The Good City
Urbanisme
Réputée pour ces nombreux gratte-ciels, la ville de Benidorm a opéré une mue après-guerre, passant de ville de pécheurs à destination balnéaire d’un nouveau genre, celui du tourisme de masse. Héritière de cette histoire complexe, la ville tente avec habilité de se renouveler.
Rien ne laisse présager qu’il s’agit d’un lieu d’histoire. A première vue, Benidorm n’a rien d’autre à offrir que cette forêt de gratte-ciels légèrement tape-à-l’œil qui évoquent les excès d’un tourisme de masse bon marché dont l’Espagne s’est fait l’Eldorado. Et… c’est en un sens le cas. Mais c’est précisément pour cette histoire récente que la ville, pourtant millénaire, nous intéresse : elle retrace à elle seule toute l’histoire d’un secteur clé de notre civilisation contemporaine, celui du balnéaire.
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3 000 heures d’ensoleillement par an
C’est au XIXe siècle que germent les prémices de l’extraordinaire odyssée. Celle qui n’est encore qu’une bourgade de la Costa Blanca, à 30 kilomètres environ d’Alicante, est alors tournée vers la pèche et la marine marchande. Avec l’apparition du chemin de fer, les riches familles de Madrid ou de Valence commencent à se rendre à Benidorm pour des bains de mer.
Car cette petite ville dispose de quelques atouts : une jolie baie exposée plein sud entourée de montagnes la protégeant des vents, des plages de sable fin qui tranchent avec l’aridité des terres caillouteuse, des pluies peu abondantes et 3 000 heures d’ensoleillement par an permettant la baignade pratiquement toute l’année.
L’économie de la ville totalement transformée
Sautons alors quelques décennies. L’Espagne franquiste d’après-guerre est un pays pauvre et politiquement isolé. L’essor du tourisme se présente comme une opportunité inespérée pour redorer l’image du pays et donner satisfaction aux classes émergentes après les dures années de guerre civile. Cette entreprise est d’une importance cruciale. Benidorm fait face à un boom constructif anarchique, un débat a lieu sur l’avenir de la planification, débouchant en 1956 sur le Plan Général d’Urbanisme, législation fondée sur une planification du tracé de la ville tel qu’il existe aujourd’hui. « Elle est la première ville d’Espagne à avoir conçu un plan urbanistique s’orientant à vers une destination touristique », relève Laura Garcia, responsable au sein de l’office de tourisme de la ville.
L’initiateur de ce projet n’est autre que le maire Pedro Zaragoza, un visionnaire selon l’avis de nombreux historiens, qui a su cerner les opportunités de développement de sa ville. « Il était tellement populaire qu’il en est resté trente ans à sa tête », reprend Garcia. Mais le plan décrété, il n’y a pour l’heure pas d’argent. Zaragoza demande alors à la population locale de céder ses terrains afin d’y construire des hôtels. Ils y prennent rapidement des responsabilités, de pécheurs on se reconvertit sans peine en manager. L’économie de la vie bascule ainsi totalement, se détournant des activités traditionnelles pour se consacrer presque uniquement à la nouvelle manne du tourisme.
Le tourisme de masse
Benidorm prospère. L’émergence des gratte-ciels s’opère quasi-immédiatement après l’approbation du plan de 56. « La population locale, des pécheurs et des marins, avait parcouru le monde, s’était rendu en Floride ou en Australie, vu des villes d’architecture moderne de grande hauteur, éclaire Laura Garcia. Les habitants ont soutenu la vision de Zaragoza », lui qui voulait concurrencer la Côte d’Azur. Cette folie constructive atteint son pic au cours des années 1972-1973. La ville est devenue verticale, avec nombre d’usines hôtelières qui semblent se chevaucher tel un mur face à la Méditerranée, une illusion qui disparaît néanmoins dès que le voyageur pénètre dans la cité, car les gratte-ciels y sont espacés avec une alternance de jardins qui laissent le vent circuler.
Avec l’arrivée, dans ces années 1970, des tour-opérateurs britanniques par avions charters, Benidorm est associée à une notion nouvelle, celle du tourisme de masse bon marché. Sa sociologie se transforme, les classes aisées qui avaient ici leurs habitudes se détournent, regardant avec dédain les nouveaux arrivants, leurs discothèques, et les errements nocturnes de fêtards alcoolisés.
Grandeur et décadence du gratte-ciel
Dans ces années, l’immeuble de grande hauteur symbolise encore la modernité du siècle. Les classes moyennes se prennent de fascination pour ces logements neufs qui dominent la Méditerranée. Le régime veut par ce biais rompre avec l’image dépréciée d’une Espagne qui peine à sortir du sous-développement. Benidorm compte aujourd’hui 370 tours de plus de 12 étages faisant de la ville la seconde unité urbaine avec le plus grand nombre de gratte-ciels au mètre carré, juste derrière Manhattan à New York. Mais cet objet architectural, comme cache misère, ne va pas tarder à tomber en discrédit.
Alors que faire de cet héritage ? Cet urbanisme est d’une esthétique que personne ne laisse indifférent. Benidom pourrait presque passer pour Monaco ou Dubaï. Il y a un peu de Las Vegas aussi. La nuit, elle révèle un champ de lumières attrayant le long de sa promenade de front de mer, promesse d’attractions estivales certes modestes mais réjouissantes. Cette ville de 100 000 habitants reste aujourd’hui encore tournée vers le tourisme, elle s’est hissée à la cinquième place des destinations espagnoles, cumulant plus de 16 millions de nuitées par an. Et elle se diversifie pour rester compétitive, devenant le théâtre de séries télévisées ou de campagnes Instagram d’influenceurs.
Benidorm se tourne vers l’avenir
Elle a flairé un potentiel nouveau. Puisque la ville est en fait devenue légitime pour parler d’architecture moderne, elle consacre de nombreuses expositions, notamment au courant brutaliste pour un public conquis. Elle peut s’enorgueillir d’avoir à son palmarès plusieurs distinction. Le siège de la mairie, œuvre des architectes José Luís Camarasa et Rafael Landete, a par exemple remporté le prix Construmat décerné par l’Institut de Technologie de la Construction de Catalogne. La promenade de Poniente conçue par Carlos Ferrater et Xavier Martí, cumule quant à elle pas moins de neuf prix, dont celui du Meilleur Nouveau Design Global décerné par le Musée d’Architecture et de Design de Chicago.
Mais c’est sur le plan de la durabilité qu’elle entend désormais s’imposer. Faire des atouts de ses faiblesses d’autrefois. L’urbanisme de hauteur a le mérite de limiter l’étalement urbain. Les distances sont raccourcies en raison de cette forte concentration, « plus de 70% de la mobilité de la ville est piétonne », confirme Laura Garcia qui souligne également les presque 90 km de voies cyclables. 2 000 arbres supplémentaires ont par ailleurs été mis en terre cette dernière décennie pour limiter la chaleur. Première commune de plus de 50 000 habitants à se doter d’un Plan Changement Climatique en Espagne, Benidorm vante également son modèle de gestion de l’eau, parmi les plus avancés et efficaces qui existent. « Nous avons diminué de 18 % la consommation grâce à une gestion optimisée », reprend-on à l’office de tourisme. L’image change, ou du moins veut-on le croire. La station est la première ville d’Espagne à avoir décroché le titre de « Destination de tourisme intelligente » en 2018. C’est peut-être l’innovation finalement qui constitue son ADN. Benidorm peut regarder son avenir avec confiance.
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