Horlogerie
Oubliez les quelques olives et cacahuètes disposées dans un bol ou les mauvaises planches de charcuteries et de fromages industriels. L’apéro peut être un vrai rendez-vous gastronomique, qui autorise une convivialité sans prise de tête.
Pour rassembler chez soi des amis sans passer par la case cuisine, pour organiser une soirée festive sans recourir à l’indispensable réservation au restaurant, pour s’affranchir du déroulé classique du repas, pour choisir ce que l’on aime et picorer de bons produits. L’apéro est un marché en pleine expansion autour duquel naissent des concepts culinaires innovants. Découverte.
Tout a commencé comme une blague entre potes. Un groupe Facebook (nous sommes en 2006, et c’est le réseau social du moment) qu’Arnaud Rafélis de Broves, Paul-Antoine Solier, Quentin Chapuis créent pour partager en photos leur amour de l’apéro. Sans réaliser qu’ils ont ouvert un groupe public, ils se retrouvent, en moins d’un an avec 200 000 abonnés à ce qu’ils avaient nommé la Fédération française de l’apéritif.
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« On trouvait qu’avec ce nom de Fédération on traitait l’apéro comme un sport de haut niveau. En tout cas, même avec un sourire en coin, comme un truc à prendre au sérieux », se remémorent Quentin et Arnaud (manquait le troisième larron, Paul–Antoine), rencontrés dans un troquet du 17e arrondissement de Paris, tout près de l’une des succursales de leur fédération. « C’était une blague, les gens l’ont pris comme telle, mais utilisaient quand même le média. »
Le Livre de l’apéro
« Nous avons toujours voulu faire un livre autour de l’apéro, et c’est grâce à l’illustrateur Mathieu Persan, qui avait créé l’étiquette de notre pastis et qui a fait la couverture du guide Hachette des vins, que nous avons rencontré les gens de chez Hachette. » C’est ainsi qu’est né Le Dictionnaire de l’apéro, un livre qui est bien plus qu’une vitrine pour la FFA. Il s’agit d’un ouvrage de référence, dense et très bien documenté, pour lequel Arnaud, Quentin et Paul ont interviewé des dizaines d’experts et d’artisans, parmi lesquels, entre autres, Alexandre Ricard (le petit-fils de Paul Ricard), le Libanais Kamal Mouzawak sur le sujet du mezzé, l’Italienne Alessandra Pierini autour de l’aperitivo, le sociologue Christophe Lamoureux sur le rôle social du bistrot… Un ouvrage à picorer, aussi divertissant qu’instructif, avec plus de 200 définitions, d’« absinthe » à « zakouski ».
> Le Dictionnaire de l’apéro, Paul‑Antoine Solier, Quentin Chapuis, Arnaud Rafélis de Broves, Hachette Pratique, 331 p., 35 €.
Le temps passe. Facebook supprime les groupes pour créer le système de page Fan. La FFA s’arrête là, et chacun part de son côté, dans des voies professionnelles qui les conduisent pour l’un à Madrid et au Québec, pour l’autre à la télé, et pour le troisième au sein de la partie numérique du groupe Accor. Quelques années plus tard, les trois compères se retrouvent à Paris. « On a tous parlé de la FFA en se disant qu’il y avait un truc à faire. Une voie concrète, utile, pas simplement une page Facebook et pas un projet d’e-commerce. Quelque chose de vraiment tangible. »
L’épicentre de la scène culinaire
Naît alors cette idée de boutique consacrée à l’apéro, un lieu rassemblant tous les incontournables de l’apéro : vins (bio), bières, fromages, charcuteries, conserves… En ne choisissant que des produits artisanaux français.
« En août 2015, on rouvre une page Facebook avec le même logo un peu modernisé. Puis on se lance dans un financement participatif qui a bien fonctionné. Enfin, en avril 2016, on inaugure la première FFA, rue de Paradis, dans le 10e arrondissement, sans vraiment connaître le quartier, sans savoir qu’il allait devenir un épicentre de la scène culinaire parisienne. À peu près 6 000 personnes suivaient le projet sur Facebook. La semaine de l’ouverture, on est passés à 15 000, et ensuite, très vite, on est montés à 50 000, puis à 100 000. Sans agence de RP, uniquement avec notre propre réseau. »
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Aujourd’hui, la FFA, ce sont trois boutiques à Paris, deux à Lille, une à Strasbourg et une à Lyon, et des ouvertures envisagées à Bordeaux, Nantes, Aix, Toulouse… La fédération ne souhaite pas se développer sous forme de franchise, ce que les fondateurs recherchent ce sont des partenaires locaux connaissant bien le terrain, capables d’adapter le concept aux spécificités locales, car on ne prend pas l’apéro à Lyon comme à Lille, et dans chacun des lieux, 50 % des produits sont sourcés localement.
