The Good Culture
Vins et spiritueux
L’eau-de-vie de pomme est sortie depuis quelques années de sa léthargie digestive pour devenir tendance. Elle doit ce nouveau statut à une curiosité toujours plus marquée des amateurs pour les spiritueux locaux ainsi qu’à la créativité débridée de certains producteurs.
Les slogans servent à cela : tout dire – ou presque – en trois mots. « Le calva a un nom », interpelle la campagne publicitaire. Oui, et il se nomme calvados. Derrière l’évidence, une tendance de fond: fini le café-calva et le digestif de fin de repas, l’eau-de-vie made in Normandy joue les short drinks bien frappés ou les long drinks rafraîchissants.
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Le calvados : un spiritueux intemporel
Mieux, à l’instar de quelques grands spiritueux à la réputation installée, sont apparus des single casks, éditions limitées issues d’une seule barrique, et des affinés qu’on fait passer dans des fûts de whisky ou de xérès. Ces calvados d’un nouvel âge, Guillaume Drouin n’a pas attendu ces dernières années pour les porter haut.
Il est le représentant de la troisième génération d’une famille qui n’a cessé de bousculer les codes depuis son domaine normand de Pont-l’Évêque où pas un colombage ne manque. La ferme du XVIIe siècle aurait pu enfermer les Drouin dans la tradition cidricole.
Ce que raconte Guillaume, c’est sa visite du plus beau bar à calvados situé, selon lui, à Kyoto, ou l’ouverture du spot Calvados Garden à Séoul: « Les consommateurs de ces pays-là nous voient comme un spiritueux de luxe très français. Et en même temps, nous gardons notre identité régionale. Le renouveau du calvados a commencé il y a dix ans et notre dynamique est forte en France aussi depuis cinq ans. »
Boire moins, mais mieux, cette tendance massive de la consommation d’alcool dans le monde bénéficie structurellement à des spiritueux qui travaillent leur montée en gamme. Whisky, rhum ou gin l’ont compris. Pourquoi pas le calvados, qui surfe également sur le regain d’estime, notamment chez les jeunes, pour les eaux-de-vie et liqueurs françaises ?
« Nous avons développé la relation avec le monde du bar en organisant des concours de cocktails, à partir de recettes pas trop techniques. Tout cela a surpris les habitués, changé l’image et rajeuni la clientèle », poursuit Guillaume Drouin, heureux de constater qu’une bonne part de trentenaires se retrouve parmi les visiteurs de la distillerie de Pont-l’Évêque.
Lieu de découverte et de pédagogie, riche de panneaux explicatifs, le domaine offre un parcours de visite qui permet d’appréhender les conditions de production d’un spiritueux de grande qualité.
La gamme est large, allant d’une eau-de-vie de cidre blanche classique à la collection Expérimental pour des finish en collaboration avec d’autres maisons réputées, comme le cognac Hine ou le rhum Caroni. Quant aux hors d’âge ou aux millésimés, ces grands calvados séduisent les mêmes amateurs de très vieux whiskys.
Autres temps, autres lieux
Dans sa profusion créative, Guillaume Drouin propose également du pommeau – un assemblage de calvados et de jus de pomme à déguster frais en apéritif –, du poiré – un cidre de poire faiblement alcoolisé – et même du gin, avec plusieurs références à base de pomme. Mais il n’est pas le seul à bouger les lignes.
À Saint-Cyr-du-Ronceray, un village du bocage au sud de Lisieux, la distillerie familiale Roger Groult a été pionnière, dès les années 80, dans le développement de l’exportation, qui représente la moitié des ventes de l’ensemble de la filière aujourd’hui.
Labellisée Entreprise du patrimoine vivant (EPV), la distillerie possède des chais remarquables qui méritent à eux seuls la visite. Le domaine Groult a été parmi les premiers à proposer des affinages; à la vente actuellement: des cask finish en fûts de whisky breton de la maison Armorik ou de jurançon moelleux du domaine Cauhapé, voire d’hydromel sourcé au Québec.
Sa réputation tient encore à sa solera, une technique d’assemblage dans laquelle on ne vide jamais totalement le fût pour préserver une souche de très vieux calvados: la cuvée Réserve Ancestrale contient ainsi les eaux-de-vie les plus anciennes.
« Nous sommes parmi les derniers à distiller encore au feu de bois, jour et nuit, alors que l’usage du gaz est devenu la norme », précise Estelle Groult, membre de la cinquième génération, en faisant visiter des installations joliment artisanales.
Autre décor au château du Breuil, une propriété historique qui a ouvert son vaste domaine à une riche expérience de spiritourisme, visites et dégustations à l’appui.
Le rachat, en 2020, par Frédéric Dussart, converti au secteur des alcools après une première carrière dans la tech, a poussé la gamme classique vers le whisky Le Breuil, le rhum Explorer et le gin C’est Nous.
Un univers des spiritueux dans lequel s’inscrit le calvados aujourd’hui. Toute la filière a embrassé ce nouveau destin, sans rejeter pour autant l’héritage du « café arrosé », comme on disait en Normandie. C’est bien le sens de sa dernière campagne d’affichage cet hiver: le café-calva n’est pas complètement mort.
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