-il pour accéder à la deuxième étoile, encore plus de travail ?
Y.T. : Oui, il faut être sérieux, régulier, juste dans les associations, juste dans les cuissons et les assaisonnements, mais, normalement, ce sont des choses qui sont maîtrisées. Il faut un lien entre la cuisine, la pâtisserie, le service et la sommellerie, montrer qu’on a un groupe homogène, fluide, qui travaille bien ensemble et qui délivre l’expérience à chaque client… Bon, après, il faut un peu de patience !
TGL : On ne peut pas ne pas parler de ce qu’il s’est passé avec la crise sanitaire. Je pense que vous être solidaires de tous vos confrères, certains sont dans la panade la plus totale car très endettés, ils ont des établissements et des loyers à payer. C’est une période sacrément compliquée…
Y.T. : La période est très compliquée pour tout le monde. Aujourd’hui, sur la Côte d’Azur, on a un effet positif qui nous tire vers le haut. A Paris, c’est plus dur, parce que les activités sont à l’arrêt. De façon générale, la période estivale n’est pas propice à l’hôtellerie et à la restauration, quelle que soit l’année. Cette année, c’est encore plus compliqué pour nos amis restaurateurs parisiens. Il faut être positifs, prudents, mais optimistes. Avant l’ouverture courant avril, on ne savait pas si on allait rouvrir. On s’est posés, on a réfléchi, on a analysé la situation et on s’est dit : « Qu’est-ce qu’on va faire ? Qu’est-ce qu’on va proposer ? » Et puis, on s’est lancés. Il y a du monde, on est très heureux, cela va même au-delà de nos espérances en termes de chiffre d’affaires et de revenus.
TGL : Où avez-vous été confiné ?
Y.T. : A Antibes, chez moi, en famille avec mon épouse et mes enfants. Cela a été une parenthèse de vie paisible, chose très rare pour moi et pour ma famille sur une durée si longue, ils n’ont pas l’habitude de me voir et de passer autant de temps avec moi à la maison tous les jours. La cuisine a pris pas mal de temps. Les journées étaient bien rythmées, il y avait les devoirs pour les enfants, le piano, le yoga pour moi. Il y avait aussi du temps libre, nous faisions des balades et, pour la préparation des repas, cela a été quelque chose de formidable à partager en famille.
TGL : Votre épouse cuisine-t-elle ?
Y.T. : Oui, très, très bien même !
TGL : Quel est son plat numéro un ?
Y.T. : Elle est très cuisine légumière, très branchée fruits et légumes. Nous faisions notre pain quasiment tous les jours. Ma fille, qui a 8 ans, sait rafraîchir le levain, pétrir et faire son pain. Mon fils, qui a 1 an de plus, est autonome… sur une cuisson de poisson pané par exemple, c’est déjà super bien ! A leur âge, les enfants ont d’autres centres d’intérêt en général. A la maison, hors confinement, ils ne passent pas deux heures dans la cuisine.
TGL : J’aimerais que vous me parliez de votre chef pâtissier, de votre sommelier et de votre fromager…
Y.T. : Le chef pâtisser, c’est Florent Margaillan. Cela fait deux ans qu’il est avec nous. C’est une collaboration qui est facile, agréable, fluide, directe et spontanée. Florent fait une pâtisserie qui est très juste, vraiment dans l’air du temps, précise, très technique, pas complexe dans les goûts, dans les associations. Le résultat est très lisible, très graphique dans les dressages. Notre relation est très simple, ainsi que la vision de l’expérience parce qu’il a passé trois ans avec Yannick Alléno (au Royal Monceau). Moi, j’en ai passé huit avec lui. Il y a cette influence, ce point commun qui nous permet d’être exactement sur la même longueur d’ondes ! Il n’y a pas de cassure, de rupture entre nos deux cuisines, c’est dans la même veine, dans la même continuité, de l’amuse-bouche au dessert !
Concernant notre fournisseur de fromages, nous travaillons avec la famille Monteiro, qui se trouve à Peymeinade, à côté de Grasse, et qui nous fait une sélection incroyable de fromages de chèvre. C’est un travail familial dans une toute petite propriété. On les reçoit tous les jeudis avec un grand bonheur : ils arrivent avec une sélection de fromages qui vont du très, très sec au très, très frais. Il y a du cendré, du rond, de la pyramide, cela va du tout petit chèvre au gros modèle. C’est un grand plaisir de déballer les feuilles de papier et de voir ce qu’ils nous ont mis à l’intérieur.
TGL : Et le sommelier ?
Y.T. : Le sommelier, c’est Joël Rolland et Damien. Deux personnes qui connaissent très, très bien la maison, qui connaissent les exigences et les attentes de nos clients, ce qui est capital. Ils ont une cave en face qui permet de satisfaire les plus exigeants. Et, surtout, ils ont cette complémentarité et cette polyvalence infaillible sur les 2, voire sur les 3 restaurants. Ils connaissent bien nos goûts et nos plats en cuisine qui sont goûtés tous les jours. Notre cuisine est très évolutive post-Covid. On réimprime les cartes tous les jours. On fait ce travail de création tout au long de la semaine en fonction de nos arrivages.