« Comme nous l’avons fait à Paris, dès qu’on ouvre un lieu dans une ville, il y a d’abord une maison mère qui est aussi un lieu de convivialité où l’on peut déjeuner d’un excellent sandwich ou prendre l’apéro sur place. Puis, s’il y a un satellite, ce sera sans doute plutôt une simple épicerie. Ça nous permet de nous développer en grappe. » La FFA, c’est aussi une cinquantaine de produits commercialisés sous son propre label. Des recettes exclusives élaborées avec certains des artisans qu’elle distribue dans ses adresses.
La gamme de produits FFA est disponible chez 600 revendeurs
« Nos boutiques sont pour nous une étude de marché grandeur nature, on peut tester, voir quels sont les besoins… Nous avons d’un côté les clients, de l’autre le réseau de producteurs. Mais nous ne voulons surtout pas le monopole de l’apéro. Nous invitons les épiciers et les cavistes à compléter leur offre avec d’autres produits. Avec la FFA, ce que nous leur proposons c’est une marque forte et une colonne vertébrale. » La gamme est disponible chez environ 600 revendeurs : cavistes, épiciers, fromagers qui, pour monter un rayon apéro, font ainsi affaire avec un seul interlocuteur.
Plateaux Tableaux
Tom Tarsiguel ne se voyait pas entrepreneur. Son truc, c’est la cuisine. Après un bac pro hôtellerie-restauration, il travaille chez des étoilés de sa région (la Bretagne), dans des palaces parisiens, avant de partir pour Saint‑Barthélemy, puis au Québec.
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« Dans les cuisines du Ritz de Montréal, se souvient Tom Tarsiguel, je me disais que c’était trop dur. J’étais entre quatre murs, je ne pouvais pas créer, et moi qui adore discuter, je ne pouvais parler à personne. Pourtant j’aimais bien cuisiner, j’aimais le rush du service, mais il fallait que je change. Je ne me sentais pas prêt à rentrer en France, alors j’ai distribué des CV à New York, à San Francisco. Et c’est là qu’un ami d’ami m’a proposé de tenir une fromagerie française. J’ai découvert le fromage et j’ai appris à le vendre aux Américains. C’était trop bien ! Au bout d’un an et demi, à 23 ans, je dirigeais trois fromageries et j’avais 27 personnes à superviser. »
Le jeune Breton se familiarise avec cette façon assez particulière qu’ont les Américains de consommer le fromage, plutôt à l’apéritif, accompagné d’une multitude d’à–côtés : des fruits frais et secs, des noix, des chutneys, des bâtonnets de légumes, des crackers… Il y découvre aussi le concept de grazing table (littéralement, la table à paître), sur laquelle une abondance de nourriture (le salé comme le sucré) est disposée, composant un buffet où picorer toute la journée.
Mais le Covid met fin à son expérience américaine et, de retour à Paris, il se lance dans la confection de plateaux apéritifs qu’il compose avec un sens du visuel très poussé. Il y ajoute des fleurs, les décline en camaïeu de couleurs, et, en huit mois, il crée Tableaux, son entreprise.
« Les gens en ont marre de la verrine sur l’ardoise, des petits fours et des canapés »
« Au début, ça ne marchait pas du tout. On vendait deux plateaux par mois, au mieux par semaine. Mais un jour, une influenceuse Instagram avec un million d’abonnés m’a reposté et là j’ai pris 8 000 abonnés d’un coup ! Mon carnet de commandes commençait à exploser. Mes amis, ma famille sont venus m’aider et, dès le troisième ou quatrième mois, j’ai pu prendre un employé (il en a aujourd’hui 14). J’avais un petit labo de 30 m2 hyper clean – la propreté, c’est ce que les palaces m’ont appris –, et, finalement, au bout de six mois, on en a pris un de 130 m2 et là, après un an, on déménage pour un 300 m2. »
Des créations artistiques
Durant les fêtes, Tom Tarsiguel a ouvert un pop-up dans le Marais, à Paris, où il proposait, en plus de ses plateaux apéro, des préparations fromagères couvertes de fleurs, directement inspirées de la pâtisserie. Des chèvres au pain d’épices, des Brillat-Savarin à la truffe, des nougats de brie aux noisettes torréfiées et aux fruits secs, des créations qui font sensation au moment de l’apéro ou qui se substituent carrément au dessert.
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Une façon pour lui de se faire connaître de ceux qui ne sont pas sur les réseaux sociaux – la quasi-totalité de ses commandes se fait sur Internet – et de tester un espace avec pignon sur rue. Si ses buffets et brunchs cartonnent auprès des particuliers, le traiteur réalise la plus grande partie de son chiffre d’affaires auprès des entreprises – souvent de la mode et du luxe – pour lesquels il propose des Tableaux sur mesure, aux couleurs de la marque ou de ses produits.