Pour revenir un peu en arrière, on ne savait pas comment cela allait se passer cet été, on ne savait même pas si on allait rouvrir. J’ai réfléchi à l’expérience qu’on allait pouvoir proposer, sachant qu’il y a la partie client et la partie interne « back of the house », à savoir comment gérer les équipes, quel allait être le taux de remplissage du Cap, comment allait-on gérer la matière de nos arrivages en fonction du taux d’activité. Et ce qui est sorti de toute cette réflexion, c’est cette idée de cuisine d’instantanéité, au jour le jour. C’est ce qu’on faisait avant et c’est ce qui se fait encore dans certaines maisons. Sur une structure palace comme celle-là, on a l’habitude d’avoir des choses plus figées, strictes, parce qu’il y a une certaine lourdeur dans les process de décisions prises, d’imprimés, d’affichage, de site web, etc. On se fourvoie souvent dans des cartes figées. Cette année, cela a été un grand reset et un retour au point zéro et donc, tous les jours, on reprend la carte, on se dit « ça c’était top hier, on a eu de bons retours des clients de l’équipe de salle, la marchandise est superbe »… C’est une évolution au quotidien.
TGL : Le taux de remplissage est bon ?
Y.T. : Là il est très bon, même excellent.
TGL : Juste une phrase pour qualifier votre cuisine ?
Y.T. : Difficile. J’ai une phrase qui ne définit pas forcément ma cuisine, mais j’aime dire que les cuisiniers sont un peu les artisans de la paix. Le monde il est ce qu’il est, il n’y a pas toujours de grand ciel bleu partout sur la planète, mais le moment du repas, du partage autour de la table, c’est un moment qui doit favoriser l’apaisement. Un moment de paix, de tranquillité et de slow living. Ma cuisine a quelque chose de technique, elle est très ancrée dans son lieu, dans son jus. Ici, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, dans ce grand hôtel, elle est différente de celle que je faisais à Paris, elle a beaucoup évolué. C’est une cuisine de la Méditerranée au sens large, un concentré de Méditerranée. Assez légère, sans être trop juste. Assez précise, pas farfelue non plus malgré le lieu. Je suis quelqu’un de simple, je pense que cela se ressent dans ma cuisine. Elle va droit au but, sans fioritures. Cela peut paraître simple parfois, mais je préfère cela à une assiette trop chargée, trop compliquée, trop alambiquée. Cela ne veut pas dire que, dans l’assiette, il n’y a pas de travail. Cela peut paraître simple, mais en fait, il y a tout un travail incroyable derrière.
TGL : Votre principal trait de caractère ?
Y.T. : Simplicité, intégrité, honnêteté.
TGL : Votre principal défaut ?
Y.T. : L’exigence.
TGL : Mais ce n’est pas un défaut !
Y.T. : Ça peut l’être ! Si c’est bien, je leur dis, mais même quand c’est bien, je leur dis aussi qu’on pourrait faire encore mieux.
TGL : Un péché mignon ?
Y.T. : Le sucré : 3 pêches bien mûres par jour.
TGL : Le chef qui vous a le plus inspiré ?
Y.T. : Yannick Alléno, j’ai passé huit ans avec lui… ça marque un homme.
TGL : Vous le revoyez de temps en temps ?
Y.T. : Oui, on s’est vu cet automne et on s’est appelé pendant le confinement. Il est venu en octobre dernier à l’occasion de la remise des prix des Grandes Tables du monde.
TGL : Un ingrédient ?
Y.T. : Un seul ingrédient, c’est dur ! Le gingembre, le parmesan, les filets d’anchois, un rouget bien frais avec plein d’écailles, les fleurs de courgettes en ce moment. Les poissons bleus, les sardines, les anchois, c’est un régal ! Et les fruits : les pêches jaunes, les pêches plates, les abricots, les amandes fraîches.
TGL : Un endroit où manger des pâtes incroyables ?
Y.T. : Ah, ah, ah, au Club Dauphin, elles sont trop bonnes nos pâtes !
TGL : D’autant que vous avez pas mal de clients italiens, non ?
Y.T. : Oui, ils viennent à Saint-Jean-Cap-Ferrat depuis des générations (souvent ils habitent Monaco).
TGL : Le plus beau marché du sud ?
Y.T. : Le marché provençal, à Antibes, et le marché Forville, à Cannes : de très, très beaux marchés.
TGL : Un plat à partager pour faire craquer vos amis ?
Y.T. : Soit une épaule d’agneau cuite au four avec beaucoup de garnitures aromatiques, ou alors un risotto safrané cuisiné au dernier moment et lancé en direct. Le genre de plats servis en cocotte ou en marmite qu’on pose sur la table…
TGL : Et enfin, un restaurant à l’étranger où vous avez mangé divinement ?
Y.T. : L’année dernière, on a été à l’île Maurice, au Shangri-La, où toute la restauration était vraiment d’un très bon niveau.
TGL : Yorik un grand merci, on a hâte de goûter tout cela et un grand bravo. Vous faites preuve d’une très belle modestie, c’est bien.
Y.T. : Je suis comme je suis, un cuisinier et on ne peut pas s’inventer une autre vie, merci à vous !
Grand-Hôtel du Cap-Ferrat (a Four Seasons hotel)
71, boulevard du Général-de-Gaulle, Saint-Jean-Cap-Ferrat
Directeur général : François-Régis Simon
www.fourseasons.com/fr/capferrat
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