« Les gens en ont marre de la verrine sur l’ardoise, des petits fours et des canapés. C’est encore présent parce que c’est très pratique, mais on s’aperçoit qu’on prend des parts de marché sur les gros traiteurs. Certains nous ont déjà proposé de racheter nos produits en marque blanche ou de nous racheter entièrement. Mais, pour l’instant, c’est non. Ils peuvent copier, c’est déjà arrivé, mais personne n’aura l’imagination que moi j’ai dans ma tête. »
Quelques spots à Paris
- Avant-Comptoir, par Yves Camdeborde, 3 adresses à Paris et une à Bordeaux.
- Frenchie Bar à Vins, par Gregory Marchand, 6, rue du Nil, Paris 2e.
- Giclette, par Guillaume Dupré et Kaori Endo, 13, rue Keller, Paris 11e.
- Passerina, par Justine et Giovanni Passerini, 44, rue Traversière, Paris 12e.
- Septime La cave, par Bertrand Grébaut et Théo Pourriat, 3, rue Basfroi, Paris 11e.
Les chefs se mettent à l’apéro
Il y a l’apéritif qu’on prend chez soi et celui qu’on prend dehors, dans des caves à manger de plus en plus souvent ouvertes par des restaurateurs qui, eux aussi, cherchent la spontanéité de l’accueil, la proximité avec les clients et une rentabilité plus facile à atteindre qu’avec le restaurant classique. Alors que les chefs des restaurants gastronomiques avaient pour habitude d’ouvrir des brasseries, les chefs de la bistronomie ouvrent désormais des caves à boire et à manger.
À Paris, en 2010 déjà, Yves Camdeborde lançait son premier Avant-Comptoir (il y en a aujourd’hui trois à Paris et un à Bordeaux) destiné à faire patienter, avec un verre de vin et des hors-d’œuvre, les clients du -Comptoir du Relais voisin, qui attendaient (et ça pouvait être long !) leur table.
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Dans la même veine, Gregory Marchand inaugure, en 2011, son Frenchie Bar à vins, suivi de peu par Bertrand Grébaut et Théo Pourriat qui ouvrent Septime La cave. D’autres ont suivi le mouvement. On achète désormais son vin chez un caviste qui sert à manger, à moins que ce soit chez un restaurateur qui vend du vin.
Comme c’est le cas chez Giclette, créé par Guillaume Dupré et Kaori Endo, où, sur les bons conseils de Guillaume, on attrape une belle quille dans la grande cave vitrée, ou on s’attarde pour grignoter une bonne terrine et quelques huîtres. Car c’est le vin, le plus souvent nature, bien sélectionné, bien servi, qui sert de trait d’union entre apéro et dîner, accompagné de tapas et de petits plats préparés.
« Nous ne sommes pas dans une logique purement entrepreneuriale »
Bien souvent, c’est l’occasion qui fait le larron, comme pour Justine et Giovanni Passerini, qui ne cherchaient pas nécessairement à se développer, mais à qui on propose un local situé juste en face de leur restaurant et du Pastificio, leur boutique de pâtes. « Au restaurant, on dit toujours non, parce qu’on est complet », confie Justine qui est la mamma du lieu, ouvert il y a un an. « Chez Passerina, on dit toujours oui, même s’il n’y a pas de place ! J’ai réussi à installer huit personnes dans un couloir en mettant leurs affaires dans la cave. C’est ça qui m’amuse ! »
Cependant, hors de question pour les Passerini de se contenter de proposer de simples olives, une burrata avec un anchois dessus ou une planche de charcuterie, aussi bonne soit-elle. Tout chez eux est cuisiné, avec la rigueur qui caractérise Giovanni Passerini. La mise en place se fait le matin, dans la cuisine du restaurant, par le chef Gaetano Carpinelli, qui met aussi son savoir-faire dans la confection de pâtés en croûte, de pithiviers, de galantines ou de terrines.
Le soir venu, c’est un risotto ou une pasta qui s’improvise sous les yeux des clients. Un modèle qui décline une convivialité qu’on peut difficilement créer dans un restaurant. Il arrive même que la soirée se termine en bœuf, avec -Giovanni à la guitare.
« C’est certainement bien plus rentable que le restaurant, puisque bien moins staffé, admet Justine. Certains soirs, alors que nous ne sommes que trois, nous arrivons à faire les deux tiers du chiffre d’affaires du restaurant où ils sont dix. En revanche, ça reste une sortie qui est bien plus aléatoire. Un soir de match, un soir de grève ou de grand froid, c’est loin d’être plein, alors que le restaurant est quasiment toujours complet. Mais nous ne sommes pas dans une logique purement entrepreneuriale, nous avons à cœur d’accueillir nos clients de manière différente et de leur offrir du plaisir. »
Du plaisir et des expériences déclinées à l’envi, car ils sont de plus en plus nombreux à plancher sur l’apéro, qui n’est plus seulement l’antichambre du déjeuner ou du dîner.
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